Blastar raconte sa discographie
Production

Blastar raconte sa discographie

« Que pour les vrais », « Tokyo Narita » ou « Obama Said » ont un point commun : avoir été composé par Blastar, producteur caméléon bien décidé à faire résonner ses nom et son au-delà du rap.

Avec l’aide de Lucie.

Le lieu est familier. Une allée pavée et fleurie, du côté de Gare du Nord. Si vous avez lu nos interviews d’Oumar et Joke, vous l’auriez probablement aussi reconnue. Au fond de cette allée ne nous est pas parvenue une musique qui en ces lieux paraîtrait irréelle, mais nous attendait Blastar. Sourire franc, politesse naturelle, le producteur de Golden Eye Music a plus des airs d’étudiants en école de commerce que de compositeur habile et tout-terrain. Pourtant, alors qu’il peaufine l’album de Joke, Blastar sait qu’il n’a plus rien du jeune premier, même s’il sent qu’il a encore des choses à montrer.

Pendant quelques années, on avait pu le confondre avec Wealstarr, autre compositeur électrique apparu au milieu des années 2000. Mais Blastar a tout fait pour se faire remarquer et avoir un style bien trempé. Plutôt même du genre acier trempé. Avec des inspirations penchant fortement vers la Californie, Dr. Dre et DJ Khalil en tête, le producteur val-de-marnais a accompagné cette période où une grande partie du rap françilien s’est transformé pour le meilleur et pour le pire en musique de séance de muscu. Une musique sans doute aussi assombrie par une énorme gueule de bois post-émeutes de 2005. Dans ce son massif et froid, Blastar a pris le parti d’y injecter un peu plus de mélodie et de nuances en puisant dans son bagage musical caribéen et religieux. Pour chaque « Frais », « Le Code de la rue » ou « Dinguerie », il avait dans son sac des « Obama Said » ou « Réel ». Une longue collaboration avec Mac Tyer, des titres remarqués pour Rohff, Kery James et Kennedy : le « Dream Maker » Blastar a surtout réalisé son propre rêve de devenir un nom synonyme de polyvalence et de qualité.

Mais Blastar, avec ses co-équipiers de Golden Eye Music (Cannibal Smith et Richie Beats) et leur tête pensante Oumar, a aussi nourri d’autres ambitions. En voulant développer les identités sonores de Dixon, puis de Joke, Blastar s’est lancé un double défi : faire grimper la cote de ces rappeurs méconnus, et essayer de devenir un vrai maestro avec une vision d’ensemble. Si l’aventure Dixon a avorté plus tôt que prévu, Ateyaba, premier long format de Joke, a souligné toute la volonté de Blastar et de son équipe de penser un album dans ses moindres recoins musicaux, et adapté à la personnalité du rappeur. Une ligne de plus dans un CV encore loin d’être définitif d’après Blastar.


Abcdr du Son : Est-ce que tu peux nous raconter tes origines ?

Blastar : Je viens du 94, j’ai grandi à Saint-Maur-des-Fossés. C’est une ville où les gens ont un niveau de vie assez élevé, mais moi, j’ai grandi à la frontière de Créteil. Juste à côté il y avait la cité du Pont-de-Créteil, où j’avais quelques amis qui m’ont fait découvrir le rap. J’avais aussi des amis sur Ivry, sur Vitry : la Mafia k’1fry, Kery James, Manu Key, ce sont des choses qui ont bercé mon enfance. En grandissant, il y a un autre style de rap qui m’a particulièrement marqué, c’est celui de Marseille, IAM, La Fonky Family. Le rap du 94 était très urbain, centré autour de la réalité, de l’authenticité. Mais avec IAM, on était sur quelque chose de plus large, avec des thèmes un peu plus créatifs, un peu plus mystiques. Ça me parlait aussi.

A : À quel moment tu as commencé à jouer de la musique ?

B : Tout s’est déclenché lors du Noël de mes six ans. Mon père m’a offert un synthé, sur lequel j’ai joué toute la nuit. Ça m’a amené à faire des compositions dès dix ou onze ans. Après ça, mon père m’a acheté un plus gros synthé. Ça m’a donné encore plus envie de faire de la musique, acheter du matos, et commencer à faire des prods.  Je jouais du rock, des ballades, j’essayais de reproduire ce que j’entendais à la télé. C’est après qu’est venu le rap, avec mon deuxième synthé. J’essayais de reproduire des rythmiques, des basses, de comprendre comment était faite la musique. Je n’avais pas forcément la connaissance qu’il fallait pour sampler. C’est à force de jouer que j’ai compris les plusieurs étapes pour faire de la musique : la rythmique, la basse, les mélodies… Je m’enregistrais sur cassettes à l’époque, j’en ai encore des tonnes !

J’ai monté mon petit groupe de rap au collège. On écrivait, on composait, on rappait à l’école. Quand il y avait des fêtes de fin d’année, j’avais mon synthé et je jouais tout seul devant tout le monde, je composais et les gens rappaient, c’était vraiment bien. J’ai aussi grandi dans le milieu gospel, j’ai oublié de le préciser ! J’étais au clavier, le dimanche, à l’église [rire]. J’ai accompagné des chorales, j’ai fait des chansons. C’est un vivier le gospel, il y a de super chanteurs, de supers musiciens, et pratiquement tout ça s’apprend sur le tas. Tu joues à l’oreille : débrouille toi pour accompagner [sourire]. C’est une vraie école. Et puis quand tu regardes les émissions type The Voice ou Star Academy, il y a toujours au moins un candidat qui vient de ce milieu. Le gospel, pour moi, c’est la soul en fait, t’exprimes tes sentiments, tes émotions envers Dieu, un être suprême.

A : Ton groupe ScorBlaz est venu ensuite ?

B : Ça s’est fait par le biais d’un ami d’enfance, Scorpius, et Brisco, son cousin. Brisco, qui est DJ, était très lié à la communauté afro-caribéenne, donc tout ce qui est musique antillaise. Il avait pour projet de monter une compil, et comme il savait que je composais, il m’a proposé de travailler avec lui. On a fait toute la musique, pour ensuite inviter des artistes afro-caribéens. À l’époque, c’étaient des one riddim, avec plusieurs personnes qui posaient sur une même chanson, et c’était la compétition ! C’est à partir de ce moment-là qu’on a créé l’entité ScorBlaz. On a fait notre compil, avec vraiment peu de moyens, avec notre réseau. Ce qui a fait vraiment monter la sauce, c’est notamment le morceau avec Admiral T, le « Grand Manitou ». Ça m’a permis de travailler avec lui, de faire la moitié de son album, et de travailler avec d’autres artistes caribéens. À partir de là, ma carrière a pu décoller dans la musique, passer d’amateur à semi-professionnel.

