C.S. Armstrong, la couleur du blues
Interview

C.S. Armstrong, la couleur du blues

C.S. Armstrong a deux choses en magasin : une voix singulière et un sacré talent pour écrire des chansons. Désormais, ce sont tous les grands noms de l’industrie qui accourent pour travailler avec lui, et son dernier album, Truth Be Told, est un point d’orgue dans un parcours sur le point de changer.

et Photographies : T.ELI et Jo Lenz.

Le parcours de C.S Armstrong est presque vertigineux. Récemment mis sur le devant de la suite de son affiliation avec Dr. Dre et tout ce que la scène californienne compte de talents, de Terrace Martin à Kendrick Lamar, la carrière de cet homme de l’ombre a en réalité débuté il y a longtemps. Et à la lumière de ses multiples collaborations et EPs, difficile de ne pas le qualifier de vétéran du circuit. Il semble pourtant habité par même passion qu’un jeune artiste qui découvrirait, les yeux brillants, toutes les promesses d’une carrière s’ouvrant à lui. Généreux, souriant et animé, C.S Armstrong se dévoile avec enthousiasme, ravi qu’un média français le laisse raconter son histoire : une conversation à l’image de son identité artistique, à la croisée de plusieurs genres, brouillant les frontières entre blues, soul, jazz et rap, mettant un point d’honneur à ne jamais s’interdire de tenter des choses. En précisément ce point, le chanteur reste à des moments de notre discussion difficile à cerner. Loquace sur certaines de ses facettes. Presque indolent sur d’autres. C.S. est aussi un artiste qui semble avoir appris à ne pas trop en dire car ses paroles sont déjà remplies de ses secrets de famille. Désormais épanoui sous le soleil de L.A., où il a trouvé une nouvelle terre d’accueil, mais les deux pieds ancrés dans son Houston natal, il n’oublie pas non plus les épreuves qu’il a connues, et qui continuent de nourrir sa voix et ses chansons. Avant un premier album qui devrait finir de l’imposer comme un acteur de premier plan dans l’industrie, rencontre avec un homme qui semble avoir déjà vécu mille vies.

Pour accompagner cette interview, retrouvez notre playlist dédiée à C.S Armstrong, entre morceaux en solo et invitations. 


Abcdr Du Son : Quand on regarde tes crédits et les gens avec qui tu as travaillé, on se rend compte que tu as collaboré avec des artistes venant d’endroits très différents. Rapsody est de Caroline du Nord, Statik Selektah de New York, Brother Ali de Minneapolis et Blu & Exile viennent de Los Angeles. Comment est-ce que ces expériences entre ces différentes zones géographiques ont modelé ta musique ?

C.S. Armstrong : Chacun a son propre style. Je suis allé au lycée en Caroline du Nord, ma mère vient de là-bas. Ils ont un son rugueux, c’est du Rap sudiste mais avec des rythmes cools. Blu & Exile ont un vrai style de L.A. En fait, je suis comme une éponge : je leur emprunte des choses et ils s’inspirent de moi aussi. À chaque fois que je travaille avec quelqu’un, le processus est toujours sain.

A : Quel est ton mode de réflexion quand tu travailles avec ce type d’artiste ? Est-ce que tu essayes de t’adapter à leur son, ou est-ce que vous vous rencontrez au carrefour de vos influences ?

C.S. : Je ne réfléchis jamais, je vais simplement être moi-même, à 100 %. Si ça leur plaît, c’est cool, et si ça ne leur plaît pas, je suis OK avec ça aussi. Si je réfléchis trop, ça va être mauvais, et je ne me sentirais pas moi-même. Avant, je pensais beaucoup à tout ça, mais maintenant, j’essaye simplement d’être sincère et honnête, et quand je fais ça, en général, le résultat est bon.

A : C’est vrai que sur “Burn” par exemple avec Rapper Big Pooh, tu arrives à garder ton identité, tout en apparaissant sur le titre de quelqu’un d’autre. Quand on t’écoute, on te reconnaît immédiatement.

