Interview

Eska Crew

De retour
d’un concert en Suisse, Mourad s’arrête à Lyon quelques heures, avant de
repartir pour St-Etienne. Au moment de la sortie du deuxième maxi d’Eska
Crew, il prend le temps de répondre à quelques questions concernant le
groupe et sa place dans le rap français.

Abcdr du son : Qui sont les membres d’Eska Crew ?

Mourad : Eska Crew, c’est moi, en tant que MC, et Dj Wong ; j’ai deux backers Khenzo et Zeca. Je travaille avec plusieurs concepteurs musicaux différents, donc, il n’y en a pas d’attitré, mais Defré Baccara et H-Kidam reviennent souvent. Il y a aussi des graffeurs.

A : Signification d’Eska Crew ?

M : Eska, c’est la phonétique des initiales de Sans Koncession. Crew, c’est pour toute l’équipe qui nous entoure.

A : Tu ne rappes plus sous un pseudonyme…

M : Pendant longtemps, j’ai avancé avec un pseudonyme. Mais vu qu’on veut que notre rap soit humain, j’ai choisi mon vrai prénom, Mourad, et je le garde.

A : Tu es très peu mis en avant comparativement à l’entité Eska Crew…

M : On part du principe que, vu le travail que chacun d’entre nous fournit, tout le monde est au même niveau. Maintenant, c’est moi qui répond aux interviews et qu’on va voir en photo mais chacun travaille autant, donc, pourquoi est-ce que je serais plus mis en avant, en me citant constamment, alors que je le suis déjà par l’image ?

A : Tu regrettes d’être le porte-parole du groupe ?

M : Non. Pour toutes les parties du travail, je suis toujours là. Pour le mixage, pour les scratchs. J’assume le fait d’être un peu mis en avant, ça ne me dérange pas du tout.

A : Tu avais posé sur « L’armée du ruban rouge » : tu en as gardé quels contacts ?

M : Il faut savoir que L’armée du ruban rouge, c’était un collectif qui était composé de personnes qui ne se connaissaient pas. Donc, en dehors de ça, il n’y avait rien qui nous rapprochait spécialement. Je n’en ai pas plus de souvenirs ou de contacts qu’avec des personnes que j’ai fréquentées par ailleurs.

A : Quel a été l’impact de la mixtape MIB sur votre groupe ?

M : Je ne sais pas. J’ai lu deux lignes dans une chronique d’un magazine qui disait qu’on était à l’origine du projet, « qui avait tourné sur énormément de cassettes ». « Énormément », je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Donc, je pense que c’est à partir du premier maxi qu’on a posé notre nom.

A : Tu portes quel jugement sur votre premier maxi, justement ?

M : On pouvait mieux faire, mais dans le concept du maxi en lui-même et dans le travail qu’on a fourni pour mon premier projet solo, j’en suis satisfait. Ca nous a permis d’apprendre beaucoup de choses, notamment vis-à-vis du studio. Je suis content, je ne regrette rien du tout.

A : A la sortie de ce maxi, j’avais trouvé ton flow peu intelligible : tu as tenu compte de ce type de réflexion qu’on a pu te faire ?

M : Ce que tout le monde trouvait brouillon au niveau du flow provenait surtout du fait que j’écrivais beaucoup et qu’il y avait beaucoup d’enchaînements. Parce que je suis sûr que l’articulation était là. Après, il y a énormément de termes de ma langue natale, le berbère, que j’incruste en plein milieu. Et je sais qu’il y a plein de gens qui sont perdus par rapport à ça, même à cause d’un mot. Donc, pour ceux qui croyaient ne pas comprendre, je les rassure : ce n’était pas du français [rire]. C’est une langue peu connue et qui n’a pas une sonorité reconnaissable, mais une sonorité plate, comme la langue française, donc ça aussi ça faussait la compréhension. Après, il y avait aussi de vraies critiques au niveau du flow, qui nous ont énormément servi pour travailler. Aujourd’hui, j’écris de façon beaucoup plus dégagée, donc plus compréhensible.

A : Comment avez-vous accueilli les critiques concernant le premier maxi ?

M : Très bien, même les plus négatives. Si on n’est pas capable d’écouter les critiques, c’est qu’on estime ne rien avoir à apprendre. Nous, les critiques nous aident.

A : Tu as l’impression qu’il a été accueilli comment le premier maxi ?

M : Dans un sens, il a été accueilli positivement, puisqu »Hip hop circus’ était décalé de ce qui se faisait. Et tout ce qui change de la tendance attire un peu. Mais d’un autre côté, je craignais qu’on nous colle une étiquette, et c’est que je constate avec les retours du deuxième maxi. ‘Hip hop circus’ était original, mais dans son concept à lui. A chaque titre son influence. Tous nos titres sont différents, rien que part l’instru. Après, le thème suit car une instru a une vie, une logique propre.

