Chronique

Cormega
The Realness

Landspeed records - 2001

Si certains rappeurs comme Nas ou Notorious B.I.G ont bâti leur légende et leur succès dès leur premier album, d’autres ont dû traverser nombres d’obstacles avant de pouvoir laisser une trace discographique. Cormega est de ceux là. Dealer dans les projects de Queensbridge, il devient après un passage en prison le protégé de Nas, dont le morceau ‘One Love’ évoquait justement son incarcération. Pressenti pour participer au projet The Firm, « Mega » se verra remplacé au pied levé par Nature suite à une embrouille avec Nas et son producteur exécutif, Steve Stoute…Sage décision au vue de l’échec de l’album, d’autant qu’il signera par la suite avec Def Jam. Mais là encore, l’expérience sera douloureuse, avec à la clé un premier disque jamais sorti. C’est donc par la voie de l’indépendance que Cormega livre The Realness, après avoir fait monter le buzz en se greffant à de nombreux projets comme QB Finest, The Piecemaker de Tony Touch ou encore l’album solo de Hi-Tek.

Pour les 14 titres de l’album, pas moins de onze producteurs différents se sont mis au travail : deux all-stars (Havoc et Alchemist), pas mal de sixièmes hommes (J-Love, Big Ty, Sha Self, Spunk Bigga, Jae Supreme, Spank brother, Ayatollah, Godfather Don) et Cormega himself, dont on retiendra plus la performance au micro qu’à la MPC. Il est créditée des instrus de ‘American Beauty’ (la fameuse boucle de Southside Mouvement, déjà entendue chez La Cliqua) et ‘5 for 40′, morceau…acapella.

D’ailleurs, l’écoute de l’album laisse souvent un sentiment familier : en plus d’’American Beauty’, on reconnaît dans ‘Unforgiven’ les samples de ‘Un bon son brut pour les truands’ (IAM), tandis que ‘Fallen Soldiers’ repose sur une boucle déjà utilisée dans ‘It’s like that’ (Jay-Z). Heureusement, ces samples ont une sonorité nouvelle (notamment pour le très dense ‘Fallen soldiers’), mais on a néanmoins l’impression de connaître 3 des 7 premiers morceaux d’un album déjà relativement court. Dommage.

Si les productions ne sont pas à première vue le point fort de l’album, le travail de Cormega ne souffre par contre d’aucuns reproches. Son timbre de voix triste et enfantin donne un relief tout particulier à ses textes. Dans ‘American Beauty’, il nous fait le coup de la personnification du hip hop en fille : « Yo if he didn’t go to jail dun, she mighta been Slick Rick’s wife / Disappeared a few years, she was « Stranded On Death Row » / Dre had her on anotha level in the west coast / She met a lame with with a drug dealer name / He had a lot for a while, then his whole style changed« . Nas appréciera.

Meurtre, deal, galère, trahison…Les thèmes de l’album ne volent pas forcément plus haut que le sol du 41st Side, mais à la limite on achète pas un album de QB pour entendre des histoires d’amoureux transits. The Realness dégage cette ambiance mélancolique et désenchanté, typique du Queens, à l’image de ‘The Saga’ : « Mothers watch Son’s walk through the door / for the last time ’till they go view at the morgue / life is deep, we all just tryin’ to eat / rap’s a mental narcotic, I supply the streets« . L’atmosphère amère est soutenue par quelques productions aux samples addictifs qui donnent vite la chair de poule. Après un début sans surprise (les samples grillés, l’instru anecdotique de Havoc pour ‘Thun & Kicko’…) l’album monte en puissance, et les boucles donnent leur pleine puissance, à base de cordes et de voix (‘R U my ni**a’, ‘Glory Days’). Dans ce dernier, Cormega décrit son existence avec un mélange de nostalgie, de regrets et de fierté : « I became a little nigga gettin’ money type often / Livin’ the ill life, sportin’ Nike Delta forces / I saw Scarface and got my first taste for power / I never knew grams of powder could make bags of dollars« .

L’album atteint enfin sa vitesse de croisière, et offre un final tout simplement magnifique : ‘They forced my hand’ (titre de Tragedy Khadafy), avec ses contretemps et ses chœurs planants, est sans conteste le chef d’oeuvre du disque, et l’une des meilleurs productions soulful jamais entendues. De son côté, Alchemist sort le-sample-de-guitares-qui-tue pour le remix de Fallen soldiers, où Cormega évoque ses proches disparus : « Did you ever lose a nigga you love? / Then ask yourself is there a heaven for thugs? / And will you be forgiven when your spirit is judged / This song is dedicated to my niggas above« .

Au delà de ces morceaux tristes, Cormega lâche aussi des tracks plus dynamiques, tout en évitant les traditionnelles « thugged out shits« . Seul ‘Killaz’ (morceau caché) avec Mobb Deep pourrait porter l’étiquette « un pur produit du Queens », avec son sample de violons lugubre accompagné d’un beat discret et d’un refrain lapidaire : « We gonna kill you« . ‘Rap’s a hustle’ et un ‘Get out my way’ porté par des cuivres épiques redonnent du souffle à l’album et montrent que Mega est aussi l’aise dans l’égotrip que dans la narration de sa vie de malfrat . Toujours remonté contre Nas, il lui dédie un morceau (‘Thun and Kicko’) et quelques rimes assassines (« My life wasn’t written, yours was, you livin’ a lie« ).

Pour être sévère, on dira que Cormega aurait pu faire mieux pour son premier « solo effort », « The Realness » ressemble en effet plus à une belle démo qu’à un véritable album : une courte intro, un interlude acapella, trois instrus bootlégées, un remix, le tout en moins de 50 minutes…On attendait plus de la part d’un MC qui attend sa sortie depuis cinq ans. Voilà pour la sévérité. Maintenant, l’album est très agréable à l’écoute, et Cormega fait honneur au vivier de rappeurs qu’est le Queens. The Realness nous permet de découvrir une partie de son potentiel, en attendant la suite…

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