C.S. : Hier, un pote à moi me disait que mon son avec Blu & Exile était joué sur la radio Soulection. Je ne le savais pas. Il m’a appelé en me disant « Yo, j’ai écouté cette chanson, et j’ai entendu une voix sur le refrain, et j’ai su direct que c’était toi qui chantais ! ». Et je me suis dit que c’était dingue, car avant j’étais mal à l’aise à l’idée d’avoir une voix différente de tout le monde. Maintenant, c’est justement ce qui me plaît. C’est cool d’être différent.

A : Comment est-ce que tu réussis à rester toi-même, dans ta musique ? C’est l’une des choses les plus difficiles à faire en tant qu’artiste.

C.S. : C’est quelque chose qui arrive avec l’expérience. Ça vient avec le fait de perdre des choses, de connaître des victoires et des échecs. Tout cela enlève petit à petit les couches de ce que tu croyais être « cool ». Et tu te dis « putain, mec, je vais être moi-même, que ça plaise ou non, peu importe ». Au début, tu cherches l’approbation des autres, tu te demandes si la personne que tu es va leur plaire. Et puis, comme je disais, quand tu perds quelque chose, tu finis par te dire que tu préfères perdre en étant toi-même que gagner en étant quelqu’un d’autre.

A : Est-ce que tu te souviens à quel moment tu t’es rendu compte de ça ?

C.S. : Il y a eu plein de choses. Quand ma grand-mère est morte, ça a changé quelque chose en moi. J’ai aussi perdu mon équipe de management, je me suis fait virer de mon label. Mais j’ai vu tout ça comme une étape de plus vers ce que j’étais censé devenir. Je ne vais pas m’arrêter, je ne le peux pas, et ça a été juste une épreuve avant que je devienne meilleur.

A : Tu as beaucoup changé de nom. Tu es passé de Rocki Evans, à Chauncy Sherod, et maintenant tu es C.S. Armstrong. Est-ce que c’est lié à cette volonté d’évolution, comme une manière de laisser le passé derrière toi ?

C.S. : Il ne s’agissait pas d’oublier le passé, parce que tu ne peux pas te débarrasser de ce qui est arrivé. Je suis très attaché au passé. Comme je le disais, ma grand-mère est morte et je me suis mis à me faire appeler par mon vrai nom, Chauncy Sherod. Rocki Evans était un nom que j’avais inventé car je ne voulais pas que des gens en dehors de ma famille m’appellent Chauncy, je me disais que c’était quelque chose qui n’était réservé qu’à mon cercle proche. Quand ma grand-mère est décédée, je me moquais que des gens m’appellent Chauncy ou n’importe quel autre nom.

A : Le blues est une partie essentielle de ton identité artistique. Sur ton site web, tu te décris comme un « bluesman » et tu as même un tatouage « BLUESMAN » dans le dos. Pourquoi est-ce que cette musique est si importante pour toi ?

C.S. : Le blues est mon premier amour. J’ai découvert le blues à l’église, en écoutant des pasteurs comme G.E. Patterson et C.L. Franklin [père d’Aretha Franklin, NDLR], c’étaient mes premières sources d’inspiration. Quand je parle du « blues », je parle de l’esprit de cette musique. Tu peux l’appeler comme tu veux, mais le blues est comme la musique sacrée pour moi, c’est du Gospel, la spiritualité. Et je suis quelqu’un de très spirituel, je suis un homme du Gospel. Par extension, je suis un bluesman.

A : C’est intéressant, parce qu’à l’époque, le blues était perçu comme la musique du diable, les gens de l’église ne voulaient rien avoir à faire avec ça.

C.S. : Oui mais pour moi, c’est similaire, c’est la même source.

A : Est-ce que le chanteur Bobby Blue Bland t’a inspiré ?

C.S. : Ouais, mec. [Il s’approche de la caméra pour montrer un tatouage qu’il a sur l’index de la main droite, deux « B » en lettres capitales, comme Bobby Bland]. C’est mon gars. Une petite anecdote puisque tu mentionnes Bobby Bland : quand je suis arrivé à Los Angeles, mon superviseur musical m’a demandé de faire une reprise de la chanson « Ain’t No Love In The Heart Of The City ». À cette époque, je ne savais pas où dormir, je passais la nuit sur des canapés, ce genre de trucs. J’ai enregistré ce son dans un placard, sur Garage Band, et c’est devenu mon titre le plus écouté. Et je l’ai enregistré le jour de l’anniversaire de Bobby Bland !