A : Qu’est-ce qui t’a fait vraiment basculer vers le rap ?

B : Ma rencontre avec Oumar, qui était à l’époque chez Première Classe. On s’est rencontrés pour une compil qui s’appelait Unity Records. À l’époque, j’étais chez Unity, un label caribéen. Oumar m’a dit qu’une compilation se faisait et qu’il voulait que je travaille dessus. Donc je lui ai proposé des sons. Ça s’est fait très rapidement, parce qu’il a une manière de présenter les choses aux artistes qui lui est propre. Il ne va pas seulement t’amener de la musique, il va te ramener des idées, une certaine réalisation. C’est ce qui a fait sa force.

Aujourd’hui on se comprend très vite ; s’il a une idée, je vais pouvoir la cristalliser, la matérialiser et la proposer à l’artiste. À cette époque, Première Classe 3 se préparait – mais n’est jamais sortie. J’ai pu proposer des prods à Mac Tyer, à Kery James, à Lino, à Despo Rutti. C’est là où j’ai pris vraiment une direction plus rap. Ça m’a permis d’avoir maintenant un statut dans la musique urbaine.

A : A l’époque d’Unity Records, tu n’étais pas encore un musicien professionnel, mais à la fac de Créteil, c’est ça ?

B : Ouais, je faisais les deux. Je faisais même trois choses vu que je taffais, parce que j’ai une fille, donc il fallait subvenir à ses besoins. Je commençais à peine à produire du rap, j’ai dû travailler comme un fou pour arriver à trouver une couleur. Ce n’est que vers 2007-2008 que j’ai pu commencer à vraiment percer, avec « Frais » de Rohff, puis Mac Tyer ensuite. De fil en aiguille, ça s’est ouvert, et ça m’a permis de travailler avec pratiquement tout le rap français. C’est même plus facile pour moi de dire avec qui je n’ai pas travaillé, plutôt qu’avec qui j’ai travaillé ! Mais c’est bien, parce que ma démarche a été de m’adapter aux univers de chacun. J’ai gagné en expérience pour chaque style de rap. Ça m’a permis d’être polyvalent, plus versatile.

A : Tu citais « Frais » de Rohff, ton premier gros single. Un titre avec un son très californien, et je crois que ce n’est pas anodin.

B : Exactement : ma plus grosse influence, c’est Dr Dre. C’est mon grand cousin qui m’a fait découvrir The Chronic. Ce que j’ai aimé chez Dr. Dre, c’est sa manière de moderniser des chansons funk et de rajouter une espèce de touche chill. Ce que j’ai apprécié chez lui, c’est que ses prods sont simples, mais c’est efficace et c’est précis. Moi, de base, j’ai fait des études de maths, j’ai toujours eu cette tendance à analyser. J’aime quand c’est efficace, quand c’est précis, j’aime presque quand c’est logique. Ce qui n’est pas forcément toujours bon [rire], mais je me suis reconnu dans ces sonorités-là, d’où l’envie de les reproduire et y apportant ma propre touche. Notamment quand j’ai taffé avec Salif, Rohff, ou même Sefyu et Mac Tyer.

A : Si au contraire on devait te demander un artiste auquel on ne pense pas forcément en écoutant ta musique ? Un truc qui pourrait surprendre dans tes influences.

B : C’est une bonne question. Avec le recul, je sais qu’à cette époque-là j’écoutais beaucoup de son des années 80, de la pop anglaise, du Supertramp, du David Bowie, du U2. J’ai été influencé par la musique anglaise. Après, je ne sais pas si elle se reflète dans ma musique. Pour moi, la musique anglaise, c’est la meilleure. Il y a là-bas des expérimentations musicales qui me bouleversent et j’ai besoin de ça, j’ai besoin d’entendre du nouveau. Quand j’écoutais David Bowie, je me disais qu’il avait vingt, quarante ans d’avance.

A : Aujourd’hui, tu es lié à une structure, Golden Eye Music Group, dans laquelle vous êtes trois producteurs : Cannibal Smith, Richie Beats, et toi. Comment cette structure s’est créée ?

B : Cannibal Smith, je l’ai rencontré à l’époque de l’album de Sefyu en 2006, il produisait « La Vie qui va avec ». Il avait fait le morceau de Kery James et Booba avant, aussi [« Chacun sa manière », sur Street Lourd, ndlr]. Quand j’ai entendu ses prods, je me suis dit : « ce mec fait du son dans une cave ! » [sourire]. Je l’ai rencontré au Planète Rap de Sefyu, avec son mètre 92, super baraqué. On aime bien le charrier sur ça. Humainement, c’est une des personnes que j’estime le plus parce qu’il est humble. Alors qu’il a une telle connaissance de la musique ! Il a une manière très particulière de travailler les samples : si je te fais écouter le sample original de « La Vie qui va avec », jamais tu ne pourrais imaginer qu’on peut faire un son comme ça ! Oumar a vu que le feeling passait bien entre nous trois, et il a dit « les gars, on va monter un crew ». À la base, il y avait Spike Miller aussi. Pour des raisons personnelles, il a quitté l’aventure. C’est après qu’on a recruté Richie. À l’époque, il était managé par Cutee B. Je l’avais déjà rencontré parce qu’il était dans le milieu afro-caribéen, il travaillait sur l’album d’Admiral T. Quand j’écoutais ses sons, je me disais « il y a quelque chose », dans le souci du détail et sa manière d’équilibrer les sons. C’est le rookie le plus fort que j’ai jamais entendu. Il disait faire des prods depuis deux ans : je n’avais jamais entendu quelqu’un faire des prods comme ça en deux ans. Richie, pour moi, c’est le futur. Il a son alter égo, Skreally Boy, qui fait de lui un artiste complet : il produit, chante, et propose énormément quand on travaille ensemble avec des rappeurs ou des chanteurs.

Maintenant, le fait qu’on soit trois nous oblige à travailler les uns avec les autres. Par moment, on me sollicite pour faire des arrangements, parce qu’il y a mon oreille musicale qui va intervenir. Parfois, j’ai besoin de Richie pour de la réalisation, parce que je le trouve très bon dans ce domaine. Cannibal Smith, lui, est un mec très méticuleux, avec des idées de malade sur certains sons. On se complète. Ça nous donne une force : maintenant on est capable de faire des albums à trois tout seuls, chapeauter tout un album de A à Z.

