Joke : « Le rap n’a pas à être étiqueté selon un pays »
Interview

Joke : « Le rap n’a pas à être étiqueté selon un pays »

En à peine trois morceaux sortis en 2012, Joke a su se réinventer et susciter une véritable attente autour de Kyoto, disponible aujourd’hui dans les bacs. De Stunts à Golden Eye, on a discuté de tout avec un rappeur qui aborde l’exercice de l’interview comme un morceau, faussement nonchalant mais toujours précis dans ses réponses.

Photographie : AL

A comme artiste

Joke : La vie d’artiste n’est pas simple et tu ne sais pas quand ça va péter. Pour le moment, je me débrouille mais, même si je n’en vis pas encore comme je le voudrais, c’est pour le rap que je me lève tous les matins. Et Oumar [NDLR : Oumar Samaké, boss de Golden Eye Music] est tous les jours au téléphone pour me le rappeler !

Oumar est aussi mon manager et je pense que cette rencontre a tout changé. Il m’a remotivé mais il m’a aussi ouvert beaucoup de portes. La rencontre avec Oumar a permis à des gens qui ne me connaissaient pas du tout de me découvrir. Il est tout le temps derrière moi et, à l’heure qu’il est, je ne pense même pas à une signature en major. Je veux pouvoir bénéficier de ma liberté artistique, être capable de faire ce que je veux et imposer mon son à une maison de disques, à la manière d’un Booba.

B comme Booba

J : A mon sens, c’est le meilleur rappeur français et j’ai du respect pour lui. J’étais trop petit à l’époque de Temps mort mais c’est vraiment à partir de Panthéon que j’ai accroché. D’ailleurs, jusqu’à maintenant, je trouve que c’est son meilleur album. Temps mort est très fort lyricalement mais les prods me parlent moins alors que Panthéon représente un peu l’équilibre parfait là-dessus.

C comme Converse

J : Cette campagne publicitaire m’a largement aidé à payer mon loyer parce que j’étais en galère à cette époque-là [Sourire]. En fait, mon manager de l’époque était connecté avec des gens de Converse qui cherchaient un artiste pour représenter le côté jeune de la marque. Je pense que mes choix d’instrus rendaient mon rap facilement audible pour des étrangers et c’est ce qui a dû leur plaire. Sur le plan artistique, je n’ai pas eu de retours mais ça m’a apporté de l’expérience et permis de faire quelques scènes. Je suis parti en Turquie notamment donc ça fait aussi de beaux souvenirs [Sourire].

D comme débuts

J : Je rappe depuis un moment et, avant Institubes, j’avais déjà été en contact avec d’autres personnes. J’ai commencé à rapper à dix piges et c’est Base de la Brigade qui a été la première personne à me remarquer. La Brigade était venue signer des autographes dans un magasin à Montpellier, je suis passé pour faire un freestyle et ils ont kiffé. Je me souviens d’ailleurs qu’à l’époque, j’étais beaucoup plus revendicatif que maintenant puisque je parlais de racisme et de ce genre de choses [Sourire]. Ils faisaient un concert le soir même et m’ont invité à venir poser. J’y suis allé alors que je pense que je ne pourrais pas le refaire aujourd’hui, aller sur scène et poser sur n’importe quel instru. En tout cas, ils ont kiffé, j’ai gardé contact avec Base mais on était en 2001 et Internet n’était pas aussi développé que maintenant donc il n’y a pas vraiment eu de suite. Ensuite, il y a eu Dadoo qui était venu me parler sur Myspace à l’époque où il préparait le B.O.S.S 3 qui n’est jamais sorti [NDLR : Opus 3 est bien sorti en 2004 donc on suppose que Joke fait référence à un quatrième volume]. J’avais fait deux morceaux que j’ai finalement gardés pour moi.

Le contact avec Tekilatex s’est aussi fait sur Myspace mais dans le sens inverse. Je n’ai pas toujours été fan de TTC parce que, quand j’étais petit, je n’écoutais pas trop ça mais je me suis pas mal ouvert à ce qu’ils faisaient en grandissant et je kiffais bien. J’ai contacté Teki au culot en lui proposant de faire un morceau. Il a apprécié les morceaux qu’il y avait sur ma page et m’a expliqué qu’il montait un label [NDLR : Il s’agit donc d’Institubes et de sa division rap, Stunts]. Je suis rapidement monté sur Paris et le « Joke & Teki » est le premier morceau qu’on ait fait ensemble.