A : Ta voix est râpeuse, comme celle de Bobby Bland. Il fait le genre de musique que tu as envie d’écouter pendant la nuit, en buvant un verre et en réfléchissant à plein de choses. Ta musique est similaire.

C.S. : Mec, je ressens ça aussi.

A : Qu’est-ce qui te plaît chez Bobby Bland ?

C.S. : Ce que j’aime le plus, c’est son honnêteté. Si t’es un vrai fan, quand il commence à prendre sa voix râpeuse là [Il imite le son de sa voix], tu deviens dingue à chaque fois. J’adore ce truc. Il a fait un album avec B.B King, et je suis un très grand fan de B.B King aussi. C’est comme ça que j’ai découvert Bobby Bland.

A : Sur le titre “Real (Where I Come From)”, tu prends ton inspiration chez les bluesmen du Delta, comme Charley Patton, Son House… Est-ce que tu peux nous décrire comment ce son a été construit ?

C.S. : Ça a été produit par J.LBS, c’est lui qui a fait « Lockdown », d’Anderson .Paak et Jay Rock récemment. C’est moi qui joue de la guitare là-dessus [Il imite le motif avec sa voix]. On s’est éclatés. J’aime toujours mettre des références à l’endroit d’où je viens dans ma musique. Comme vous pouvez le voir, je viens de Houston [Il montre le jersey de l’équipe NBA des Houston Rockets qu’il porte sur lui]. Quand j’écris, je pense à Pimp C, à UGK, et je laisse Dieu s’occuper du reste. « Real (Where I Can From) » est l’un de mes sons favoris.

A : Si on parle de Soul maintenant, tu rends hommage à Sam Cooke sur « Nobody », où tu parles notamment des épreuves par lesquelles tu es passé. Est-ce que Sam Cooke a été quelqu’un d’important pour toi ?

C.S. : Mec, son nom pourrait être l’un de mes nouveaux tatouages, il faut juste que je trouve le bon endroit où le faire. J’ai l’impression que les gens l’ont sous-estimé. Les Marvin Gaye, Al Green, Otis Redding et Curtis Mayfield sont tout le temps célébrés, mais Sam Cooke était une bête. Il était trop fort. Et les gens ne savent pas qu’il a aussi lancé la carrière de Bobby Womack. Donc ouais, à fond, je suis beaucoup influencé par lui, probablement plus que par quiconque. C’est une icône.

A : Au début de cette interview, on disait qu’il était facile de te reconnaître, mais ce n’est pas entièrement vrai. Tu peux rapper, chanter, être un bluesman ou un chanteur de Soul, et c’est parfois difficile de savoir où tu te situes. Un artiste comme Screamin’ Jay Hawkins était comme ça aussi, avec plein de facettes différentes. Est-ce que c’est pour ça que tu as repris son « I Put A Spell On You » ?

C.S. : Absolument, c’est l’une des raisons. J’ai repris cette chanson à plusieurs moments de ma carrière. La dernière fois que je l’ai fait, c’était avec Taz Arnold, du groupe Sa-Ra. Taz est un gars très stylé, pas seulement au niveau de son style vestimentaire, mais aussi dans sa manière d’envisager sa musique. C’était son idée et je l’ai exécutée. On a enregistré ça en une prise, à cinq heures du matin. J’aime beaucoup ce titre.

A : Sur “FYALL”, tout est chaotique, presque confus, et sur un son comme “Let It Flow », on dirait que plusieurs personnes chantent en même temps. Comment est-ce que tu travailles ce genre de beats ?

C.S. : Je pense que ça me vient de Dr. Dre. Dre est quelqu’un de très stratégique. Il va te faire travailler sur l’intro, puis sur le premier couplet, le refrain, le second couplet, etc. Je travaille avec lui depuis trois ans, mais quand je suis sans lui, quand je suis dans mon propre processus créatif, je fais les choses différemment. Je ne découpe pas autant le beat en plusieurs sections. Quand j’en écoute un, je me demande juste ce que je vais pouvoir faire pour rendre toutes les parties aussi singulières que possible, et je vais toujours essayer de les améliorer jusqu’à ce qu’elles soient spéciales.