A : En termes de matériel, tu as commencé avec quoi, et comment as-tu évolué ?

B : À l’époque j’ai commencé sur Acid, c’est un logiciel Sony, assez rudimentaire. Il faut savoir bien l’utiliser, tu peux faire des trucs extraordinaires. Après j’ai commencé à être limité, il a fallu que j’évolue, je suis passé sur Reason. C’est un logiciel qui a très bien évolué, tu peux faire pratiquement tout ce que tu veux. Ça m’a permis d’avoir une couleur, parce que ce n’est pas un logiciel que tout le monde utilisait. J’ai aussi pu aller au fond de ce logiciel parce qu’en fait, il est très mathématique. À l’époque, j’ai contacté le service marketing de Reason, je leur ai montré ce que je faisais avec, ils étaient très impressionnés. Un sponsoring s’est créé. Du coup, dès qu’il y a un nouveau truc qui sort chez eux, je le reçois et je le teste en bêta.

A : T’as pas de hardware du tout en fait ?

B : J’ai juste un synthé, et de temps en temps, je fais des choses sur Logic. Mais je pense qu’à l’avenir je vais encore évoluer, je vais peut être essayer d’autres logiciels. Je pense à faire certains types de musique, de la musique de film par exemple, et là il va falloir investir dans du matos, parce que là ça rigole pas niveau qualité [rire]. Je n’ai pas peur d’évoluer à ce niveau-là.

De Sefyu à Joke Discographie commentée

Sefyu « Un point c’est tout » (2006)

B : À l’époque de Unity Records, mon manager connaissait très bien Sefyu. Il devenait vraiment une valeur montante, et était en train de préparer son album. Il avait une couleur très sombre, mais il cherchait quand même un titre un peu plus frais justement, un peu plus ouvert. C’est ce qui m’a été proposé. Il a eu un coup de cœur pour ce type de son. Même pour moi, musicalement ce que j’ai fait dessus était assez nouveau, je ne sais même pas si je pourrais le reproduire. On sent les influences de Dr. Dre, et il y a quelques sonorités un peu bizarres, donc ça m’a fait plaisir qu’il l’ait choisi.

Je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer pour ce premier album, mais ensuite, pour son deuxième et le titre « Attitude », avec son groupe G8. Ce titre n’était pas très connu sur Paris, mais j’ai eu l’occasion d’aller à Montpellier, Toulouse, Bordeaux, et là-bas, les gens l’appréciaient beaucoup, je crois même que ça tournait dans des radios locales.

Mac Tyer « D’où je viens » (2008)

B :  Pour l’album D’Où je viens, Mac Tyer m’a sollicité pour faire une transition après Le Général, avoir des morceaux « rue » mais avec une musicalité derrière, de l’émotion. Mac Tyer sait analyser la musique, dire « tel type de snare et tel type de kick, c’est vieux jeu, fait moi un truc plus moderne ». Avec lui, j’ai eu carte blanche. Le morceau « D’où je viens », est, pour moi, l’une de mes meilleures prods.

« Produit de mon environnement » est arrivée en toute fin de travail sur l’album. Un jour en rentrant chez moi, je pensais à une espèce de rythmique très entraînante. Je me suis mis sur mes machines, et j’ai fait un son que j’ai appelé « Wolverine ». Oumar l’a écouté, et m’a dit « c’est une dinguerie, il faut l’envoyer à Mac Tyer avant qu’il finisse son album ! » On n’avait pas le temps d’envoyer, du coup on a été directement en studio le voir, alors qu’il était en plein mixage. Oumar présente le truc : « J’ai une prod à te faire écouter, dis-moi ce que t’en penses. » Mac Tyer met les écouteurs et crie « il me la faut ! » [rire] On a enregistré dans l’urgence, et ça a été intégré dans l’album. C’est une de mes plus grosses prods, parce que je sais dans quelles conditions je l’ai faite. Une de ces nuits, où, quand t’es guidé par l’inspiration, tu ne regardes plus l’heure et t’as envie de finir parce que tu sais où tu veux aller.

Mac Tyer a une écriture avec beaucoup d’images, il utilise beaucoup de métaphores, donc il faut les soutenir. J’ai donc joué beaucoup de piano, ça permet de les soutenir. Mais Mac Tyer c’est une grosse voix aussi. Il fallait des nappes synthétiques un peu sombres, sales. Le mélange de deux sons pratiquement opposés, c’est super intéressant.

Rohff « Que pour les vrais » (2008)

B : Rohff travaillait sur son album Le Code de l’horreur. Il avait un gros buzz, parce qu’il sortait de prison, et il voulait faire un gros album. Il m’a appelé très tard dans la nuit, et m’a dit « gars, il me faut un son un peu à la Rick Ross, genre « The Boss », mais plus hardcore. » Il voulait ce style Miami, marqué années 80. « The Boss », c’est un single, avec une mélodie assez ouverte. Je lui ai dit que j’allais essayer, sans rien garantir. Là, j’ai trouvé une boucle de feu, que j’ai travaillé. Dès qu’il a écouté le son, il s’est mis à écrire dessus. Pour moi c’est un de ses meilleurs couplets. Même au niveau flow, interprétation, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu Rohff aussi en forme !

Ça m’arrive de fonctionner à la commande, mais de moins en moins, parce que maintenant j’ai vraiment envie d’être en studio. Ça permet de créer une alchimie qu’on ne pourrait pas forcément retrouver si j’étais tout seul chez moi et que je t’envoyais un son. En studio, je suis avec l’artiste, je vois ce qu’il aime et on échange, avec nos influences et envies différentes. Ça me permet de comprendre aussi comment fonctionnent les artistes, parce qu’ils n’ont pas la même oreille que nous les beatmakers. Quand tu vois une maison, tu vas dire qu’elle est belle. Sauf que l’architecte ou le chef de chantier ne va pas la voir de la même manière, ils vont te parler des fondations, des installations électriques… [rire] Ta maison est peut-être belle, mais elle serait encore plus belle si tu regardais juste sur les détails. Tu penses que les poignées de tes portes sont en or ? C’est du plaqué. Regarde ce que ça fait avec du vrai or.

