Big Ghost Ltd. – Symphonies post-mortem
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Big Ghost Ltd. – Symphonies post-mortem

Depuis 2015, Big Ghost Ltd. met en musique les grandes métropoles américaines et leurs histoires souterraines. Retour sur le parcours atypique d’un producteur qui laisse sa musique parler pour lui.

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Richard Porter n’est pas tout à fait en âge de le comprendre. Pourtant, il est né dans une Amérique en guerre. Le tournant des années 70, les troupes militaires qui s’embourbent au Vietnam, l’arrivée d’un nouveau président à la Maison-Blanche. Mais surtout, la dope qui coule à flots dans les rues de New York et un tas d’agglomérations qu’on dit submergées par ce nouveau fléau. Le 18 juin 1971, Richard n’a pas encore 6 ans que son existence vient déjà de changer de cap. Les champs de bataille se multiplient, le front Pacifique n’est plus l’unique préoccupation du gouvernement en place. Nixon se charge de l’annonce : à partir d’aujourd’hui, le conflit est également interne aux frontières de l’Oncle Sam. La réalité rattrape brusquement les images qu’on percevait parfois de l’autre côté des tubes cathodiques. Elle prend simplement une autre enveloppe, puisqu’à Harlem aussi, à quelques encablures de l’appartement que Richard partage avec sa mère accro aux substances synthétiques et ses deux frères et sœurs, se met en place une guerre au sens premier du terme. C’est le début de la war on drugs, de la paranoïa à tous les coins de rue et de son cortège de victimes, mais également le point de départ des obsessions mafieuses de Big Ghost Ltd.

Pas encore majeur mais déjà en prison, Richard vient quant à lui de faire les frais des opérations déclenchées plus tôt par l’Administration Nixon, et prolongées notamment par Reagan – et son épouse Nancy – dans les années 1980. Tout cela lui importe peu. Du faux shit revendu aux bourgeois en quête de sensations fortes à la drogue dure qu’il écoule rapidement en quantités conséquentes, il a goûté une première fois à l’argent sale et au plaisir immédiat que lui procurent les visages imprimés de Benjamin Franklin et Ulysses S. Grant. À peine libre, le voilà donc déjà en quête de « plus ». Plus d’argent, plus de femmes, plus de respect, et donc surtout plus de drogue, censée lui apporter les trois. Après tout, c’est bien connu : « Dope boys get all the bitches ». Avec Alpo et Azie, ses nouveaux associés, Richard devient d’ailleurs Rich, le sobriquet qui accompagne très vite les centaines de milliers de dollars brassés dans tous les coins de Harlem. Voilà qu’il possède à 20 ans tout ce qu’il avait jamais rêvé d’avoir : l’argent, les femmes, le respect. En 2002, lui et sa bande auront même droit à un film qui traumatise toute une génération de rappeurs de New York jusqu’en France : Paid in Full, du nom de l’album d’Eric B. et Rakim sorti le 7 juillet 1987. Sauf que Rich ne sera pas là pour le voir. Il aura survécu aux coups de boutoir successifs des administrations Nixon et Reagan, mais pas au fer des trafiquants ennemis – ou alliés, puisque dans son cas, c’est Alpo Martinez, son compagnon de crime, qui fut condamné pour le meurtre. Le zip d’une housse mortuaire clôt en janvier 1990 l’existence de cette figure controversée de Harlem, mais dont l’héritage ensanglanté, élevé en modèle d’entrepreneuriat dans d’innombrables morceaux de rap depuis 30 ans, survit bel et bien.

« C’est en plongeant dans les méandres d’un son abyssal que la silhouette s’entrevoit. »

Un héritage new-yorkais que Big Ghost Ltd., producteur énigmatique de la scène underground de la Big Apple depuis 2015, s’efforce de décortiquer sous la moindre couture. Chaque mesure, chaque boucle sonore de ce personnage obscur y sont consacrées ou presque, lui dont on connaît finalement très peu de choses si ce n’est quelques interviews disséminées sur Internet ainsi qu’un nom au civil : Robert Ramirez. C’est donc ailleurs que sur Wikipédia qu’il faut chercher les clés de lecture du personnage. Dans ses collaborations répétées avec les MCs de l’État de New York, d’abord. Dans les influences puisées aussi bien dans la soul des années 70 et 80 que dans les guitares hypnotiques du rock psychédélique, ensuite. Aussi, dans le New York du golden age, des Q-Tip, Wu-Tang Clan et Mobb Deep desquels il se revendique, tout comme des peintres classiques à qui il aime emprunter le style dès lors qu’il épaissit les traits des rappeurs avec lesquels il collabore. Enfin, dans les références cinématographiques incessantes aux histoires de mafieux, à Carlos Lehder, à James Joseph « Whitey » Bulger, et surtout, à Richard « Rich » Porter, comme ce fut le cas dès 2015 sur Griselda Ghost, son premier effort derrière les machines aux côtés de la clique Griselda.