A : Ta façon de séquencer ta musique, la manière dont tu l’écoutes, tout ça t’est venu de Dre ? Qu’est-ce que cette collaboration t’a apporté ?

C.S. : Absolument, à 100 %. J’ai appris à tirer le meilleur de chaque section du beat, à le faire respirer et à apprendre à lui laisser de l’espace. J’ai appris tellement de choses auprès de Dre que l’on pourrait en discuter pendant des heures, ce pourrait être le seul sujet de l’interview. Maintenant que je parle de ça à voix haute, je me rends compte à quel point c’est quelqu’un de concentré sur ce qu’il fait, et il t’apprend des choses que tu peux appliquer à ta vie de tous les jours. Quand les gens écoutent vraiment ma musique, ils se rendent compte, comme tu l’as dit, qu’il y a des voix et des flows différents, et tout ça est intentionnel. Plein de choses se passent en même temps, mais il n’y a qu’un seul élément qui guide toute la chanson.

A : Pourquoi est-ce que tu fais des chansons aussi courtes ? Beaucoup durent moins de deux minutes.

C.S. : Plein de gens me demandent pourquoi mes sons sont aussi courts. Mais je ne fais pas ça exprès. Parfois je fais des titres plus longs et je me demande moi-même pourquoi. Si le deuxième couplet n’est pas aussi bon que le premier, je ne vais pas forcer et laisser ça tel quel.

« Je suis quelqu’un de très spirituel, je suis un homme du Gospel. Par extension, je suis un bluesman. »

A : On a l’impression que tu as connu à New York ta première expérience de musicien, avec CharlieRED. Quel était ton plan en déménageant à New York ?

C.S. : CharlieRED est arrivé un peu plus tard en fait. Quand j’ai déménagé à New York, mon plan était de devenir le meilleur artiste possible. Je venais tout juste de sortir de l’armée. Je dormais sur le canapé de mon ex. Je suis allé dans tous les studios, ai rencontré tous les labels, managers, j’ai tout fait. Au moment de CharlieRED je me suis dit « nique l’industrie », je peux tout faire seul.

A : Qu’as-tu appris à New York ? Beaucoup disent que c’est l’une des villes les plus dures, avec plein d’artistes qui essayent aussi de faire carrière.

C.S. : New York m’a épuisé. J’ai beaucoup donné de moi-même là-bas. J’ai appris que tu contrôles ce que tu donnes aux gens, et que tu n’as pas forcément à être à 100 % tout le temps. Si je pouvais donner un conseil, ce serait de prendre les choses tranquillement, et de bien réfléchir avant de plonger dans toute cette merde. Car tu vas te retrouver avec ce groupe, dans cette fête, à cet événement…. Je suis un gars de la campagne de Houston, au Texas, qu’est-ce que je vais foutre dans une fête new-yorkaise avec tous ces gens ? Quand j’ai déménagé à L.A., je me suis rendu compte que je n’avais pas à faire toutes les merdes que je faisais à New York.

A : À propos de CharlieRED, tu as dit que c’était une période où ton état d’esprit était “nique l’industrie”. Pourquoi ?

C.S. : À cette époque, j’étais signé sur Epic Records. La présidente s’est fait virer et quand elle est partie, tous les contrats des artistes qu’elle avait signés sont partis avec elle. Nipsey était signé sur Epic à ce moment aussi : on a travaillé ensemble sur une chanson produite par Cookin’ Soul. Après ce qui s’est passé avec Epic, plus personne ne voulait bosser avec moi. J’en avais marre, j’étais prêt à retourner à Houston. Un gars de BMI m’a alors appelé et m’a demandé de venir rencontrer un producteur, mais j’étais fatigué par tout ça. J’ai quand même accepté de venir avec lui et il m’a amené dans une salle où ça jouait du rock’n’roll. Je lui ai demandé « mec, tu m’as fait venir du Bronx pour écouter ce truc ? ». Je suis resté un peu et suis reparti chez moi. Le jour suivant, on m’a appelé pour bosser sur une chanson pour la marque Victoria’s Secret, et le producteur avec qui je devais travailler était le type qui jouait la veille dans la salle de concert. On a commencé à collaborer, fait plein de chansons, puis on a formé un groupe. Grâce à tout ça, j’ai obtenu mon premier placement, pour une publicité Playboy.