E comme Évolution

J : J’avais 18 ans quand j’ai écrit et enregistré Prêt pour l’argent. Je n’étais pas le même et, entre temps, j’ai grandi et continué à pratiquer mon rap. Je pense aussi que l’entourage a contribué à cette évolution. Quand j’étais chez Institubes, c’était une autre méthode de travail parce que je travaillais majoritairement seul. À l’époque, je faisais vraiment ce que je voulais sans qu’il y ait de suivi ou que ça pousse derrière, ça n’a rien à voir aujourd’hui. Et puis j’avais aussi d’autres goûts à l’époque !

« J’étais beaucoup plus revendicatif à dix ans puisque je parlais de racisme et de ce genre de choses ! »

F comme Futur

J : L’année dernière, je devais sortir le projet Delorean Music. J’ai toujours été dans ce délire de Marty McFly et je voulais le poursuivre avec cette mixtape. Le problème c’est que trop de gens ont commencé à se pencher dessus et ça commençait à être l’embouteillage… D’ailleurs, j’avais vu que vous l’aviez remarqué dans votre news à l’époque ! Je me suis dit qu’il valait mieux passer à autre chose parce que ça en devenait banal et ça commençait à ressembler à un effet de mode.

Retour vers le futur m’a vraiment marqué et surtout le personnage de Marty Mcfly. Au départ, c’est vraiment son style vestimentaire qui a retenu mon attention, indépendamment du film que j’ai kiffé. Et puis, j’ai toujours voulu être avant-gardiste et, forcément, le concept futuristique m’a parlé. Le film me ressemblait et c’est pour ça que je me le suis approprié.

G comme Golden Eye Music

J : Je crois que Dixon a parlé de moi à Blastar. Blastar a kiffé et m’a contacté sur Twitter ou quelque chose comme ça. On a discuté jusqu’à planifier un rendez-vous avec Blastar et Oumar. On a échangé sur la manière dont on voyait l’avenir et on s’est tout de suite mis d’accord. On est sur la même longueur d’ondes.

Je galère depuis un moment et je me dis que ça devait arriver, j’y ai toujours cru. Je suis content du buzz actuel mais je ne m’emballe pas parce que ce n’est que le début et ce sera plus compliqué de confirmer. « Triumph » a bien tourné et a enfoncé le clou après « MTP Anthem » mais c’est le EP qui fera figure de tournant.

I comme influences

J : Quand j’étais tout petit et que j’ai commencé à rapper, ce sont des français et notamment les mecs du Secteur Ä et de Première Classe qui m’ont donné envie de prendre le micro. Ensuite, je me suis évidemment tourné vers Dre avec 2001, Eminem… Après, il y a eu Ludacris dont j’ai été ultra-fan quand j’avais 12 ou 13 ans. J’ai beaucoup écouté Jay-Z aussi… [Il hésite] C’est compliqué de citer mes influences parce que j’ai tellement essayé d’écouter tout ce qui se faisait que je suis incapable de dire de qui je me suis inspiré.

A : Quand on écoute un morceau comme « Threesome », on a l’impression que tu as aussi pas mal écouté la vague de rappeurs aux ambiances un peu aériennes comme Curren$y, A$ap ou Kendrick Lamar.

J : [il hésite] J’écoute de temps en temps Curren$y mais je ne suis pas spécialement fan. Je trouve qu’A$ap est très fort aussi mais, honnêtement, je ne sais pas si ces mecs m’ont influencé. Ce sont peut-être les productions que m’envoient les beatmakers qui m’ont poussé à me tourner vers ce style de sons. En tout cas, je ne me suis jamais dit qu’il fallait que je fasse un son à la A$AP. J’essaye vraiment de faire mon truc à moi.

K comme Kyoto

J : Kyoto est censé être un premier projet qui sera suivi par Tokyo. J’ai envie de partir au Japon et je me dis que ce sont ces deux EP’s qui me permettront d’y aller [Sourire]. C’est la raison pour laquelle je les ai appelés comme ça. En ce qui concerne le EP, c’est très proche de ce que j’ai toujours fait et je ne pense pas que les gens vont être dépaysés. Je pense aussi que les gens sont plus habitués à écouter ce genre de rap, plus egotrip, plus cainri…

Au départ, il y avait un peu trop de morceaux mais on s’est limité à dix titres. Il y a une prod de Wealstarr, une prod de Blastar en solo, une collaboration Blastar/Cannibal Smith qui est très lourde, des prods de Leknifrug qui fait partie de mon crew Les Monsieur, une prod de Ikaz qui est un son très spécial voire expérimental, deux prods de Myth Syzer… Sinon, il y aura deux rappeurs cainris qui ne sont pas encore connus : Ayo Marie qui est de L.A et Mister Thomas qui est de Harlem.