C’est donc en plongeant dans les méandres d’un son abyssal que la silhouette s’entrevoit, entre les briques jaunies par la pisse dans les allées coupe-gorge de Buffalo et les résidences luxueuses des barons sud-américains. Une silhouette qui émerge peut-être du côté de New York, vraisemblablement à la fin des années 70, bien qu’il soit périlleux d’évoquer les éléments biographiques qui jalonnent le parcours d’un fantôme. Mais une chose est sûre, cette forme aux contours mouvants porte un nom dont l’écho résonne avec effroi sur les parois caverneuses de l’underground new-yorkais : Big Ghost Ltd., qu’il est devenu difficile d’ignorer en 2021 tant il a répété, depuis 6 ans, les incursions dans les crédits de production des albums étiquetés « néo boom-bap ». Retour en mots, mais également en samples, sur le parcours atypique d’un producteur qui laisse sa musique parler pour lui.

« Hotline Bling was 2015’s Fight the Power. It was a sign of the times. And the times are bad fucking corny. »

Big Ghost serait ainsi un pur produit de l’agglomération de la Grosse Pomme, et une figure majeure d’une scène qu’on dit souterraine, qu’importent les millions d’auditeurs dévoués à Westside Gunn, Benny the Butcher et The Machine, ses compères du groupe Griselda. « Serait » car une fois de plus, les éléments biographiques manquent, et que ce n’est pas en lisant des mots, mais bien une profusion de boucles de samples abrasives qu’il faut appréhender le fantôme.

Mais commençons par les mots, toutefois, puisqu’il en a lui-même tapoté des milliers sur son clavier d’ordinateur, bien avant d’embrasser une carrière derrière les machines des studios d’enregistrement, ou dans son cas, de ce qui semble être un laboratoire d’expérimentations aux murs infranchissables. Il est donc au début des années 2010 un personnage mythique qui s’exprime caché dans l’anonymat de pages HTML tissées sur son blog personnel : Big Ghost Chronicles. Il y parle des rappeurs qu’il considère trop soft, un peu, de Drake, beaucoup. Et globalement de tout individu au discours sans relief, pas assez corrosif, ou du moins trop « corny » pour représenter un genre musical qui aurait vocation à tacher les hauts en cachemire tressé et les crop tops républicains. Sous le sarcasme d’apparence potache, se cache cependant un personnage à l’oreille fine et aux chroniques rapidement devenues virales, aussi bien capable de traiter le 6 God de « human croissant », que de développer une vision authentique, référencée, critique et nervurée sur le rap de ces années-là – « Hotline Bling was 2015’s Fight the Power. It was a sign of the times. And the times are bad fucking corny ». Au point d’ailleurs de créer un premier amalgame : la rumeur dit que Big Ghost serait en fait un rappeur, lui aussi. Et pas des moindres, puisqu’il s’agirait ni plus ni moins que de Ghostface Killah, l’iconique MC du Wu-Tang Clan dont le blogueur singe le phrasé moqueur à longueur d’articles. Une rumeur qui prend de l’ampleur à mesure que le nom « Big Ghost » se répand en coulisses et dans la section commentaires du site 2dopeboyz.com, sur lequel il est particulièrement actif durant la période.