A : Pourquoi est-ce que tu as déménagé à Los Angeles ? Sur The Blue Tape, tu as un son qui s’appelle « Hollywood Smiles », où tu parles de cette ville.

C.S. : Je suis allé là-bas parce que je voulais avoir de l’espace et l’esprit clair pour prendre mes propres décisions. J’ai fait des erreurs et ai connu des succès ici, et j’ai appris à ne jamais faire confiance à un sourire hollywoodien [« Hollywood Smiles », NDLR]. Les gens vont te dire un million de choses, te faire plein de promesses, et tu vas y croire, être enthousiaste et prêt à travailler. Mais ce ne sera qu’un tissu de conneries. Il faut te focaliser sur toi, peu importe où tu es. C’est dur partout parce que la vie elle-même est dure.

A : Est-ce que tu as une équipe derrière toi pour t’aider ?

C.S. : En l’espace de deux semaines, je viens d’engager un manager, une équipe visuelle, un publiciste et un avocat. Maintenant j’ai des gens avec moi, mais le mois dernier ce n’était pas le cas.

A : Cette année est sorti un excellent EP de Tae Beast et Nick Grant. Le point commun entre toi et cet EP sont les studios Truth et un homme nommé Nick Breton. Est-ce que tu peux nous parler de lui et de ces studios ?

C.S. : Mec, c’est une question à la Nardwuar ça ! [Rires] Je sais qu’on ne se ressemble pas mais Nick est mon frère. À l’époque de CharlieRED, il m’a ouvert les portes de son studio et ne m’a jamais demandé un dollar. Il me laissait être là-bas pour que je comprenne comment sonne ma voix et pour que je puisse expérimenter plein de choses. On a dû faire au moins vingt clips Live aux studios Truth. Cet endroit a changé ma vie.

A : Pourquoi est-ce que Los Angeles a une vibe différente des autres villes ? Récemment, Freddie Gibbs a enregistré son album Bandana là-bas, Nipsey Hussle aussi et à un moment, même Chief Keef a déménagé là-bas.

C.S. : Je n’y ai jamais vraiment pensé. Je ne pense pas comme ça, en termes de frontières. Je pense que tout dépend de toi. Que je sois à Los Angeles, en Louisiane, dans le Texas ou en Alabama n’a pas d’importance pour moi, je me sens bien où que je sois. Quand j’étais à New York, je me disais « putain si j’étais à Los Angeles, je serais l’artiste numéro un dans le pays »« si j’étais à Londres, je serais… ». Nique tout ça. Tu dois être bon, c’est tout. Je vis dans un appartement avec deux chambres à Los Angeles, et j’ai pourtant l’impression d’être millionnaire. J’imagine que je pourrais te dire que j’ai été attiré par des trucs basiques, comme les plages et les palmiers… Si tu viens ici pour ça, c’est cool, mais moi je m’en fous. J’ai une famille que j’aime, et Dr. Dre est l’une des raisons pour lesquelles je reste concentré sur ce qui est important pour moi, il me permet de ne pas m’égarer. Et je suis exactement là où je dois être avec… [Il prend un micro sur le sol et l’agite devant la caméra] ce micro dans ma main. C’est à ça que ressemble Los Angeles pour moi, donc peut-être que je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question [Rires].

A : On a parlé de Los Angeles mais nous souhaitions aussi évoquer Houston. Cette ville a une place importante dans ta vie. Dans le morceau “TRC (Things R Changin’)” tu dis “Je me rappelle d’où je viens mais je sais où je vais, je ne vais faire que progresser à partir de maintenant”. Est-ce lié aux années passées à Houston ?