M comme Mélange

J : A l’époque d’Institubes, je n’avais pas l’occasion de me mélanger. Déjà, je bossais majoritairement seul et, même en étant chez Stunts, ça ne m’ouvrait pas vraiment de portes dans le rap français puisqu’on parle d’un label qui ne se mélangeait pas beaucoup avec les autres. Je n’avais pas d’opportunités de faire des morceaux avec d’autres rappeurs français même si j’en appréciais plusieurs. C’était plus compliqué. Aujourd’hui, si je suis davantage dans le « game rap français », c’est aussi parce que j’ai l’impression que les sons que je faisais à l’époque étaient moins accessibles au public rap français. Le public a évolué et est peut-être davantage prêt à m’écouter.

A l’avenir, on devrait me voir de plus en plus collaborer avec d’autres rappeurs en tout cas. Il y a eu le remix de « Scorpion » avec Niro et Mctyer… Donc de vrais rappeurs français que j’apprécie ! Je suis également en train de discuter avec Zekwé Ramos pour qu’on fasse un morceau ensemble… Ce genre de collaborations se fera de plus en plus.

« Ici, on place une distinction entre le rap français et le rap cainri, comme s’il s’agissait de deux choses opposées. Pour moi, il y a le rap, point. »

N comme Nouvelle scène

J : C’est une situation bizarre parce que ça fait un moment que je rappe et c’est aujourd’hui qu’on me considère comme un « nouveau ». Je ne sais pas si c’est grâce à « MTP Anthem » ou à 10 French Men qui m’avaient sûrement permis de faire Can I kick it… Je pense faire partie du renouveau dans le sens où j’espère apporter quelque chose de neuf mais … [il hésite] je ne sais même pas s’il y a vraiment un renouveau. Il y a de nouveaux artistes mais est-ce qu’il y a vraiment un changement ? Je ne pense pas. Il y vraiment de bons artistes mais je pense que le changement arrivera un peu plus tard.

J’aime bien Wilow Amsgood, ce que fait A2H est pas mal… J’aime beaucoup Zekwé mais il est là depuis un moment donc je ne sais pas si on peut l’intégrer dans cette vague d’artistes. J’aime bien Alpha Wann, 3010, Bon Gamin, j’aime beaucoup Cool Connexion, Deen… En gros, ce sont les nouveaux artistes que je kiffe bien. Tu vois que je ne déteste pas tout le rap français [Rire].

O comme Origine

J : Vivre à Montpellier ne m’a jamais vraiment gêné. Depuis l’âge de dix ans, j’ai toujours voulu être rappeur donc je m’en foutais d’être sur Montpellier. J’ai toujours voulu bosser mes sons de mon côté et considérer un départ sur Paris au moment où je serai prêt. Ceci dit, avec Internet, c’est beaucoup plus simple d’être en Province.

J’ai habité un an sur Paris mais on ne m’y reprendra plus [Sourire]. J’ai trop souffert ! Les loyers élevés, je mangeais une fois par jour… Complètement traumatisé [Sourire]. Je préfère faire mes allers-retours quand c’est nécessaire parce que je reste encore très attaché à Montpellier.

P comme Plaisir

J : Quand j’écoute du rap, c’est pour l’expérience musicale donc je n’aime pas écouter des mecs qui me prennent la tête. Chacun a ses galères donc je ne vois pas l’intérêt d’aller mettre ça dans ton CD et de ramener les gens à leurs soucis. Je ne conçois pas le rap comme ça en tout cas. Pour moi, c’est de ça dont il s’agit. J’écoute du rap pour me faire plaisir. Et c’est le cas avec n’importe quel genre musical parce que j’aime la musique ! Peut-être que j’aurais envie de véhiculer des messages un jour mais ça viendra quand je sentirai que j’aurais des choses à dire sur un thème qui me tient à cœur. D’ailleurs, j’en ai déjà en tête mais je garde ça pour l’album. En tout cas, je n’irai pas faire la morale aux gens. J’ai envie que les gens se fassent plaisir en écoutant ma musique. En France, les gens écoutent beaucoup de rap cainri pour se détendre mais très peu de rap français en soirée hormis Booba. Je veux que les gens s’ambiancent sur mes sons, qu’ils s’amusent.

P comme Prêt pour l’argent

J : À l’époque, Facebook existait mais n’était pas développé comme maintenant donc c’était moins simple de savoir ce que les gens pensaient de ton projet. Je sentais qu’il y avait un petit buzz mais ça n’était pas vraiment palpable au quotidien. On ne venait pas me voir dans la rue pour me demander des autographes [Sourire].

Ceci dit, les morceaux tournaient quand même et ça m’avait énormément surpris de me retrouver dans le top Itunes lors de la première semaine alors que je n’avais fait aucun clip. [Il réfléchit] Je n’étais pas très conscient de ce qui se passait en fait.