TLF ft. Le Rat Luciano, Black Marché et Alonzo « Monnaie » (2009)

B : Ikbal m’a contacté par l’intermédiaire de son frère, j’allais souvent en studio lui faire écouter des prods. Et après les artistes de Talents Fâchés écoutaient cette liste-là et choisissaient leurs prods. Je n’étais pas forcément au courant des choix, c’était au feeling. C’était bien parce que j’avais déjà un catalogue, j’essayais plein de choses, et du coup ça m’a permis de placer pas mal de prods sur le projet. Pour « Monnaie » avec Le Rat Luciano, Black Marché, Alonzo, j’ai repris un gros sample de Donna Summer, un titre que j’ai toujours rêvé de sampler ! Quand tu prends des samples comme ça, derrière, il faut bien le clearer, mais ça a été validé. Et il y a Le Rat Luciano !

Quand on m’a demandé des prods, je me disais que, comme c’était Talents Fâchés, il fallait des instrus assez « ghetto ». Il y a quand même des sons de cette compil dans lesquels j’ai pris du sample, d’autres sur lesquels j’ai fait des compositions, donc c’était assez varié au niveau de ma proposition. Mais c’est vrai que ça restait sombre. C’est une grosse période pour moi 2007-2009 en termes de production. En parallèle de ça, en 2009, je travaillais sur l’album d’Admiral T [Instinct Admiral, sorti en 2010, ndlr], sur du son caribéen. Et parfois, ce n’était pas évident de travailler sur un album caribéen, qui te demande un certain type de sons, en même temps que sur du gros son ghetto. Le but ultime, c’est de dompter ton inspiration, professionnaliser ton instinct créatif. À partir du moment où tu arrives à gérer ta créativité, tu peux tout faire.

Poison « Génération Mobutu » (2009)

B : Brisco, de ScorBlaz, connaissait bien Poison. Mais je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer, c’est marrant ! Cette prod-là est 100% Dre, il n’y a pas à dire. Elle était là, de côté, j’avais fait beaucoup de sons comme ça. Poison l’a prise, je ne peux pas te dire exactement comment ça s’est fait. Je trouvais ça intéressant, c’est dans son personnage à lui. Et souvent, pas mal de beatmakers me disent « c’est une des meilleures prods en mode Dr. Dre que tu aies faite. » Je pense que cette prod-là date de l’époque de ”Frais”, c’est une prod qui a été un petit peu mise sur le côté. Pourquoi les artistes ne la prenaient pas ? Parce qu’elle est vraiment plus groovy que les autres. Et même musicalement, les accords changent un peu plus. Ça c’est des influences qui viennent du jazz, de ce que mon père écoutait.

Kennedy « Le Code de la rue » (2009)

B : Cette prod-là est un peu atypique, parce qu’elle est super simple, avec une ligne mélodique très crade et un beat très présent. En fait, deux artistes voulaient la prod et du coup, il fallait faire un choix. Kennedy était en plein album, et il lui fallait un morceau rue qui ait un impact. Celle-là lui parlait vraiment, il a travaillé dessus comme un fou. « Le Code de la rue », à mon sens, est un des plus gros morceaux de sa discographie. C’est un morceau qui musicalement m’a permis de proposer autre chose, il y a une guitare derrière, et il y a un son… crade, quoi [sourire].

Le fait que je réponde à des commandes vite et bien et que je sois sur plusieurs projets, avec plusieurs types de musique différents en même temps, m’a aidé à me professionnaliser. C’était vraiment fatigant, mais je dois avoir déposé une cinquantaine de sons à la SACEM sur cette période. Du coup, j’ai eu un contrecoup aussi, où j’ai eu envie de me poser quelques temps, et de tester d’autres choses. Ce que j’ai pu faire plus vers 2010-2011, où ça m’a permis de reprendre de l’élan derrière. Je pense que cette période était nécessaire, pour étendre mon réseau, me faire un nom, et aussi pour générer de la SACEM, il ne faut pas se leurrer. On était deux à travailler comme des malades, avec Cannibal Smith. Ça nous a permis d’accéder à un certain statut. Maintenant, quand un album de rap se fait, on pense à nous, et ça, ça fait vraiment plaisir. Parce qu’ils savent qu’avant, on a cravaché comme des fous, on apporte une certaine qualité. On récolte les fruits de ces deux années de travail.

Salif « Intro » (2009)

B : Je commençais à mettre des influences rock dans mes prods, ça vient tout simplement de ce que j’écoute. Salif est un mec qui aime ça déjà de base, quand tu vois le visuel de ses clips à l’époque, il était très blouson en cuir, « boulogne boy » [sourire]. Je le trouvais en avance, quand on regarde la tendance aujourd’hui. Il avait une sensibilité sur des prods, sur la musicalité, et là je lui ai livré trois morceaux. L' »Intro » et « Véridik », c’est un peu dans le même style, par contre « La Disquette », on est vraiment sur de la composition où là je veux faire passer de l’émotion, où je me lâche un petit peu plus. C’est le genre de prods où je peux me libérer, c’est pratiquement Salif feat. Blastar ! Je fais un morceau, je mets des violons, je fais des ponts, et après, c’est à toi de raconter une histoire. Et je pense que ça fait un bon morceau.

Salif est un passionné. Il me fait penser vraiment à Mac Tyer. Ils vont vraiment être au détail près, à essayer de te parler d’accords. C’est dommage parce qu’avec Salif, on a fait des morceaux carrément rock, un peu dans le style d’Eminem, et ça n’a pas abouti. Moi-même je savais que c’étaient des sonorités qui allaient arriver, parce que quand t’es beatmaker, t’es tout le temps en avance d’une certaine manière. Tu vas écouter les trucs un peu cachés, les tendances qui vont arriver, et forcément, t’as envie d’être en avance, de proposer ce genre de choses.

Kery James « Réel » (2009)

B : Oumar m’a appelé un jour et m’a dit « Kery James veut faire un classique ». [sourire] Il m’a donné des références, notamment un morceau du deuxième album de Young Buck dans cet esprit-là, et d’autres références de morceaux avec une résonance un peu mystique. Ça m’a parlé tout de suite. J’ai travaillé sur un sample, très simple, et y ai ajouté la basse, le piano. Kery a kiffé de fou, il a trouvé que c’était une tuerie. Un jour il m’a appelé et m’a dit : « passe au studio de Tefa et Masta pour écouter le morceau ». Je me suis pris une claque incroyable. En plus Kery James c’est un gars du 9-4 que j’écoutais en boucle quand j’étais petit.