A : Après le maxi, il n’y a pas eu beaucoup d’apparitions d’Eska Crew sur des mixtapes ou des compils…

M : Il y a eu des propositions, mais qui n’ont pas abouti. En plus, on était parti pour la préparation d’un album, donc, on n’était pas hyper disponible.

A : Il était aussi question de sortir un EP : pourquoi se contenter de nouveau d’un maxi ?

M : On avance au jour le jour, parce qu’on est indépendant. On ne voulait pas sortir un EP à 2.000 exemplaires. Mais comme ça ne suivait pas forcément financièrement, on a simplement sorti un maxi vinyl.

A : Aujourd’hui, beaucoup d’indépendants estiment qu’il est quasiment impossible de rentabiliser un maxi : qu’en est-il pour le premier ?

M : Ce premier maxi a surtout été donné. On n’a pas pu gérer la distribution correctement, on n’a pas fait de suivi, parce qu’on n’avait pas l’équipe pour le faire. On espère pouvoir le faire pour le deuxième. On sait que le premier a tourné, parce qu’on a eu des retours, et qu’on sait que de bons rappeurs parisiens en ont entendu parler. Financièrement, on sait que ça ne remboursera rien, pareil pour le deuxième maxi. On construit, donc, ça nous reviendra bien tôt ou tard.

A : Si les ventes de rap s’écroulent, vous arrêtez ?

M : Non, au contraire : enfin on parlera de nous. [sourire]

A : Même si le public rap en vient à se réduire à mille personnes ?

M : C’est notre public aujourd’hui, donc tant mieux, on sera les plus connus [rire]. Sérieusement, je pense que c’est ce qui va arriver. Il restera toujours environ 80.000 personnes susceptibles d’acheter des produits de qualité. Ça reste honnête, à notre échelle [sourire]. Moi, je souhaite que le rap s’effondre. C’est ce qui est arrivé au rock. Si le public se résume à un public de connaisseurs, ça sera plus légitime pour des groupes comme nous.

« On ne cherche pas à inviter des personnes connues juste histoire de vendre nos maxis à des gens qui l’achèteront pour ces personnes. »

A : Contrairement à de nombreux groupes, vous ne mettez jamais en avant votre provenance provinciale…

M : Rien qu’en interview, quand on était sur Paris, le fait de dire qu’on était de St.-Étienne amenait toujours la même réaction : « Est-ce que c’est pas dur ? ». Notre réponse, c’était : « Ce qui compte, c’est pas l’endroit d’où tu viens, c’est le travail artistique que tu fournis ». Sur disque, ce qui plaît aux gens, ce n’est pas ta provenance, c’est la qualité du son. On n’aime pas qu’on nous le fasse remarquer tout le temps, donc on n’aime pas le faire sur disque. Les gens sauront d’où on vient tôt ou tard. Pas besoin de le brailler au micro pour rien.

A : De la même manière, vous ne vous êtes pas appuyés sur des rappeurs connus…

M : On ne cherche pas à inviter des personnes connues juste histoire de vendre nos maxis à des gens qui l’achèteront pour ces personnes. Je ne vois pas en quoi ça nous aiderait. Donc, ça confirme aussi que si Eska Crew, ça plaît, ce n’est pas grâce à quelqu’un d’autre. En plus, certaines personnes ont un nom mais pas forcément la qualité qui va avec, contrairement à des personnes inconnues proches de nous. Pour l’album, je vais bosser avec un gars de St.-Etienne qui s’appelle Fisto, de la 5e Kolonne, que j’estime beaucoup artistiquement.

A : Concernant des collaborations avec des rappeurs, tu as d’autres noms en tête ? 

M : Prince d’Arabee sera sur l’album. 20 Syl aussi. Abdou, vu qu’il travaille sur ses projets, ce n’est pas sûr, mais on fera quelque chose ensemble.

A : Position par rapport à la qualité du rap français actuel ?

M : Ce qui m’énerve, c’est que même les émissions spé se focalisent sur cette tendance électro, ces morceaux sans aucune créativité qui ne font que plagier les sons américains. Ca bouffe un peu toutes les autres productions, à mon goût bien meilleures. La crise de créativité, elle n’est pas chez les indés, mais ce n’est pas ceux dont on parle. 20 Syl ou 5e Kolonne font des instrus très musicales. Mais aujourd’hui, il y a très peu de gens qui ne suivent pas cette tendance électro.

