Chronique

Jehst
The Dragon of an Ordinary Family

YNR Productions - 2011

Tout a commencé par une vidéo postée sur Youtube. A travers les pans de son velux, un internaute y filmait son facteur. La ressemblance de celui-ci avec William G. Shields aka Jehst était frappante. Un débat enflammé sur la déchéance supposée de l’une des figures historiques du rap d’Outre-Manche s’ensuivit sur la toile. Certes, après une période très prolifique de 1999 à 2006, le garçon s’était fait plus discret et rare ces dernières années. De là à tourner le dos au rap, en partie ou définitivement, et d’opter pour un day job ? La réponse arrivait deux mois plus tard, sur la même plateforme. Jehst apparaissait à nouveau en tant que facteur, délivrant des courriers à d’autres artistes de la scène anglaise… Dans le cadre du clip musical de « Starting Over », premier single tiré de son album à venir, The Dragon of an Ordinary Family. Voilà une belle leçon de buzz.

Tout personnage central du UKHH qu’il a été durant la dernière décennie, Jehst n’a sorti jusqu’ici qu’un seul vrai album, Falling Down, il y a huit ans déjà. Après cette  période faite de side-projects, d’EP ou de mixtapes, il fallait donc presque reprendre à zéro. « Starting Over » apparaissait ainsi parfaitement adapté pour lancer cette opération de reconquête. Le morceau en lui-même mériterait une chronique, faisant éclater les structurations habituelles des titres de rap, la réadaptation du refrain mythique de « The Joker » de Steve Miller renforçant encore l’atypisme. Avec un flow tout en nonchalance, Jehst semble décrire de façon imagée une histoire d’amour qui touche à sa fin, écrasée sous le poids de difficultés multiples et insurmontables. Le renoncement et la dépression ne sont plus très loin, uniquement freinés dans leur apparition par un dernier sursaut d’un optimisme feint, pour la forme essentiellement. Le sample, déjà entendu chez 7L & Esoteric (« The Soul Purpose »), contribue à rendre l’atmosphère plus mélancolique. Tout cela n’est pas très réjouissant, mais le ton de The Dragon of an Ordinary Family est en tout cas donné de manière très précise, « Starting Over » renseignant parfaitement sur l’ambiance générale du projet.

Jehst est toujours apparu comme un MC torturé, dont la voix fragile semblait dire beaucoup sur les états d’âmes. Les tourments dont on le sentait la proie n’ont visiblement pas desserré leur étreinte. En effet, peu de place à la rigolade sur l’album. Les textes racontent toujours ce quotidien du petit peuple, entre manque de thunes (« Thinking Crazy »), grosses colères (« England »), histoires de filles (« Poison ») et moments de déprime (« Tears in the Rain »). Le tout est traité avec une écriture d’une qualité restée exceptionnelle.

Il fallait un cadre musical adapté pour supporter ce contenu plutôt lourd et tranché. Et la production se révèle clairement à la hauteur, alternant entre minimalisme bien maîtrisé (« Zombies », « England ») et structures plus riches et atmosphériques (« Killer Instinct », « Timeless »). On appréciera tout particulièrement les beats de LG (« True Intention », « Camberwell Carrots », « Poison », « Tears in the Rain », « Two Point Four »), et l’excellent travail de Beat Butcha pour le brûlot « England ». De manière générale, les instrus sont plus lents que sur les précédents projets du MC, le flow vif et alerte ayant laissé place à un débit plus posé et nonchalant.

Un peu comme celle d’Evidence de l’autre côté de l’Atlantique, la carrière de Jehst est un modèle d’évolution artistique. Billy Brimestone prouve en effet ici que l’on peut très bien se renouveler sans pour autant renier ses racines. The Dragon of an Ordinary Family est à la fois si loin et si proche des premiers maxis de l’Anglais. La base musicale est encore résolument boom-bap, mais les supports se sont étoffés et adoucis. Les textes sont toujours aussi bien écrits, plus pondérés qu’auparavant de manière générale, moins directs et égo-centrés également. Au détour d’un morceau, on aurait parfois aimé retrouver le formidable kickeur du début des années 2000, dont la spontanéité était si rafraichissante. Mais ces regrets restent tout relatifs. Car finalement, contrairement à beaucoup de ses confrères, Jehst a simplement eu le courage de laisser sa musique grandir en même temps que lui-même. Et The Dragon of an Ordinary Family n’est autre que le délicieux fruit de cette évolution.

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