C.S. : Ma manière de chanter, de me saper, mon argot, mes dents, tout a commencé à Houston. Je sais d’où je viens. Je me rappelle être parti pour l’armée, je me remémore tout mon parcours et je sais que tout a débuté là, j’ai traversé les enfers pour arriver où je suis maintenant.

A : Corrige-moi si je me trompe mais par moments, tes influences de Houston ne se reconnaissent pas instinctivement dans ta musique à l’exception du morceau “Swang”.

C.S. : [Il nous coupe la parole] J’adore cette musique mec !

A : Tu désirais écrire ce morceau dans le but de rendre hommage à tes racines ?

C.S. : [Sans se soucier dans notre question, C.S. Armstrong se met à chanter le morceau] “I ain’t got to do… I ain’t got nothing to do… I ain’t got nothing to do but swang…”  Ce morceau c’est de l’impro ! Pourquoi je souhaitais le faire… Encore une fois, je m’excuse par avance, je ne veux pas faire preuve de mauvaise volonté mais je ne réfléchis à tous ces schémas. Je ne me dis pas “Pourquoi vais-je faire ce morceau ?” J’ai juste le son en tête et ça sort ! On a commencé à faire le Crip-Walk, je n’en sais rien, le truc est parti dans ce sens ! Et en réalité, je suis de Houston, je n’ai pas à faire semblant.

A : Est-ce que la scène de Houston résonne en dehors de son aspect local aux États-Unis ? Est-ce que tu ressens que de nos jours, beaucoup de rappeurs rendre hommage à cette ville ?

C.S. : Oui, Drake, A$AP Rocky, Frank Ocean, tout le monde est inspiré par la ville. Mais je suis encore plus inspiré par Archie Bell and the Drells, dans notre agglomérations tu as plein d’autres choses qui sont tout autant phénoménales. La scène jazz est folle et une mention spéciale aussi à la Texas Southern University. Tu as les fanfares. L’histoire de Houston est riche et même si UGK ou encore OG Ron C sont une partie du patrimoine à jamais mais de l’autre côté, tu as aussi beaucoup plus.

« Je ne pense pas en termes de frontières. Que je sois à Los Angeles, en Louisiane, dans le Texas ou en Alabama n’a pas d’importance pour moi. »

A : Nous avons parlé de Dr. Dre mais une autre personne est tout aussi centrale à Los Angeles : Terrace Martin. Tu as bossé avec lui ?

C.S. : Je vais vous confier un truc que je n’ai encore dit à personne, Terrace Martin et moi-même avons un album ensemble. Alors oui, je travaille avec lui. Je l’ai rencontré au hasard dans un magasin d’alcool et Dr. Dre, lui, c’est un rappeur nommé Thurz qui m’avait invité à faire un refrain en studio. Je m’y suis pointé, j’écoute la musique et me laisse emporter par l’improvisation… Je ferme les yeux, les ouvre et Dr. Dre était devant moi. Mec, je n’en sais rien. [Il semble encore surpris de sa rencontre à l’évocation de celle-ci ou bien est un très bon acteur]

A : Par la suite, pourquoi tu penses que Dr. Dre a décidé de travailler avec toi ?

C.S. : Je pense être une personne honnête, très terre-à-terre, et Dr. Dre l’est tout autant. Il ne traîne pas non plus avec les mecs qui ont un ego surdimensionné. On se respecte mutuellement. On discute avec transparence et franchise. Si je l’appelais maintenant, je sais qu’il décrocherait à la première sonnerie. Je devrais le faire juste pour te prouver que je ne mens pas mais je ne le ferais pas. C’est juste un type génial sur qui on peut compter. C’est Andre Young. S’il n’était pas Dr. Dre, je traînerais toujours avec lui.

A : Tu parles énormément de toi dans ta musique et en parallèle, il est dur de trouver des informations à ton sujet. Comment tu as commencé faire de la musique ?