« Non, Killah n’est pas le Ghost du site Big Ghost Chronicles. La silhouette du fantôme apparaît désormais plus nettement.  »

En 2011, après s’être vu classé par Big Ghost en quatrième position des « Top ten softest rappers in the game » (qui voyait Drake occuper à la fois les troisième et première marche du podium), Wiz Khalifa répond publiquement. Selon lui, il n’y a pas de doutes quant à l’identité du fantôme : il s’appelle bel et bien Killah. Et ce dernier ne serait guère plus qu’un « corny individual » cherchant à capter les rayons d’une lumière fuyante, qui depuis les années du golden age ne l’éclairerait plus, ou du moins plus assez. Killah répond alors fermement à l’accusation : non, il n’est pas le Ghost du site Big Ghost Chronicles. La société en charge de la gestion juridique du groupe Wu-Tang lui emboîte le pas, entamant une procédure visant à faire fermer provisoirement le site Internet polémique. Peu importe, au moment de son retour sur les serveurs quelques temps plus tard, les projecteurs sont bel et bien braqués sur Ghost – le blogueur, cette fois-ci. La silhouette du fantôme apparaît désormais plus nettement. Mais est-il pour autant ce que l’on croit voir ? Une première fois, il fait voler en éclats les certitudes puisqu’il est l’heure pour lui d’entamer sa mue, et de mettre son oreille au service de la « cause », celle du rap grossièrement classé dans la catégorie « puriste », qu’il défendra désormais, lassé des mots, avec des sons. Griselda, Vic Spencer, Hus KingPin, et même Ghostface Killah, tous rapperont sous la houlette de celui qui, derrière l’humour renflé, cachait en fait des talents de production qu’il juge à présent bon de révéler à des auditeurs circonspects. Griselda Ghost, sorti en 2015, est son premier fait d’armes. The times are no longer corny.

« What the fuck did you marinate this steak in ? No, no, no, family secret, mmm »

Introduit auprès de la clique de Buffalo par l’intermédiaire de Camoflauge Monk, contacté à l’époque sur Twitter, Big Ghost nage en 2015 en plein paradoxe : un pied solidement ancré sur le réseau Internet, l’autre qui vient d’exploser une première fois les portes du monde réel. Un entre-deux dont il ne sortira jamais vraiment. Sans même les rencontrer physiquement, il vient de livrer à Griselda une première fournée d’instrumentaux dont certains, « Empire » en tête, n’ont rien de fictif. Tout le contraire même, puisqu’ils marquent l’acte de naissance, ou du moins d’affirmation du son estampillé Buffalo, bien qu’inspiré sans retenue des histoires crapuleuses enveloppées à quelques centaines de miles de là dans des boucles de samples compactes, dans le sillage du travail des Roc Marciano et autres DJ Muggs. Et si Big Ghost aurait pu, à l’époque, céder aux sirènes des publicitaires qui lui proposaient de développer les stratégies de promotion de leurs marques, lui, en bon fantôme qu’il est, n’est pas exempt de claustrophobie. Pourquoi donc intensifier ses placements, alors qu’il peut multiplier les œuvres ? « Let me put this foot on your neck for the next while as far as this music shit », déclare-t-il à l’époque en interview. À partir de là, toute notion de concession disparaît du cheminement artistique de Big Ghost. Certains producteurs affirmés, à l’image d’un Alchemist ou d’un Madlib aujourd’hui, peuvent se le permettre. Lui n’a pas jusqu’alors prouvé grand-chose, mais il le sait déjà : comme eux, il choisira les artistes avec qui il travaille, et rarement l’inverse (« Artists who wanna produce themselves do not need Big Ghost Ltd » nous a-t-il confié par mail). Et à chaque fois, ce sera son style à lui qui marquera l’album. On ne dévoile pas comme ça une recette de famille.

Concoctée en vase clos, religieusement tenue secrète dans un premier temps, la musique de Big Ghost ne manque toutefois pas de s’exporter, au fil des samples et des compositions, en dehors des frontières ténues de Buffalo et de l’upstate new-yorkais. À partir de Griselda Ghost, le son du producteur traverse peu à peu les murs jusqu’à atterrir à Chicago, dans les mains de Vic Spencer comme en 2016 sur The Ghost of Living, avant de revenir faire un tour dans celles, successivement, de Hus Kingpin (Cocaïne Beach, 2017), CRIMEAPPLE (Aguardiente, 2018), ANKHLEJOHN (Van Ghost, 2018), Ghostface Killah (The Lost Tapes, 2018), voire même de K.A.A.N en 2020 sur All Praise Is Due. Sauf que ces allers-retours constants entre les grandes métropoles américaines, entre Chicago, Washington et New York notamment, sont souvent accompagnées, dans les crédits des différents albums, d’une étrange mention : « All instrumentation by the infamous Hector Puente Colon Jr & The Santiago Men’s Basketball Philharmonic Orchestra ». Ces obsessions acharnées ne pouvaient être le fruit du travail d’un seul homme. Insaisissable, le fantôme l’est réellement : ils étaient en fait, depuis le début, plusieurs personnes. Big Ghost est bel et bien Robert Ramirez, le chef d’orchestre, mais dans son ombre se cachait le « Ltd. », qu’ils nous ont confié être un « conglomérat d’entités envoyées ici-bas depuis d’autres planètes pour donner aux bonnes personnes de la musique qui tue », et dont fait partie son ami d’enfance, Hector Puente Colon Jr. Big Ghost n’était tout compte fait pas si solitaire. Les doutes quant à son identité finiraient presque par se dissiper : c’est sa vision à lui, appuyée par un obscur conglomérat d’artisans, qui semble s’exprimer dans les albums de cette scène underground, de Griselda à K.A.A.N. Sa mue est à présent complète.