A : Les productions sur lesquelles tu poses ont beaucoup de personnalité…

M : C’est notre goût artistique qui veut ça. J’adore ce qui est musical. Une instru, ce n’est pas forcément trois bruits qui se courent après, comme on peut l’entendre aujourd’hui dans beaucoup de productions ricaines ou françaises. L’instru, c’est 50 % de la qualité d’un titre. Ils faut qu’elles soient extrêmement bien travaillées, et donc, forcément, de la personnalité. Donc, c’est un challenge pour chaque titre de devoir coller sur l’instru. Sur le deuxième maxi, même si mon flow demeure le même, mon grain de voix change. Je me colle plus au sample qu’au beat. A chaque morceau, une ambiance naît.

A : On retrouve dans chaque vinyl un instru avec le son d’un diamant qui déraille…

M : C’est quelque chose qui était énormément fait avant, et c’est juste un clin d’oeil…

A : Dans ‘On rêve tous’, ce son devient presque une troisième voix en plus de Bouchkour et toi…

M : C’était pas volontaire. A la base, c’était surtout par rapport à l’instru. Maintenant, tant mieux si ça fait ressentir ça… [rire] C’était surtout une touche de Defré Baccara sur son instru.

A : Comptez-vous bosser avec des producteurs autres que vos proches pour l’album ?

M : Sur nos maxis trois titres, on voulait mettre en avant les personnes avec qui on travaille constamment. Mais on est loin d’être fermé. Pour l’album, il y aura des productions qui viendront d’univers différents. Par exemple, 20 Syl, c’est sûr qu’il y sera. H-Kidam aussi. Il y a d’autres personnes, mais on préfère ne pas s’avancer tant que les titres ne sont pas enregistrés.

A : Votre dernier maxi est plus engagé que le premier : tu penses que tes propos peuvent avoir quel impact ?

M : Moi, je pense que quand un rappeur dit une grosse connerie et croit n’influencer personne, il se trompe. Maintenant, c’est souvent dans la connerie que les choses sont exagérées, et pas forcément dans ce qui est positif. J’ai vingt-trois ans, je ne me permet de donner de conseils à personne, ce sont des avis personnels. Les thèmes de ce maxi montrent aussi qu’on n’est pas simplement des rappeurs qui parlent de rap. On a des convictions, on a des idées, et sur l’album, ça sera encore plus développé que ça. Ce maxi, c’était aussi pour donner une autre facette de l’équipe, tout en évitant de se contredire.

A : ‘On rêve tous’ est plein d’espoir, voire carrément utopiste…

M : Des gens m’en ont fait le reproche. Mais je m’en défends, parce qu’il n’est pas utopiste. Quand on espère avoir un diplôme ou un job, on n’est pas utopiste. Peut-être que les choses dont on rêve sont difficiles à atteindre. Mais je vais partie des gens qui pensent que ça pourrait changer. Et je le clame haut et fort. Mais à la fin du morceau, je dis : « J’ai fait ce rêve comme beaucoup d’autres, mais la réalité débarque ». C’est presque fataliste, en fait.

A : Dans ‘Danger’, il y a une phrase que j’ai trouvé légèrement démagogique : « Si personne se les envoie, où est c’putain d’argent public ? » ; c’est un peu le cliché classique sur l’État…

M : Non. Parce que sur ce morceau, d’un côté, on dit que l’Etat est responsable de quelque chose, et qu’il faut pas nous faire croire qu’il nous protège. Mais d’un autre côté, il dit aussi que nous non plus ne sommes pas innocents. Donc, le danger nous entoure, de tous les côtés. L’Etat a des choses à changer, mais on peut commencer par nous. Mais toute une génération d’immigrés qui en veut à l’État, et aucune beau discours n’y changera rien, ni aucun vote d’extrême droite. Dans leur tête, l’État doit admettre qu’il a exploité nos parents. Car ça va aller en s’empirant. Les nouvelles générations ne comprennent pas forcément le vrai problème, et ne voient que le côté délinquant, ce qui perd de sa légitimité.

A : Au niveau du flow et de l’écriture, tu ne fais pas beaucoup d’effets de style…

M : Ça me casse les couilles d’avoir à faire plein de style. C’est ma façon de rapper. J’ai une grosse voix, donc elle me permet de rentrer plus en force sur un beat. Mais le trip : « Regarde mon flow » ne m’intéresse pas. Je ne rappe pas pour les rappeurs. Si artistiquement, des rappeurs vont trouver ça basique, peu importe. C’est avant tout de l’écriture, même si emmené par un moyen oral, et non des figures de style qui n’ont aucun sens autre que celui de la rime.