C.S. : C’était juste une transition naturelle pour moi. Je faisais de la musique à l’église. J’ai perdu et gagné des radios-crochets, donc en sens, j’ai toujours fait de la musique. Mais à l’âge de seize ans, j’ai commencé à enregistrer dans un vrai studio. À partir de là, spontanément et toujours dans une logique de progression, quelqu’un m’a remarqué à Houston et cette personne était Mathew Knowles. J’ai commencé à travailler avec lui dès cet instant, c’était à l’époque où Destiny’s Child entamait leur dernière tournée et Beyoncé s’apprêtait à être celle qu’on connaît tous désormais. Puis à dix-huit ou dix-neuf ans je suis allé à l’armée. [Il semble reprendre rapidement le fil de la question] Et oui, j’ai toujours fait de la musique, c’est une partie de moi, je n’avais pas de raison particulière à en faire, j’ai juste eu l’opportunité de m’améliorer petit à petit.

A : Truth Be Told qui est ton premier album en solo ressemble à l’œuvre d’une personne presqu’à la fin de sa carrière. Un artiste qui se recule, se regarde et raconte des choses très personnelles. Quel était le but de cet album pour toi ?

C.S. : Truth Be Told… Cet album… La première fois que je suis allé à Berlin c’était dans l’optique d’enregistrer un show pour Colors, la chaîne YouTube. Là-bas, je me suis connecté à un producteur qui s’appelle Torky. Précisément la première fois qu’on a travaillé ensemble, on a fait cinq morceaux que tu peux retrouver sur l’album. Dans la foulée, je devais partir le lendemain et avant de prendre mon vol, deux morceaux ont été réalisés. Par la suite, il est venu à Los Angeles, on a fait trois ou quatre morceaux de plus, on a pris un peu de recul et mince, on avait empilé onze morceaux ! Je crois que lorsque tu touches la partie en moi qui est honnête et que je suis au contact de gens bienveillants, bons, la musique s’en ressent et Truth Be Told est un de ces instants. Avec Torky, on parle à peine. Attends, laissez-moi vous mettre un truc. [Il branche son téléphone portable sur des haut-parleurs pour nous faire écouter un titre inédit] Mec ça sort tout simplement de moi, c’est la musique. Vraiment, on ne se dit pas un mot. Il joue… Et moi je pars.

A : Ce matin sur Instagram tu parlais de la dépression et des tentatives pour en sortir. Dans ton album, il semble y avoir deux côtés. L’un positif et éclairé. L’autre, plus sombre. Est-ce quelque chose d’intentionnel de ta part ?

C.S. : La vie est une dualité. J’essaie toujours d’avoir ces deux côtés. Beaucoup de gens me comparent à un chanteur qui s’appelle Bilal, il a une musique “Sometimes”. [Il chante instinctivement] “Sometimes, I wish I wasn’t me… Sometimes, I wish I was drug-free…” Mon truc préféré c’est à chaque fois où il évoque le mot “sometimes”, il altère complètement la structure du titre. Parfois, j’aimerais être sobre… Mais parfois ! Et parfois, j’aimerais aussi fumer. J’aime cette dualité dans une personne, quelles seraient les possibilités si une personne était plus comme ça ou alors inversement.

A : Dans le titre “Rain In The Ghetto”, tu dis “Ain’t much changed in the ghetto”. Pourquoi selon toi ?

C.S. : Mec je pense que Nipsey… [Il reprend d’emblée le cours de sa phrase] Les décès, toutes ces choses quotidiennes, ma famille en Louisiane et Houston qui traverse tout un tas d’épreuves. C’est malheureux qu’on en soit encore là : faire face à des trucs qui traînent depuis les années 90.

A : Tu as parlé de Nipsey Hussle mécaniquement dans ton début de réponse, est-ce un hasard ?

C.S. : J’ai réalisé le morceau après son décès et seulement après, j’ai repensé à ce morceau. Comme je te le dis, rien n’a trop changé dans le ghetto. Mais une fois de plus, je n’ai pas grandi ni été éduqué avec la musique hip-hop. En revanche, quand il a été abattu, mes proches, mes cousins, mes petits frères, tous avaient du respect pour Nipsey. Il aurait pu être mon frère, mon oncle, mon cousin et son départ, je l’ai ressenti à ce niveau et c’est malheureusement par pure coïncidence que “Rain In The Ghetto” correspond aussi à ce sentiment.

