Chronique

Prince Po
The Slickness

Lex Records - 2004

Rappeur méconnu, resté dans l’ombre des projecteurs, Prince Po appartient à cette vaste liste de MCs répertoriés par les initiés mais souvent ignorés du grand public. Prince Po a payé le prix d’un malentendu tenace et d’un obstacle de poids. D’un côté, on l’a souvent confondu avec Prince Paul, à tel point qu’il est obligé de mettre les points sur les i au début du raté ‘Hold Dat’ — qui donne l’impression désagréable d’être à l’usine. Ensuite, il a été éclipsé, au sein de sa légendaire formation d’origine Organized Konfusion, par la présence envahissante de son compère Pharaohe Monch. Si le Prince complétait parfaitement le Pharaon, les performances de ce dernier (comme son couplet incroyable dans ‘Bring It On’ sur l’incontournable Stress : The Extinction Agenda) lui attribuaient un magnétisme plus immédiat. Preuve de ce décalage, le premier album de Pharoahe Monch, Internal Affairs (plutôt réussi, bien qu’inégal) est sorti il y a plus de cinq ans. La reformation du groupe fait partie de ces rumeurs qui traînent depuis quelques années. Les deux rappeurs avaient par exemple œuvré ensemble, mais sous leurs noms singuliers, sur ‘Frontline’, dans l’album Superrappin.

Prince Po balance un LP plus homogène que celui de son ancien partenaire, mais aussi plus poussif. The Slickness décolle efficacement grâce à un ‘Hello’ ténébreux, sec comme un coup de trique, qui ramènerait presque dix ans en arrière. Malheureusement il atterrit en catastrophe avec l’affreux remix de ‘Hold Dat’, que même les dance-floors risquent de refuser à l’entrée. Entre les deux, on trouve à boire et à manger, et en fin de compte, on reste sur sa faim. La faute en revient essentiellement à des productions certainement pas honteuses, mais souvent moyennes ou anecdotiques, qui se laissent oublier. Elles sont en plus plombées par un mixage plutôt curieux, qui a tendance à étouffer ou à écraser un son qui manque de souffle.

Prince Po ayant signé chez Lex, l’album est principalement placé sous la tutelle de Danger Mouse, qui s’est notamment fait connaître par un Grey Album aujourd’hui clandestin tentant de marier Jay-Z et les Beatles. Mais la palette de producteurs est large. The Slickness mise dans l’ensemble sur des tempos rapides, sur lesquels Prince Po pose un flow nerveux. L’agilité qu’il place au fronton de son solo n’est plus à prouver, cependant aucune performance mémorable ne se distingue du lot : Prince Po ne surprend pas beaucoup. Cela donne des morceaux tout à fait audibles, comme ‘Too Much’, l’estival ‘Love Thang’, ou la combinaison avec Raekwon ‘Bump Bump’. Mais enfin, il n’y a pas de quoi se lever la nuit. Certains instrus (notamment chez un Madlib forcément inconstant, puisqu’il est partout) sentent même sensiblement le fond de tiroir, ou la répétition d’inspirations mieux exploitées ailleurs (‘The Slickness’, et son influence arts martiaux usée).

Plusieurs titres ont alors carrément du mal à convaincre, spécialement ‘It’s Goin’ Down’ et ‘Meet Me At Tha Bar’, tous deux réalisés par J-Zone. Amusants à la première écoute par leur construction décalée et leurs boucles dissonantes, ils finissent par lasser. Et puis, tout se passe comme si le syndrome de l’éclipse poursuivait Prince Po sans relâche, car on se surprend souvent à prêter davantage l’oreille à ses invités qu’à lui… Il faut ajouter une absence dramatique de scratch, qui prouve qu’une forme d’aseptisation plus sournoise que l’édulcoration « commerciale » menace des projets respectables. Les crissements de platine auraient pu permettre de relever une sauce qui prend, certes, mais dont le goût reste trop fade.

En certains endroits, dès qu’il est appuyé par un son malin et finement ciselé, on retrouve Prince Po au sommet de son art. D’où l’impeccable ‘Social Distortion’ et son ambiance souterraine parfaite de bout en bout, où MF Doom et son hôte rivalisent de maîtrise. Plus étonnant, Prince Po réalise parmi les meilleures productions de son propre album ; peut-être aurait-il dû passer plus de temps derrière ses machines. Dès que l’ambiance se réchauffe (‘Grown Ass Man’), et que Danger Mouse ajoute quelques cordes et des cuivres à son arc (‘Fall Back’), le résultat coule de source. Pour sa part, Prince Po signe ainsi l’intégralité du très réussi ‘Be Easy’, une petite perle qui développe brillamment une atmosphère intimiste.

Bancal, sans digression inutile mais du même coup un peu court, The Slickness est une déception (surtout à 21€, mais c’est un autre débat…). Le constat peut paraître un peu sévère, car au fond cet album est plutôt bon. Le verdict est simplement à la hauteur d’une mise de départ élevée, dont on s’attendait à ce qu’elle montre un très gros jeu. Il manque cruellement au premier long format solo de Prince Po le petit cachet nécessaire pour le classer parmi les réussites de l’année, et plus simplement, celui qui aurait donné envie de le mettre plus souvent sur sa platine.

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