Il y a aussi deux choses qui ont changé depuis l’époque de Prêt pour l’argent. Les réseaux sociaux n’étaient pas aussi importants et les 5D n’étaient pas encore autant démocratisés. C’était plus compliqué de faire parler de soi. Malgré tout, j’ai l’impression que Prêt pour l’argent a quand même duré puisque des personnes le découvrent aujourd’hui et l’apprécient. En ce qui me concerne, j’ai pas mal grandi depuis et c’est un projet que j’aime moins puisque j’ai vraiment du mal à le réécouter. J’ai l’impression que les morceaux ont pas mal vieilli mais ça fait plaisir de voir que certains personnes puissent lui trouver de l’actualité.

R comme rap français

J : Quand je dis que « j’emmerde le rap français », je ne parle pas de l’ensemble des acteurs du rap français. Il y en a plusieurs que j’apprécie. En fait, musicalement, il n’y a vraiment pas grand chose dans le rap français qui m’a giflé ces derniers temps. Les projets sortis par les principales têtes d’affiche me déçoivent et c’est plus ça que je veux dire lorsque je parle d’emmerder le rap français.

Ici, on place une distinction entre le rap français et le rap cainri, comme s’il s’agissait de deux choses opposées. Pour moi, il y a le rap, point. Je ne veux pas faire de « rap français » ! Je veux faire du rap qu’un cainri puisse écouter sans être choqué. L’idée n’est pas de pomper ce que font les cainris mais uniquement de se mettre sur la même ligne qu’eux. Le rap n’a pas à être étiqueté selon un pays. Par exemple, tout le truc piano/violon du rap français m’a saoulé. J’ai apprécié ça quand c’était fait par des mecs du Queens mais pas la manière dont ça a été exploité ici.

S comme scènes

J : J’ai envie de faire le plus de concerts possibles. Il y a déjà le live du 21 décembre à la Maroquinerie où je serai vraiment tout seul, il y aura seulement Orgasmic au Warm up. J’adore les ambiances de tournée, être sur la route avec les potes… Plus il y aura de dates et plus je serai content.

A : Tu viens de mentionner le nom d’Orgasmic. Tu es encore en contact avec cette équipe et est-ce qu’ils t’ont fait des retours sur tes derniers morceaux ?

J : Teki m’a dit qu’il a kiffé « Triumph », je les ai vus début 2012 pour leur faire écouter des trucs qu’ils ont apprécié, je dois bosser avec Orgasmic pour Tokyo, Orgasmic avait adoré « MTP Anthem »… Je suis toujours en contact avec eux et ils écoutent encore ce qui se fait.

V comme Ventes de disques

J : Honnêtement, je n’y pense pas trop. Je pense beaucoup plus à l’accueil critique qu’aux ventes. Je n’ai même pas d’appréhension mais j’espère que les gens vont comprendre le projet.

Je ne me fais pas de souci pour les ventes et je sais que je ne peux pas casser la baraque d’un coup. D’ailleurs, il ne vaut mieux pas casser la baraque d’un coup parce que la descente est plus sévère. Je préfère que ça se fasse petit à petit et que les gens s’habituent à m’écouter. Kyoto est fini et je suis déjà sur Tokyo donc je ne lâcherai pas le steak tant que les gens n’auront pas compris [Sourire]. Normalement, Tokyo sera finalisé pour avril 2013.

W comme We made it

J : Je sens que c’est la compilation We made it et le morceau « MTP Anthem » qui a été l’élément déclencheur. L’histoire est très simple : j’en ai rapidement discuté avec Richie [NDLR : Richie Beats] et on s’est mis d’accord sur un instru qu’il m’a envoyé. Je l’ai rappé à l’instinct, comme souvent. Je prenais ma douche et j’ai écrit le début du premier couplet dans ma tête. C’est souvent dans ma douche que je trouve l’inspiration ! J’avais les huit premières mesures et j’ai écrit le reste dans la foulée, dès que je suis sorti de la douche. Je n’ai pas du tout réfléchi à ce son.

Une fois le morceau fini, je ne me suis pas dit que c’était un truc de fou. Je l’ai fait tellement à l’instinct que je n’ai vraiment pas anticipé les retours que j’ai eus. Il y a aussi des acteurs du rap français qui ont kiffé le morceau, qui me l’ont fait savoir et c’était pratiquement la première fois que ça m’arrivait. Je pense que dans Prêt pour l’argent 1.5, il y avait déjà des morceaux qui auraient pu rencontrer un certain succès auprès du public rap français mais on avait un problème d’exposition. Les morceaux n’étaient même pas arrivés aux oreilles des gens… En tout cas, je n’ai jamais essayé d’être en marge.

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