Diam’s « Cœur de bombe » (2009)

B : ”Cœur de bombe” est le morceau qui m’a ouvert le plus de portes à d’autres artistes en dehors de l’urbain. Pendant toute cette période où je faisais des morceaux sombres, je faisais en parallèle des morceaux plus légers, comme celui-là. Quand tu fais des morceaux sombres, tu le fais parce qu’il y a de la demande. Tu rentres dedans, tu comprends le mécanisme, tu captes un peu comment satisfaire les artistes qui te demandent ce type de sons. Pour ”Cœur de bombe”, Diam’s m’a contacté par mail, et m’a dit, « je suis sûre que tu peux me proposer d’autres choses. Je prépare un album qui sera un peu plus acoustique, où j’aurai besoin de raconter des choses fortes ». Je lui ai donc envoyé des choses presque variet’, que j’avais faites il y a longtemps, mais qui était difficile de proposer à des rappeurs. « Cœur de Bombe », à la base, est un morceau caribéen, avec des percus, de la guitare. Quand elle me l’a fait écouter, je me suis dit : « ça y est, c’est un tube ! ».

Ça m’a vraiment donné une autre visibilité parce que les gens ont découvert que je faisais autre chose que du rap. C’est grâce à ça que j’ai signé chez Warner. C’est vraiment une force. Ça m’a boosté en termes de notoriété. J’ai vu la différence entre un tube rap et un tube populaire. Ça m’a permis de travailler avec d’autres artistes avec qui je n’aurais jamais imaginé travailler, comme Vitaa. J’ai fait quelques trucs avec Inna Modja, qui n’ont pas abouti. Même Colonel Reyel ! Tout le monde ne le sait pas, mais j’ai travaillé avec lui aussi, comme son morceau avec Krys. Ça m’a permis d’explorer d’autres univers, et personnellement, je me sens plus libéré de proposer d’autres choses aussi.

Mac Tyer « Obama Said » (2010)

B : Avec neuf prods, c’est l’album sur lequel j’ai le plus de sons avec un seul artiste. C’était une période où j’écoutais beaucoup DJ Khalil. Ce que j’aime beaucoup chez lui, c’est le pont entre rock et rap, avec un groove assez marqué et un son crade. Avec Mac Tyer, on a tenté cette expérience-là, pour proposer une couleur différente. C’est un album très varié. Avec Mac Tyer, c’est vraiment de longues séances en studio à écouter des prods, et beaucoup de réarrangement derrière. Pour moi, c’est une expérience vraiment forte, parce qu’il m’a laissé m’exprimer musicalement, aller au bout de certains titres. Déjà l’intro, avec ces voix gospel : quand j’ai fait cette prod, je ne voyais personne d’autre que lui dessus.

Je ne trouve pas normal qu’en France, des morceaux avec du sample, ce soit aussi rare. Je trouvais intéressant de voir ça, avec ce sample de Donny Hathaway, et la participation de Derek Martin, un chanteur qui a accompagné James Brown. Tout ce qui est dans ce son-là, la basse, les rhodes, les orgues, tout ça, je l’ai joué. C’est un plaisir total de faire ce genre de son, ça me prend aux tripes, j’ai grandi avec étant petit. On se demandait comment les gens allaient prendre ce morceau, parce qu’il est allé jusqu’au bout du délire : un sample, un mec qui chante en anglais, Obama, et des paroles dans lesquelles il s’adresse, entre guillemets, au peuple noir. Je suis fier de ce morceau.

Rohff « On va le faire » (2010)

B : Rohff enregistrait son album à Toulouse, au studio Polygone. Je suis allé le rencontrer là-bas pour lui faire écouter des prods, éventuellement faire quelques arrangements. Il m’avait pris plusieurs prods, écrit dessus, mais finalement ça n’a pas été retenu pour l’album. Et puis à un moment, je lui ai fait écouter le morceau ”On va le faire”, avec un sample de The Persuaders dont la musique a été écrite par Marvin Gaye. Il m’a dit : « franchement, il est magnifique le morceau, mais je me vois pas poser dessus ». Du coup, je lui ai répondu : « tu sais, dans ton public, il y a aussi des gars comme moi, qui t’ont découvert à l’époque du Code de l’honneur. Tu ne vas pas perdre de fans en enregistrant un morceau comme celui-là. Au contraire, je pense que certains diront même que c’est le meilleur morceau de ton album ». J’ai essayé de le convaincre, de lui dire qu’il n’avait plus rien à prouver. Et donc il a posé dessus.

Mais avant que l’album sorte, il ne voulait pas le mettre. C’est l’ingé son qui a poussé Rohff à le garder [rire]. Parce que c’est vrai que l’album La Cuenta était très électronique. Donc le gars lui a dit que ça allait donner une respiration à l’album. Ça a convaincu Rohff. Pas mal de mecs de mon âge m’ont dit que c’était carrément le meilleur morceau de La Cuenta parce qu’il est différent, il sonne pas du tout pareil. De temps en temps, en tant que beatmaker, il faut savoir proposer et défendre des idées.

113 « Dinguerie » (2010)

B : Le morceau ”Dinguerie”, à la base, était prévu pour Rohff, sur Street Lourd 2. Ça ne s’est pas fait, du coup, c’est tombé dans les oreilles de Mokobé, qui a dit« mais c’est un truc de ouf ce son ! C’est une dinguerie ! ». Ils ont tout de suite capté le délire, et ils l’ont appelé ”Dinguerie”, tout simplement. Je trouvais que c’était un tube potentiel, malheureusement ça n’a pas tourné en radio, pour une question de format je crois. Le clip est pas mal en plus !

Et puis il y a le morceau « Texas Hold’Em ». J’avais fait la prod à l’époque où je mélangeais rock et rap, j’avais mes petits stocks de morceaux comme ça. Rim’K m’a dit « fais-moi écouter des trucs différents, que t’as pas l’habitude de faire écouter ». Quand il est tombé sur celui-ci, il m’a dit « tu sais ce qu’on va faire ? On va aller jusqu’au bout, et on va appeler Benjamin Biolay, qui est fan de rap, et on va faire un morceau ensemble ». C’était un morceau destiné à être sur des réseaux, des médias, et ça n’a pas abouti non plus.