A : Pourrais-tu dire à quoi correspond le titre de ton dernier EP, 11911 et comment as-tu rencontré le producteur Kal Banx ?

C.S. : C’est l’appartement dans lequel mon oncle et moi-même avons grandi. Pour Kal Banx, un ami à moi qui s’appelle SiR était au studio Record Plant et souhaitait que j’écoute son album Chasing Summer. Une fois écouté, j’étais époustouflé, je me suis dit que les gens allaient adorer. Par la même occasion, il m’a demandé si j’avais des trucs à lui jouer. Je lui ai fait écouter des morceaux et une des personnes à avoir répondu positivement était Kal Banx. Et depuis, nous sommes en bons termes.

A : Pour revenir rapidement sur l’actualité récente, avec le tragique décès de George Floyd, le rap américain s’est montré très engagé sur le sujet.

C.S. : Je pense qu’il aurait dû l’être encore plus. Je considère qu’il ne devrait pas s’arrêter, je vois les choses aller au-delà de nos frontières, tu as des manifestations même à Berlin et je pense qu’il doit continuer, perdurer dans le temps.

A : Deux dernières choses. La première, peux-tu nous dire où se trouve le projet SLINGSHOT EP ? [Sur sa page Soundcloud, courant juillet C.S. Armstrong avait publié l’intégralité de son EP]

C.S. : [Il se met à rigoler] On va passer d’abord à la seconde question et je reviendrai ensuite dessus.

A : Le producteur Jay Versace réalise une année surprenante. Il a commencé avec des vidéos humoristes sur Vine et aujourd’hui se trouve sur l’album Pray For Paris de WestSide Gunn. [Après notre interview, le rappeur Boldy James réalisera un album commun avec ce dernier, NDLR] Qu’est-ce qui t’a incité à croire en sa musique ?

C.S. : Il m’a contacté en premier, juste en tant que fan de ma musique mais je n’ai pas pris le temps de l’écouter sans trop savoir pourquoi. Puis, je me souviens être allé au ciné avec mon ami Luke James pour voir le film Just Mercy et nous nous sommes rencontrés là. On s’est retrouvés à être les deux seules personnes à discuter et rire. On a échangé nos numéros, je suis allé chez lui et c’est un peu le même processus que pour Torky. Si tu me joues un truc qui est honnête, franc, je vais tenter de réaliser quelque chose dans la même veine. Et on s’est rencontrés à mi-chemin, on a fait des morceaux qui sont incroyables et j’espère un jour qu’ils pourront sortir… À temps. Mais je n’en sais rien en vrai, il faut aller lui demander ! [Il se met à rire] Mais je me rappelle bien, à partir de l’instant où j’ai commencé à bosser avec lui, les gens réagissaient tous de la même manière “Le mec de Vine ?! C’est le producteur avec qui tu bosses ?” et moi j’étais là “Je vous promets, il est chaud !” Dans l’absolu, la plupart n’étaient pas au courant mais il travaillait dans son coin depuis déjà un moment. Et aujourd’hui, comme vous l’avez souligné, il réalise une belle année, réussit à placer ses prods, maintenant, regardons où tout ça le mène.

A : Pour terminer, tu disais ce matin que tu étais sur le point de réaliser un tas de musique les mois qui arrivent, une trentaine de morceaux. Tu as déjà eu une grosse année 2020, on dirait que tu sors de la musique chaque semaine, chaque mois, à quoi on peut s’attendre.

C.S. : [Il prend son inspiration avec un sentiment de confiance affirmé] Sérieux… Je pense que ça va être tellement fou, c’est tout ce que je peux dire ! [Il se met à rire] Tu vois, je ne suis pas autorisé à vous dire que telle personne qui a fait telle vidéo sera à mes côtés la semaine prochaine puis à la fin de ce mois. Ça va être “arghhh”, je suis trop impatient ! Je n’ai pas le droit de le dire, mais à la fin du mois, il y aura quelque chose de spécial. Et au début du prochain aussi. Probablement jusqu’à la fin novembre, il y aura des surprises.

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