Cxppington, la face cachée des 33 tours
Interview

Cxppington, la face cachée des 33 tours

WestSide Gunn, Lord Flee, Crimeapple, Skyzoo ou encore Rome Streetz, c’est toute une branche du rap américain indépendant qui a sollicité les services du graphiste, illustrateur et designer Manuel “CEP” Concepcion.

Cet été, le président de Spotify a déclaré : “Vous ne pouvez pas enregistrer de la musique une fois tous les trois ou quatre ans et penser que cela va suffire. Les artistes d’aujourd’hui qui le font réalisent qu’il s’agit de créer un engagement continu avec leurs fans. » Cette sortie, très critiquée par de nombreux artistes, est aussi un état des lieux implacables sur ce que la musique est devenue au sein des plateformes : un univers dense, un puits sans fond, une mise en abyme contemporaine dans lequel l’auditeur se perd à peine arrivé à la page d’accueil. Survivre dans ce nouveau western se fait à partir de points de référence. Des recommandations algorithmiques, des placements dans les playlists adéquates ou alors plus surprenant, des chorégraphies Tik Tok prêtes à hisser un morceau en haut des charts. De l’autre côté des chiffres et des certifications, ces plateformes ont donné de nouvelles opportunités à des styles de niches, moins en vue, moins streamés, moins omniprésents dans les classements. Dans ces nouvelles esthétiques, la ville de New York et ses états situés dans le upstate ont accouché d’un style propre à l’agglomération : une approche musicale sans concession, de longues boucles désarçonnantes sur des productions dépossédées de drums que des artisans comme Roc Marciano, Ka ou alors toute l’équipe du label Griselda Records ont pris un malin plaisir à découper. Dans une période où la profusion règne et alors que les moyens techniques sont à hauteur de tous, la contrainte imposée est source de distinction et de singularité. Mais au-delà des sonorités, ces niches redessinent les contours de la relation entre artiste et auditeur jusqu’à injecter une valeur nouvelle à l’obtention de l’objet physique. Point culminant de cette union, les sorties physiques – et notamment vinyles – sont limitées, travaillées minutieusement sous un angle curatif, qui, peu à peu, fait glisser ces objets non plus sur les étagères du public mais plutôt des collectionneurs. Période bénie pour cette deuxième catégorie, la pochette est la clé de voûte de ce format et Manuel “CEP” Concepcion a certainement apposé sa griffe sur les disques cultes du milieu : FLYGODDon’t Get Scared Now ou encore Loyalty + Trust. Illustrateur, graphiste et designer, Cxppington – son nom d’artiste – a collaboré avec tous les acteurs de cette scène indépendante (WestSide Gunn, Crimeapple, Skyzoo, Lord Flee, Rome Streetz, Elcamino, Fred The Godson, Eto…). Inspiré par la fougue des comics de Sam Kieth, le coup de crayon très hip-hop de Matt Doo et les graffitis de Cope2, rencontre avec un artiste sur les pochettes de vos albums préférés.


Je suis originaire du comté de Rockland dans l’État de New York mais je réside actuellement dans le comté d’Orange. Au début, étant enfant, je me suis naturellement tourné vers les disques les plus importants de la radio, comme tout le monde mais ce n’est qu’à l’âge de treize ans que j’ai commencé à me familiariser avec cette “sous-culture”, son origine et ses aspects techniques.

J’ai certainement appris les fondamentaux du dessin à l’école. J’étais toujours le gamin au fond de la classe qui gribouillait sur tout. Tous les dessus de mes bureaux, dans toutes les classes où j’étais, ressemblaient à des armes de membres de gangs de motards. J’ai acquis les bases générales de l’art entre ma quatrième et ma première année de lycée. La suite est plutôt autodidacte et influencée par mes artistes préférés à cette époque, les dessinateurs de bandes dessinées, les graffeurs de la fin des années 80 et du début des années 90 et bien sûr, les icônes classiques de la culture pop du monde de l’art. Je les ai probablement étudiées et adorées pendant des semaines et des semaines.

Avant cela, j’aimais beaucoup le rock classique et heavy metal. J’ai littéralement tout écouté plus jeune, j’ai jeté une oreille sur tout ce qui était disponible, des disques de radios commerciales aux trucs plus undergrounds avec des émissions comme The Stretch Armstrong and Bobbito Show, The Underground Railroad ou encore Funkmaster Flex Show. Je scrutais aussi les trente-trois tours des sorties indés dans les commerces tels que Tower Records et Sam Goody, j’étais branché sur tout ça.