Quoi qu’il en soit, et comme la musique qu’il propose, la drogue, insérée dans tous les réseaux souterrains américains depuis les années 1970 notamment, tue elle aussi. Alors à chaque fois, ce sont les mêmes histoires qui reviennent dans les textes des rappeurs qu’il met en scène, jusque dans ceux de la jeune génération des MCs de Rochester, Rigz & Mooch en tête. Celles d’une violence totale que les spitters racontent tantôt pudiquement, tantôt de manière exaltée sans jamais la promouvoir totalement. Le paysage musical se compose sans surprise de beats décharnés et de mélodies austères faisant la part belle aux échantillons de soul, terreau fertile à la description des expériences de vie ingrates, entre les coups de feu et les murs qui s’effritent dans les allées délaissées de Brooklyn, de Harlem, du Queensbridge, mais aussi de Capitol Hill voire de Los Angeles, comme quand Hus Kingpin tentait de retracer le parcours de la poudre blanche à Venice Beach dans les années 1980. En somme, du coke rap chimiquement pur.

Voilà pour le composant principal du squelette musical de Big Ghost. Mais le résumer ainsi serait omettre l’éclectisme dont sa musique regorge une fois le vernis altéré, ou les premières bouffées de crack aspirées. Sur The Ghost of Albizu sorti en 2020 avec UFO Fev, par exemple, où les cuivres enlevés de « SPIT » s’interrompent soudainement, laissant place à un piano clinquant et quelques nappes synthétiques, avant que la danse ne reparte. Par petites touches successives et un peu à la manière d’un peintre impressionniste, Big Ghost infuse son empreinte sonore de références puisées ici et là, comme à Porto Rico qu’il représente en cover de The Ghost of Albizu, ou en Colombie, dont l’eau-de-vie typique est venue donner son nom à Aguardiente de CRIMEAPPLE. Plus instrumentale et élégante, la musique du producteur révèle aussi son goût pour les arrangements subtils, rompant quelque peu avec la tradition des beat loops charnues de l’école d’où il vient. Ses pistes à lui, comme sur Carpe Noctem, deviennent dynamiques, organisées en section à la manière des grands compositeurs, avec un soin tout particulier accordé aux transitions – le passage « Fake My Death » – « Paper Plane Lords » suffit à s’en convaincre. Les ambiances s’alternent, les genres échantillonnés (soul, jazz, musique classique, hard rock…) aussi. Mais de manière générale, et quelle qu’en soit l’origine, Big Ghost tord les styles pour les adapter au sien et à celui de son MC. C’est le cas sur « The Potato Eaters » d’ANKHLEJOHN, où le producteur triture le clavier dissonant qui accompagne le « World That’s Not Real » de la chanteuse soul Gloria Ann Taylor, pour recréer une ambiance à l’exact opposé de l’œuvre originelle sur le prisme lumineux. Au bout de la nuit… la nuit, encore, comme dans les rues crades des métropoles qu’il cherche à décrire, où le soleil ne reste jamais présent bien longtemps, sinon en négatif dans l’ombre qu’il projette sur les murs.

