Chronique

Cormega
The Testament

Legal Hustle - 2005

« The drama is a part of me. »
Cormega – ‘Killaz Theme’

Révélé par son très bon couplet sur ‘Affirmative Action’ (It Was Written) en 1996, Cory McKay, alias Cormega, aurait logiquement dû sortir son premier album dans la foulée. Mais ses déboires avec Def Jam, accompagnant son éviction de dernière minute du groupe The Firm, l’en empêchèrent : The Testament ne verra le jour qu’en février 2005 sur son propre label, Legal Hustle Entertainment ; huit ans après sa réalisation.

Pas étonnant, donc, que cet album rappelle souvent l’âge classique de Queensbridge, celui des années 1995-1998. Mobb Deep apparaît d’ailleurs sur ‘Killaz Theme’, tandis que Havoc se charge en solo du refrain de ‘Angel Dust’ : déjà entendus en maxi et sur différents bootlegs, ces deux morceaux ont plutôt bien vieilli et restent efficaces.

Pur produit du Queens, Mega excelle dans les récits sombres, empreints d’une violence froide. Aidé en cela par des instrumentaux graves et volontiers lugubres, emplis de samples de cordes appuyés par des rythmiques pesantes (‘Montana Diary’, ‘Angel Dust’, ‘Killaz Theme’, ‘Dead Man Walking’) et parfois réhaussés par une voix soul (les deux versions de ‘Testament’), il mêle habilement storytelling et egotrip. Entre les exécutions sommaires de Kool G Rap époque ‘Executioner Style’ ? en moins démonstratif ? et les rêves d’un Nasty Nas (fascination pour le personnage de Tony Montana), Cormega oscille et se crée un style personnel, constatant la violence de son environnement sans en tirer ni gloire ni fierté. S’il se prête par instants au jeu de la surenchère gratuite comme Prodigy et Havoc, il conserve la plupart du temps la plume lucide et éclairée par ses séjours à l’ombre (‘Every Hood’, ‘Love is Love’ ou encore ‘One Love’, réponse amicale au titre du même nom de Nas).

Ce dernier prend ici une importance toute particulière, quand on sait l’évolution que prendra au cours des années suivantes la relation Nas/Mega. 1994 : Nas sort Illmatic alors que son pote Cormega (« You should know the situation ’cause we’re dealin’ with the same crew« ) se trouve incarcéré (« Did time for cocaine, knives, and armed robbery« , sur ‘Killaz Theme’). Il lui fait un clin d’oeil dans le morceau ‘One Love’ (« What up with Cormega, did you see him, are y’all together?« ) – auquel Mega répond ici, sous la forme d’une lettre. A sa sortie de prison, Nas est en train de monter le collectif The Firm avec AZ et Foxy Brown. Il y intègre son ami : l’acte de naissance du crew est un morceau anthologique, ‘Affirmative Action’, posé sur le second opus de Nas. Mais, vicissitudes du business et embrouilles personnelles obligent, Nasir Jones l’éjecte au dernier moment de The Firm et le remplace par Nature. Dès lors, ce sera la guerre entre les deux hommes, entrecoupée d’éphémères réconciliations. Queensbridge, ton univers impitoyable…

« Aiyyo this crime addict mind, my rhyme status shines like a nine ‘matic… » (‘Angel Dust’)

Contant ses histoires avec une voix nonchalante que l’on qualifierait presque d’insouciante et de candide si elle ne semblait pas si écorchée, Cormega démontre ici qu’il est un MC unique. Maître dans l’art de la phrase-choc (écoutez le fabuleux ‘Dead Man Walking’ ou ‘Angel Dust’ pour vous en convaincre), il fait montre tout au long de The Testament de grandes qualités d’écriture ; une écriture simple, imagée et limpide qui trouvera son point d’orgue en 2003 sur The True Meaning, son meilleur album. Avec ce style fait à la fois de résignation et de détermination, Mega fait mouche sur chaque titre et dégage une sincérité touchante, quel que soit l’exercice auquel il se livre, à moins que celui-ci ne soit en partie gâché par un refrain chanté édulcorant inutilement l’ensemble. Même la thématique féminine, écueil pourtant habituel des disques de rap, est abordée ici de manière convaincante (‘Coco Butter’).

Sorti malheureusement beaucoup trop tard pour être apprécié à sa juste valeur et trouver un intérêt aux yeux d’un public large, The Testament n’en demeure pas moins un très bon disque de rap made in QB. Classique dans sa forme musicale mais révélant déjà un MC d’un excellent niveau méritant autant d’attention que ses contemporains Nas ou Prodigy, il laisse un goût amer : celui d’une carrière qui aurait pu décoller mais restera à jamais limitée à une base de fidèles. Il séduira en tout cas les amateurs de rap new-yorkais, même si ceux-ci connaissent a priori déjà la plupart des morceaux.

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