A : Tu ne fais quasiment pas de ruptures au milieu des mots…

M : C’est vrai, mais je n’y fais pas forcément attention. J’évite au maximum de le faire. J’écris et je retranscris à l’oral sans penser au style que ça va donner.

A : Votre rap est assez classique, il ne s’aventure pas dans des directions vierges…

M : Dans un sens, c’est classique, mais par sa forme, par son discours, aujourd’hui, ce qu’on fait est loin d’être la norme. On a beaucoup de retours comme quoi nos sons changent de ce qui se fait actuellement. Après, on ne cherche pas particulièrement à repousser des limites, à innover. On fait selon l’inspiration, sans plus y réfléchir.

A : Tous vos morceaux oscillent entre trois et quatre minutes. Inconsciemment, n’êtes-vous pas formatés ?

M : Non, c’est simplement dû à ma flemmardise d’écriture. Ca ne me dérangerait pas de faire un morceau de vingt-cinq minutes comme un morceau d’une minute sans refrain.

A : ‘On s’soulève’, c’est une invitation à agir ?

M : C’est plus artistique comme point de vue. Aujourd’hui, il y a le cliché du rappeur à moitié défoncé sur scène qui rappe, qui s’en fout, qui bouge pas. On estime qu’on est artistes, et que si les gens payent pour venir nous voir, on doit leur fournir un vrai spectacle. C’est surtout ça qu’on veut faire passer, et c’est pour ça que l’instru est fat.

« Je suis contre ce discours qui jette toute la faute sur Skyrock. »

A : Vous parvenez à convaincre sur scène ? 

M : Oui, et bien plus qu’au début. Et plus que beaucoup de groupes. Parce qu’on est dans le concept de foncer sur une scène et de donner jusqu’à ce qu’on en tombe par terre. C’est déjà un état d’esprit qui joue beaucoup.

A : Vous êtes plus enclins à accepter des scènes que des plans mixtapes/compils ?

M : On accepte quasiment toutes les scènes, sauf circonstances exceptionnelles. Plus on tourne, mieux c’est pour nous. On a constaté dernièrement que chaque concert nous apporte un public différent. Or, le seul endroit où tu peux vraiment conquérir les gens, c’est la scène. Et les gens sont souvent satisfaits de nos concerts.

A : Vous avez un public propre ?

M : On est toujours en première partie d’autres groupes, mais on sait que dans les salles, il y a des gens qui viennent uniquement pour nous. Mais bon, on n’est rien, on ne fait pas déplacer des foules. L’important c’est qu’il y ait une foule ; après, on s’occupe du reste.

A : 20 Syl fait partie d’Hocus Pocus, groupe composé d’instrumentistes. Ça te plairait ce genre d’expérience ?

M : J’en ai déjà fait des scènes avec des musiciens, et c’est quelque chose que j’adore. Mais gérer ça en plus du groupe, je n’y arriverais pas. Donc, à l’occasion ou si quelqu’un s’en occupe, mais dans l’immédiat, non.

A : Quelle relation avec Dub Incorporation, dont fait partie Bouchkour, qui apparaît sur ‘On rêve tous’ ?

M : J’adore ce qu’ils font musicalement. Je suis extrêmement ouvert aux autres musiques. On se connaît parce qu’on est artistes stéphanois et qu’on se croisait souvent. Humainement, Bouchkour, c’est quelqu’un d’excellent.

A : Tu aimerais avoir des interventions autres que rappées dans l’album ? 

M : Oui. Pas forcément ragga, mais plutôt reggae dancehall. Ou avec un chanteur cubain. Et je vais encore travailler avec Bouchkour, parce qu’on s’est rendu compte que la combinaison de nos deux voix se faisait très bien. On va multiplier les featurings sur nos projets respectifs.

A : Même R’n’B ?

M : Non. J’aime beaucoup le chant. Du bon gospel, ça peut intervenir sur un titre. Mais le r’n’b-lova-lova, non.

A : ‘Destinée’ [premier morceau de Booba contenant un refrain r’n’b, ndr], c’est le signe que le formatage est obligatoire ?

M : Non. Il a vu plus gros que son ventre, c’est tout. Avec ce qu’ils ont vendu pour « Mauvais oeil » en indépendant, il pouvait largement bouffer. Parce qu’en indépendant, tu touches quatre fois plus qu’en major. Mais il est plus gourmand, il veut toucher ce public d’amateur et de gamin qui lui ramènera plus d’argent. Il ne veut pas vivre du rap, il veut plus que ça. Ça ne m’attire pas. Je ne cherche pas à vivre au-dessus de mes besoins.