« I just hope muthafuckas realize that I represent the cause »

Ainsi, Big Ghost ne se contente pas seulement de concevoir des sons. Il cherche presque à les exposer dans les galeries d’art, bien que rejetant instinctivement toute la célébrité que ces salles pourraient faire peser sur lui. Dans chaque album, les visions esthétiques empruntées au cinéma, à la peinture ou à l’Histoire s’entrechoquent, accompagnées d’un sound design fait de bruits de mitraillettes qui déchargent et de mafieux discourant sur le sens de la vie qu’ils mènent, essayant d’en trouver dans les liasses entassées maladroitement sur un coin de table. « The idea is to create monumental pieces » a-t-il un jour confié, alors les ambiances et le séquençage deviennent essentiels, comme si les images mentales déclenchées chez l’auditeur comptaient au moins autant que les fréquences qui lui impriment l’oreille. Robert Ramirez devient à la fois scénariste, producteur, directeur artistique, et réalisateur (« I am involved in every single aspect of putting the album together »). Les rappeurs, eux, deviennent les acteurs de son film, et sembleraient presque interrompre leurs progressions personnelles pour se mettre au service de la sienne, tant il frappe chaque album de sa présence brumeuse. Qu’y a-t-il donc de plus grand dans les œuvres de Big Ghost que Big Ghost lui-même ?

« This is pure grimy NY hip-hop in its purest form »

Big Ghost

Peut-être pas grand-chose si ce n’est la « cause » qu’il représente et qui l’a conduit à entreprendre ses diverses mutations, de blogueur à producteur / peintre / directeur artistique, et qui anime encore sa musique des années plus tard. Dans les années 1990, Big Ghost se disait déjà capable d’improviser 30 minutes de bars sur ses propres productions, qu’on imagine évidemment façonnées dans un quartier de New York avec son acolyte Hector Puente Colon Jr. Plus de deux décennies plus tard, on trouve encore des résidus de Big L, Organized Konfusion ou DJ Ogee dans ses influences, comme lorsqu’il emprunte à ce dernier la boucle de “Metal Thangz” des Street Smartz pour recréer l’odeur de poudre qui tapisse le « Coke Casa » de Hus Kingpin. Ce monument oublié du rap underground new-yorkais, qui atterrira également chez Gang Starr ou Rakim pour « When I B On Tha Mic », Big Ghost s’assure de sa transmission, d’en prolonger les traces mémorielles en l’adaptant au coke rap fumeux des années 2010 et à ses textures plus modernes et étouffées. « This is pure grimy NY hip-hop in its purest form » aime-t-il rappeler en interview, comme s’il fallait signifier une énième fois son appartenance au mouvement.

Toutefois, il ne s’interdit pas non plus, comme lorsqu’il propose de revisiter le Black Album de Jay-Z avec ses propres productions, de puiser également dans celui des années 2000. Toute influence est bonne à prendre dès lors qu’elle est prétexte à mettre en scène sa propre vision, ouvertement à contre-courant des tendances mainstream de l’industrie dans laquelle il avance masqué, et ce depuis les premières lignes publiées sur Big Ghost Chronicles. Il est finalement un artisan patient, entouré, méticuleux et à la vision rigoureuse, peu enclin à la concession mais pas non plus largué par la « nouveauté », profitant de la vague du boom-bap revival pour s’offrir une première jeunesse. Comme la poudre qui débarquait aux États-Unis il y a de ça plusieurs décennies, il se sera inséré dans la musique par la petite porte, faisant des réseaux souterrains son terrain de jeu à la manière des Richard Porter et « Whitey » Bulger qu’il affectionne tant. À la différence que chez lui, le rêve américain prend un tournant dystopique et appelle à la Révolution, comme lorsqu’il mobilise, sur The Ghost of Albizu, la figure de Don Pedro Albizu Campos, avocat et homme politique condamné à 26 ans de prison pour avoir tenté de renverser le gouvernement américain en place à Porto Rico au XXème siècle. Imbriquées systématiquement et tout au long de son parcours diffus, depuis Big Ghost Chronicles jusqu’à ses nombreux albums, ce sont toutes ces obsessions qui finissent de dresser le portrait-robot de ce personnage empli de mystère, et du conglomérat qui l’accompagne. Inutile cependant de lui demander sa recette. « No, no, no, family secret », répondra-t-il sûrement.


Retrouvez notre playlist consacrée à Big Ghost LTD sur Spotify.

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1 commentaire

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  • Dannlee,

    L’article est excellent
    Merci à l’auteur.
    Peut être un futur article sur Al divino ou estee nack ?