Dixon « Genèse » (2011)

B : Dixon, c’est une période forte dans ma carrière. Malheureusement ça s’est fini, pour des raisons que je ne vais pas détailler [un conflit entre Oumar et Dixon, d’après ce que l’on sait, ndlr]. Dixon a une écriture géniale. Je l’ai découvert en 2010, et je l’ai rapidement présenté à Oumar. On a donc vite travaillé sur Symptôme : le concept était de mélanger faces B et faces A. Il avait choisi ses faces B, et pour les faces A, on voulait proposer quelque chose de différent, parce que Dixon, c’est un personnage, un style d’écriture. Il fallait une musique adéquate. Avec lui, j’ai été sur des terrains que j’avais pas forcément exploré, ça m’a permis d’essayer d’autres choses, et c’était bien de travailler avec un artiste maison.

On a travaillé avec lui sur des morceaux, sur des concepts, sur des couleurs musicales. Quand Oumar l’a signé à l’époque, c’était un risque énorme, parce que son rap ne parle pas forcément à tout le monde. Mais c’est justement pour son écriture que j’en avais parlé à Oumar. « Après moi le déluge » est, pour moi, l’une de mes meilleures prods de cette époque-là, on était dans le style très atmosphérique, « nappeux ». J’ai aussi fait « Genèse » qui est très « khalilien ». C’est un très gros morceau, qu’on devait clipper. « Merci Qui », c’est un morceau qu’on a fait à deux : à la base, c’était la prod de Dixon, que j’ai réarrangé. C’était une première pierre à notre collaboration. Il était prévu de faire Symptôme Volume 2, avec des titres très introspectifs, pratiquement de la musique de film sur laquelle il rapperait.

Ça m’a extrêmement déçu de ne pas avoir pu aller plus loin, parce que c’était ma première expérience en tant que réalisateur. Après, au moment où on se sépare, il y a Joke qui arrive, donc finalement les évènements on fait qu’on a pu rebondir avec Golden Eye toujours dans la recherche d’artistes un peu particuliers. Quand on va présenter un artiste, il faut qu’il se passe quelque chose, que tu aimes ou non. L’important, c’est de créer de vrais fans. On ne veut pas des consommateurs de musique. C’est très important parce que c’est ça qui va faire que ta carrière dure.

Ol’Kainry & Jango Jack ft. Dany Dan, Tito Prince, Youssoupha « Sachez-Le » (2011)

B : J’avais déjà travaillé avec Ol sur deux morceaux d’Iron Mic : un morceau, qui s’appelle « ABS Team », sur des boxeurs, et un autre avec Dixon. Ol’Kainry, c’est vraiment la famille. Oumar le connait très bien. À un moment, il l’avait managé. Il y a toujours au moins deux beatmakers de Golden Eye sur les projets d’Ol’Kainry. Parce qu’on apprécie ce qu’il fait, il tente toujours des choses. J’aimerais même qu’il ait plus de reconnaissance pour ce qu’il fait dans le rap parce que c’est un mec qui est entre deux générations. Après Iron Mic, il y a eu ce projet avec Jango Jack. Pour « Pimp My Ride », Ol’Kainry m’a dit, « il nous faut un truc à la « Kush » de Dre et Snoop » – surtout qu’ils avaient fait un remix de ce morceau. Pour moi, c’était parfait : ils me mettaient dans dans un fauteuil [sourire]. Avec cette prod, j’arrivais au bout de ce que je pouvais faire en terme de sonorités Aftermath, j’avais compris comment arriver à une prod bien carrée, bien ficelée.
Pour ”Sachez-le”, j’ai composé avec Scorpius. C’est ce type d’idée qu’à l’époque on voulait mettre en place, mélanger caribéen et hip-hop. L’idée est super simple : une grosse voix dancehall et un gros beat. Les amateurs de dancehall vont reconnaitre certains codes, et les rappeurs pourront kicker dessus. Après, j’ai eu quelques déboires au niveau du sample de Sizzla [« Destroy Dem », ndlr].

La Fouine « Populaire » (2011)

B : J’avais fait ce son à la même époque que celui pour Diam’s, dans un esprit variet’, mais avec du beat quand même. Laouni est tombé dessus, et de suite nous a dit : « c’est un tube ça, on peut faire un titre de ouf ! » J’avais appelé la prod « Popular ». Donc il a carrément repris l’idée. C’est un morceau que je trouvais vraiment sympa, frais. S’il avait été médiatisé, ça aurait permis à Laouni de toucher peut-être un autre public aussi, parce que c’est presque de la variet’ ! C’est un son qu’il aurait pu chanter aux Victoires de la Musique par exemple.

Il fallait que j’explore d’autres sonorités. J’ai eu une espèce de conflit entre ce que j’avais envie de faire, et ce qu’on me demandait. Du coup je produisais moins, parce que ma créativité est un peu frustrée quand on me propose toujours les mêmes trucs. J’ai besoin de composer beaucoup, d’analyser, d’écouter beaucoup de sons, pour essayer, m’améliorer. Là, j’étais dans une période où je n’écoutais presque plus de rap en fait, je m’intéressais à d’autres choses : pop anglaise, pop suédoise, variet’ américaine.

Disiz « C’est ma tournée » (2012)

B : Disiz, c’est un artiste que j’apprécie déjà de base. J’avais beaucoup aimé son album Disiz the End, avec ce côté « je déverse tout ce que je peux ». Et même dans sa manière d’appréhender la musique, je voyais qu’il voulait partir vers autre chose. Ça tombait bien, moi aussi. Quand on s’est rencontrés chez Warner, le feeling est passé super bien. Le morceau « C’est ma tournée » s’est fait très vite, parce qu’il avait besoin de prods comme ça pour son album. J’ai tout de suite compris ce qu’il voulait, ce côté breakbeat. Dans ce morceau-là il y a tout ce que j’aime faire : mélanger du live avec du hip-hop et faire des refrains super ouverts. C’est un morceau qui cartonne bien en concert.

« Je les garde », c’est un morceau que j’avais fait à l’époque pour Diam’s. Là, on sent vraiment mes influences années 80. Ça m’a fait plaisir qu’il l’ait choisi parce que je me suis dit que personne n’allait la prendre, que c’était trop alternatif. Il en a fait un morceau très introspectif que je trouve pas mal. Pour la petite histoire c’est un morceau qu’il avait fait écouter à sa famille, ils ont tous aimé, et il a écrit dessus.