Gamin, je me suis retrouvé à essayer d’échapper aux réalités de ma vie. J’ai vécu beaucoup de choses traumatisantes quand j’étais plus jeune et j’ai découvert que l’art m’aidait à échapper à ces moments sombres, aussi longs ou brefs soient-ils. L’art est l’expression unique de ton procédé imaginatif. La capacité de décrire une pensée ou une émotion par différents moyens est un privilège qui est donné et qui, s’il n’est pas exercé en permanence, te fait dépérir. Par nature, les artistes sont nés pour s’exprimer… Enfin, je crois que c’est cette singularité qui rend une personne “artiste” !

« Ce qui rend une pochette belle, c’est l’honnêteté, même quand elle ment. »

Pourquoi les sorties vinyles deviennent si importantes ? Il y a toutes sortes de réponses à cette question, mais à première réflexion, je dirais que le tangible communiquera toujours à votre bonheur. Posséder physiquement un vinyle est une expérience qui ne pourra jamais être remplacée par le streaming. Peu importe comment l’industrie conçoit les moyens pour s’imposer. La chaleur des sons, les illustrations de la pochette, les détails des crédits, tous ces éléments font partie du voyage. Il y a presque une approche de puriste. Dans un second temps, si tu regardes ce qui se passe en ce moment, l’autre versant du marché est incarné par la revente. Les mecs des sneakers spéculent sur les vinyles aujourd’hui.

Ce qui rend une pochette belle, c’est l’honnêteté, même quand elle ment. J’ai créé une fan piece sur Instagram et j’ai taggué WestSide Gunn. Il a salué mon travail et c’était à peu près tout jusqu’à ce que nous nous rencontrions officiellement lors du premier concert commémoratif de Sean Price en 2015. Ce qui se passe actuellement dans cette scène, c’est une renaissance. Je vais peut-être m’attirer les foudres en déclarant ça, mais je crois fermement que Griselda Records a fait en sorte que les gens se soucient à nouveau de l’art. Avant la sortie de FLYGOD, il n’y avait pas beaucoup d’intérêt du public pour la pochette d’un album et cette facette de la culture est restée un peu silencieuse.

« Voici ce qu’il se passe quand le talent, la chance et le timing se rencontrent pour partager un verre et des pré-roulés à New York dans la salle de concerts du SOB’s. »

Je crois que la façon dont WSG a exprimé avec passion l’importance de voir, exprimer et vivre ce mouvement, a fait que les gens s’en sont préoccupés comme ils ne l’avaient pas fait depuis des décennies. Il y avait des petits collectifs et des créatifs qui faisaient la même chose avant lui, j’en suis sûr, mais aucun d’entre eux n’avait cette variable : le timing, tout simplement. Nous étions tous prêts à passer à l’étape d’après et dans une équation que seul l’univers maîtrise, il nous a choisis pour ouvrir la voie. Rien n’est dû au hasard. Roc Marci et Sean Price ont ouvert la porte, Wes n’a pas perdu l’occasion de poursuivre la tradition.

Je n’aime pas partager ce genre de choses [parlant de son processus créatif, NDLR] parce que ce n’est jamais la même chose. Je ne commence ou ne termine jamais une pochette d’album de la même façon. Les techniques pour les créer sont peut-être les mêmes, mais l’approche et la finition ne le sont jamais. En ce qui concerne mon travail avec le label allemand Air Vinyls pour qui je réalise beaucoup de covers, ils me disent quel artiste est en attente dans leur file, son titre du projet, puis je prends le train en route. Je n’entends même pas de musique, parfois, je laisse le titre m’aiguiller, me conduire, parfois un artiste et sa personnalité suffisent.

Pour toutes mes réalisations soumises qui n’ont pas réussi à convaincre, tout ce qui reste sur la table, je le réutilise d’une manière ou d’une autre. Je déteste gaspiller l’art. Mais la seule couverture que je souhaitais être utilisée serait celle que j’ai créée pour l’album de Conway The Machine, G.O.A.T. [acronyme de Grimmiest Of All Time, NDLR] Les années à venir dans notre petit microcosme de la pochette vinyle du rap indé, j’aimerais voir moins de moi. Je n’achète pas et n’écoute pas les albums dont la pochette semble avoir été réalisée par moi. C’est ringard.

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