A : C’est une volonté pour vous de vivre du rap ?

M : Oui. Il est possible de vivre décemment du rap, en touchant la même paye que si j’étais sur mon chantier. Je parle pas de m’acheter des belles caisses et de belles villas, je parle de vivre du rap. J’espère vivre du rap, parce que je veux pas faire mon boulot pendant quarante ans. Tant que j’en aurais la force, je continuerais à faire comme aujourd’hui. Si on reste là un moment, on finira par être les anciens. Alors si les anciens n’arrivent pas à bouffer, ça crains [rire].

A : Sauf que les anciens – Assassin, NTM, Sages Po’, etc. -, ils ont tous bifurqué à la fin…

M : On ne peut pas critiquer les anciens si on n’a pas la même longueur de parcours. C’est facile de critique aujourd’hui, mais quand ça fera vingt ans que je rapperais, peut-être que moi aussi je changerai… Peut-être que c’est nous qui n’avons rien compris. Bon, je dis bien « peut-être ». Mais ils ont tous changé sans exception. Est-ce que c’est le temps qui fait ça ? On est mal placé pour parler, ça fait pas longtemps qu’on est là. Donc, j’émets des réserves par rapport à mes critiques.

A : La moitié de la scène française fait du son dancefloor en prétextant que l’esprit originel était : « Peace, love, unity & havin’ fun ». L’autre déclare que le rap a toujours été une musique revendicatrice. Tu te situes où ?

M : Sans hésitation dans la deuxième moitié. Maintenant, le rap, c’est une autre forme d’expression orale avant tout. je ne dénigre pas les productions : ceux qui les font passer avant le reste sont aussi cons que ceux qui s’en foutent. Maintenant, l’histoire du rap, ça remonte à l’époque des indigènes, quand d’une tribu à l’autre, on s’envoyait des messages sous formes rythmés pour que le coursier se répète le message en cadence dans sa tête jusqu’à ce qu’il arrive au village voisin. Donc, la toute première origine, c’est avant tout un discours. En plus, le rap est né à la mort du rock, qui était revendicateur. Quand le rap ne se réduira qu’à l’aspect musical, il mourra. Le rock est un exemple énorme, mais personne ne regarde et on prend le même chemin. Je trouve ça absurde.

A : Tu te réjouissais de la mort du rap. L’état actuel du rock te réjouit ?

M : Il y a des groupes indépendants aux États-Unis, là où il né et mort. En France, les artistes rock sont très varièt’, mais pas aux États-Unis. Il y a des groupes indés rock qui vendent et qui en vivent.

A : A propos de rock, seriez-vous capable de refuser de passer sur Skyrock ?

M : Je suis contre ce discours qui jette toute la faute surSkyrock. Skyrock a simplement permis de toucher un public d’adolescents. Ce sont les rappeurs qui tuent le rap, aujourd’hui. Il y a des rappeurs qui ne passent pas sur Skyrock et qui se prennent pour des ricains et qui plagient à longueur de journée. Donc, ce discours anti-Skyrock, on l’emmerde, parce que le responsable n’est pas là.

A : Les artistes sont responsables d’avoir laissé Skyrock dominer le marché du rap et devenir le média incontournable…

M : Oui, c’est pour ça qu’on ne courre pas après non plus. Passer vingt fois par jour et gaver tout le monde, c’est pas dans mes ambitions. Si ça arrive, ça ne me dérangerait pas non plus. [Silence].C’est bizarre…Notre musique, c’est ce qui nous intéresse avant tout, mais on n’a pas de raison de faire la guerre à Skyrock.

A : Vous avez quelles relations avec les médias ?

M : Les personnes à qui ont à affaire directement sont tranquilles. Mais ce ne sont pas eux qui nous dérangent. Ce sont ceux derrière, qui font que le rédactionnel est balourd dans les média actuels. Les magazines actuels jouent le jeu de Skyrock.

A : Vous avez souvent été confrontés à des interviews dont la retranscription était déformée ?

M : Oui, comme tout le monde. Donc, on essaye de vérifier ce qui est validé. Surtout qu’on ne parle pas simplement de rap bêtement. On essaye d’aller un peu plus loin, donc, il y a parfois des changements.

A : C’est volontaire ?

M : Non, parce qu’il n’y a rien qui dérange dans ce qu’on dit. C’est le manque de connaissance, l’amateurisme, les personnes tête-en-l’air… Par exemple, une personne qui ne sait pas utiliser son dictaphone [éclat de rire, car Mourad fait référence à notre précédente rencontre, où les bandes étaient effectivement restées vierges, ndr].

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