Joke « Fin de journée » (2012)

B : J’avais rencontré Joke sur Internet il y a presque cinq ans, je le trouvais frais dans sa démarche. Quand j’ai écouté ses premiers opus, j’ai tout de suite senti qu’il avait un certain goût pour la musique. En termes d’image, de sons, de sa tessiture vocale, on était sur quelque chose qu’on n’avait pas entendu en France. J’ai appris qu’il était sur Paris à un moment donné, donc j’ai tout fait pour le rencontrer, et après je l’ai présenté à Oumar.

Des fois, quand j’ai des idées de samples, on me stoppe de suite, parce que j’ai envie de prendre des samples super grillés. Mais quand je veux en utiliser un, j’essaye d’être stratégique. C’est le cas du morceau « Fin de Journée ». « Bonnie and Clyde » de Gainsbourg : ça fait référence à une génération, celle de nos parents. Mais c’est aussi une référence à la génération qui écoutait MC Solaar, avec « Nouveau Western ». Et finalement, il y a la nouvelle génération, avec Joke qui, pour moi, en termes de voix et d’image, peut rentrer dans ce style-là. Quand on lui a proposé, il ne voulait pas au début. Mais pour moi, ça pouvait vraiment être quelque chose d’intergénérationnel, un clin d’œil. Il a tourné sur Générations 88.2, il a fait un bon petit buzz. Certains médias ont vu le clin d’œil, des médias qu’on n’aurait pas forcément touchés avant. C’était ça aussi la stratégie. Les américains ne s’en privent pas. Pourquoi les morceaux qui samplent Luther Vandross, James Brown ou Diana Ross cartonnent ? Parce que c’est intergénérationnel. En un morceau t’as quarante ans d’histoire ! C’est génial !

Il y a eu trois versions de ce morceau : une version super acoustique, méga rock, qui n’a pas été retenu, puis une version un peu plus tendance. Mais franchement, le sample parle tout seul, t’as pas grand-chose à faire. Les accords utilisés prennent aux tripes, ça a cet esprit… presque blues. Le défi est de ne pas dénaturer le sample et en même temps d’être tendance. En général, quand tu prends ce type de sample il vaut mieux ne pas en faire trop.

Dixon ft. Nemir « J’dis ça j’dis rien » (2012)

B : Oumar a eu cette initiative de faire un projet pour mettre un peu la lumière sur les trois beatmakers de Golden Eye Music et aussi sur des nouveaux talents : Joke, Dixon, Flaco, et la Lygne 26, un groupe marseillais. Le but était de créer une carte de visite. Ça s’est fait très rapidement, parce que la difficulté d’une compil c’est de réunir les artistes, il y a de la politique, de la logistique, de la gestion humaine, et c’est pas évident.

C’est un projet qui a permis de faire exploser Joke et Richie avec le morceau « MTP Anthem », on a fait d’une pierre deux coups. Moi, ça m’a permis de rencontrer pas mal d’artistes, notamment Alpha Wann, Deen Burbigo, ou Nemir, pour son morceau avec Dixon. C’est une prod très soul… [il réfléchit] J’appelle ça ma « boîte de Pandore ». J’ai un stock de sons dont j’attends de voir si quelqu’un va oser les prendre. Là, c’est un sample de Millie Jackson : une superbe voix, et une discographie incroyable, je crois que j’ai tous ses disques. C’est des trucs que mon père écoutait, alors ça revient des fois.

Sur cette compilation, parmi les titres que j’ai produit, j’aime beaucoup aussi « Welcome to Venus », avec Ladéa et Amy. J’avais fait la prod pour Rohff, il l’a pas gardé, mais ce qu’elles ont fait toutes les deux dessus est très fort, je trouve. Je pense que Ladéa, si elle a une bonne étoile, peut aller très loin. Elle a un rap dur, mais quand elle se met sur des morceaux un peu plus prenant émotionnellement, il se passe des choses.

Rim’K « Clasico » (2012)

B : C’est mon premier morceau vraiment trap. Rim’k, l’a entendu, et tout suite il a fait un gros morceau dessus, clippé. Ça m’a fait plaisir que ce soit un mec du 9-4 qui inaugure ma première tentative de sonorités trap. J’ai testé les arpégiateurs, toute la technique propre à ce style. C’est plus difficile de se démarquer dans ce style musical, parce qu’on utilise les mêmes outils, les 808. Du coup c’est très restreint en termes de créativité.

Quand on parle de technique, il y a deux manières de voir les choses. Quand tu fais une prod où tu mets des arpégiateurs et des hi-hats à 32 mesures, pour moi c’est pas technique, c’est des algorithmes. C’est souvent ce que je disais à certains beatmakers : si c’est ça les instrus techniques, tout le monde en fait. Pour moi, un instru technique, c’est quand tu mets du groove, quand tu commences à décaler des trucs, à couper des samples. Un Jay Dilla, c’est un mec super technique pour moi. C’est bien de différencier les deux, et c’est important d’avoir cette culture-là. Parce que maintenant avec les nouveaux logiciels, j’ai peur que les gens aient cette référence-là, la technique informatique !

Joke « Tokyo Narita »

B : Après la sortie de Kyoto, je cherchais un son pour choquer les oreilles françaises, quelque chose d’un peu futuriste. Il y a une seule musique qui me semblait coller à cette envie : la musique anglaise. A cette époque, j’écoutais Tinie Tempah, The Rascals, Professor Green… Quand j’ai fait ce son-là, les gens me disaient : « je ne me sens pas prêt pour présenter ça ». Avec Oumar, on y est allé au culot, on s’est dit qu’il fallait tenter l’expérience, parce qu’il n’y avait pas ce format-là avant. Il faut qu’il y ait quelque chose qui ressorte, une nouvelle expérience, que l’auditeur se dise « j’avais jamais entendu ça ! ». Aujourd’hui je pense que certains auditeurs vont associer Joke à « Tokyo Narita ».

C’est pareil pour « Harajuku ». Je l’avais fait avant de rencontrer Joke. Ce morceau-là est particulier parce que je me suis auto-samplé : j’essayais de reproduire une musique, je l’ai « cradifié » [sic], et puis je l’ai samplé dans « Harajuku ». Du coup on a l’impression que c’est un son japonais, mais non : c’est tout une technique pour donner l’impression que c’est un sample. Au départ je me suis dit que personne n’allait le prendre ; je l’ai mis dans la « boîte de Pandore »  [sourire]. Et quand Joke est arrivé avec son concept japonais, je lui ai envoyé. Il m’a dit « c’est une perle ! ». Je veux que quand les gens écoutent un son, comme « Harajuku », ils se croient au Japon. Tu es parfois sous le choc après un film : il faut que tu sois sous le choc quand t’as fini d’écouter un morceau, sinon ça ne sert à rien.

Médine « Protest Song » (2013)

B : Cette musique avait été faite pour un projet qu’on voulait faire avec Oumar sur la Somalie, à l’époque du conflit. On voulait faire un morceau multi-artistes, avec Grand Corps Malade, Kery James, Mac Tyer, Rim’K… Ça n’a pas abouti, parce que c’était difficile de rassembler les gens sur un seul morceau. Médine avait écouté le son et le voulait absolument pour son Protest song, ça correspondait à ce qu’il cherchait pour cet album, ce mélange de rap, sonorités gospel et africaines. Je me suis mis la pression pour faire une espèce de masterpiece. J’ai passé deux jours à la faire parce qu’il y a des changements de ouf, elle dure six minutes, il y a des ponts, etc. Quand Médine l’a prise, je lui ai fait totalement confiance, c’est un lyriciste hors pair. J’étais super content parce que lyricalement c’est incroyable, vraiment. Ce beat est une de mes plus grandes fiertés.

Shtar Academy « Les Portes du pénitencier » (2014)

B : Mouloud, qui est a l’initiative de ce projet, est un ancien détenu qui a eu l’idée de faire une compilation avec trois détenus et des artistes confirmés en rap. Je suis descendu à la prison de Marseille, les Beaumettes. On a passé quatre jours là-bas, on a rencontré des détenus : ça a été une expérience vraiment forte pour moi. Même s’ils ont fait des erreurs, en parlant avec eux de leurs parcours, t’as presque de l’empathie, de la compassion pour eux. On a fait des ateliers, on a fait les prods en même temps avec eux, les mecs te regardaient comme si t’étais une star internationale ! Ils sont pleins d’authenticité, de simplicité, ils ne calculent rien. Ça va les marquer à vie, ils ont vu de très grands rappeurs passer les voir, comme Lino.

Pour « Les Portes du pénitencier », je suis parti du sample de Johnny Hallyday, qui est aussi une reprise, de « The House of the Rising Sun ». C’est vraiment stratégique, ces références. Si j’avais pris autre chose, ça n’aurait pas eu le même impact. J’ai fait trois versions de ce morceau-là, parce qu’il fallait que j’arrive à trouver le bon compromis entre une musicalité assez rap, et en même temps un refrain ouvert. Némir a fait un super refrain, tout le monde pose des super lyrics. Même en termes de prod, je me suis fait plaisir parce que j’ai pu faire des lives de batterie, des petites percussions, du piano, et du violon, etc.

Joke ft. Bip’s « Anubis » (2014)

B : Ateyaba a vraiment été un gros chantier parce qu’il a fallu taffer au millimètre près. C’est nouveau, le mec ne fait pas l’unanimité. Mais Ateyaba est une grande satisfaction. C’est l’aboutissement de quatre ans de collaboration, avec deux projets qui devaient mener à cet album. Chapeauter des projets de A à Z, c’est lourd, psychologiquement, physiquement même, c’est des remises en question. Mais j’ai besoin de ces choses-là. Plus c’est difficile, plus j’aime.

Il a fallu composer entre mes envies et celles de Joke. Je vais lui parler de Doc Gynéco, lui va me parler de Rick Ross [sourire]. Quand il a fait « Vénus », il m’a fait penser à du Gynéco par exemple. Après, il y a des échanges, on explique. L’idée, c’est de prendre le meilleur de ces artistes-là. On travaille sur la musique de Joke : il faut le pousser à aller au bout de ce qu’il veut faire, de son identité musicale à lui. Cet album, c’est le début de quelque chose. J’ai envie de montrer que je peux piloter un projet, et Ateyaba, c’est aussi une carte de visite pour ça.

J’ai eu une vraie réflexion pour cet album, j’avais envie qu’on apporte quelque chose. Joke, lui est plus dans l’instant, il attend l’éclair de génie. Il faut composer avec. Pour certains morceaux, on a du combiner nos manières de penser. Par exemple pour le morceau avec Pusha T, on a réfléchi à quelque chose qui puisse être novateur, et plaire autant à Pusha qu’à Joke. Quand tu es beatmaker, il faut que tu répondes à un certain cahier des charges. Cette prod a été faite avec Leknifrug, qui est pour moi un beatmaker d’avenir, parce qu’il a une culture électro. C’est satisfaisant d’avoir contenté Joke et Pusha sur cette prod. J’ai fait de l’arrangement aussi, comme sur « Pharaon » : le ralentissement à la fin, c’est mon idée. Sur « Paris », j’ai rajouté des touches de piano.

On a eu l’occasion d‘aller à New York, on voulait sortir de la France, capter d’autres vibes. On a rencontré d’autres producteurs, comme !llmind, certains membres des Hitmen, I.D. Labs. On est même rentrés dans les studios de Just Blaze. On voulait s’imprégner de la musique de là-bas. Avec Joke, on a pu faire des sessions de créativité, et le fait d’être hors de Paris nous a amené à faire des choses différentes. « Anubis », par exemple, a été fait à New York. Tu peux imaginer 50 Cent poser dessus, elle a ce grain-là. Le morceau ne devait pas être sur l’album, c’est pour ça qu’il est en bonus. Mais après réécoute, on a décidé de le laisser pour retranscrire cette vibe new-yorkaise qu’on a eu.

L’avenir, ça va être de développer des artistes. Là, je bosse aussi avec Flaco. Il vient aussi du 78, pas loin de chez Richie. Il a posé sur la compil We Made It. Je le trouve très instinctif dans son flow. On va lui donner une couleur qui va surprendre je pense, dans tout ce qui est sonorités anglaises. À côté de ça, je cherche des artistes féminines pour un projet de pop urbaine, je pense qu’il y a de la place, il n’y a pas beaucoup d’artistes féminines, ça manque de personnalité. Je cherche une artiste qui peut aussi bien poser avec un rappeur que faire un morceau tubesque sur NRJ. Je pense que les mélanges de musiques, c’est ce qui fait dépasser les limites en tant que beatmaker. Je ne peux pas m’arrêter au rap.

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3 commentaires

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  • Nény,

    Très intéressant ! 
    Beaucoup d’artistes que nous avons joué sur 88.2 FM….

  • @ereM_aT,

    « Jay Dilla »?? Sérieux les mecs ça donne l’impression que vous savez pas qui est le gars…

  • Moi,

    Ah ah l’anecdote du gospel !