Chronique

Jay Z
The Blueprint²: The Gift & The Curse

Roc-A-Fella Records - 2002

On dit sont souvent d’une suite qu’elle n’est pas à la hauteur du premier épisode. Plus de moyens pour moins d’audace, l’exploitation de recettes déjà vues, des acteurs qui endossent de nouveau leur rôle pour un cachet supérieur, avec pour objectif affiché de dépasser le succès du numéro 1. À ce jeu, Jay-Z n’a pas son pareil. Déjà auteur de la trilogie In My Lifetime, il avait crée la surprise l’année dernière avec une œuvre bien plus aboutie et personnelle que ses précédents blockbusters : The Blueprint, succès critique et commercial, et sommet d’une carrière faste et gérée de main de maître. Mais Shawn Carter n’a pas vraiment eu le temps de savourer sa réussite. Salement amoché par Nas dans « Ether », puis embarqué avec un futur paria, R.Kelly, dans le semi-échec The Best of Both Worlds, il a dû mettre les bouchées doubles pour redorer son blason. Faut-il voir dans les aléas de l’année de Jigga le sens du sous-titre de son nouvel album : The Gift & The Curse (traduction hasardeuse : la médaille et son revers) ? En tout cas, il n’a pas lésiner sur les moyens pour son septième album, en alignant un casting digne d’Ocean’s Eleven : deux disques, 11 producteurs, 25 titres, et autant d’invités.

Avant d’être une superstar, Jay-Z est sans aucun doute une bête de travail, qui passe plus de temps au fond d’un studio que sur un yacht. C’est en tout cas l’impression qui se dégage de cet album, enregistré aussi bien avec des producteurs incontournables que d’illustres inconnus (Charlamane, Ron Feemster), et auquel participent des artistes issus des quatres coins des États-Unis : Los Angeles (Dr Dre, LaToyia Williams), Atlanta (Big Boi et Killer Mike), Philadeplhie (Beanie Sigel), Houston (Scarface)… Malheureusement, en revenant à un format finalement assez habituel chez lui (voir pour ça la multitude d’invités du Volume 2), Jay-Z déçoit, et The Blueprint² souffre immanquablement de la comparaison avec la cohésion et la force du premier épisode. Volontairement éclectique, et réalisé dans la foulée de ses précédents projets, son album annuel est vaste, inégal, parfois répétitif, mais globalement de bonne facture. D’une escapade dans l’univers d’OutKast (« Poppin’ Tags » avec Big Boi, Killer Mike et Twista) à un énorme sample de »My Way » (« I Did It My Way ») en passant par une surprenante collaboration avec Lenny Kravitz (« Guns & Roses ») et un posse cut funky (« As One »), Hov’ a cette capacité de constamment changer de registre sans provoquer de haut le cœur chez l’auditeur. Celà dit, en allant chercher leurs samples à la fois chez Ennio Morricone, Earth Wind & Fire, Paul Anka, TLC, Tupac Shakur et Jermaine Jackson, les concepteurs sons de l’album semblent avoir confondu éclectisme et confusion.

On ne change pas une équipe qui gagne, et c’est sans surprise que Jay-Z confie la majorité des productions de l’album à Just Blaze (sept prods), Kanye West (quatre), The Neptunes (cinq) et Timbaland (trois). Hormis ce dernier, en bonne forme (voir l’instru dévastatrice de « The Bounce »), ces concepteurs aux mains de Midas ne convainquent que partiellement. Tantôt méconnaissables (« Fuck All Nite »), classiques (« Nigga Please ») ou inspirés (« Excuse Me Miss », ‘A Ballad For The Fallen Soldier »), le duo Pharrell Williams / Chad Hugo rend une copie correcte, sans pour autant justifier sa présence sur 1/5e de l’album. A mi-chemin entre composition ambitieuse (« Meet The Parents ») et échantillonage high-pitché (« Somehow, Some Way »), Just Blaze prend le risque de prendre la tendance à contre-pied avec la production avant-gardiste et fascinante de « Hovi Baby », peut-être le meilleur morceau de l’album, avec un Jay-Z plus éloquent que jamais (« I got now I don’t care who got next »). Enfin, Kanye West reste fidèle à lui-même avec un grain sonore toujours reconnaissable (« Some People Hate ») mais montre aussi ses limites, notamment sur l’instru de circonstance de « ’03 Bonnie and Clyde ». Pour les deux dépositaires du son Roc-A-Fella, il semble que leur énorme productivité en 2002 a porté un coup à leur créativité. Ils se font même doubler par des producteurs moins côtés, comme No I.D., pygmalion de West, qui les bat à leur propre jeu dans l’ambiance soul de « All Around The World ».

Une fois la déception de départ passée, il reste tout de même de nombreux motifs de satisfaction sur cet album. Sans égaler leurs originaux, les quelques remakes qui jalonnent les deux disques font passer un bon moment, à défaut d’apporter quelconque nouveauté. Même si « ’03 Bonnie and Clyde », reprise édulcorée du « Me And My Girlfriend » de 2Pac, est un single on ne peut plus facile, elle n’en reste pas moins agréable, tout comme la présence de l’équipe Aftermath (Rakim, Dre, Truth Hurts) pour un « The Watcher 2 » aux couplets foudroyants. Il est tout de même ironique que la seule véritable bombe de l’album (et la meilleure production de Just Blaze) soit le surpuissant remix d’un titre phare de The Blueprint, « U Don’t Know’, avec « the newest addition to the ROC » : M.O.P., littéralement déchaînés sur cette fameuse instru crissante et imparable.

Jay-Z, égal à lui-même, profite de chaque titre pour clamer sa réussite, égratigner ses ennemis et rappeler d’où il vient, mais avec suffisamment d’humour et de formules bien senties pour dépasser la simple bravade. Il pousse ainsi l’egotrip dans ses derniers retranchements – on aime ou on déteste : « I’m so far ahead of my time, I’m bout to start another life / Look behind you, I’m bout to pass you twice / Back to the future and gotta slow up for the present / I’m fast, niggaz can’t get past my past / How they propose to deal with my perfect present ? / When I unwrap « The Gift & the Curse » in one session / Ain’t no livin person can test him / Only two restin in heaven can be mentioned in the same breath as him » (« Hovi Baby »).

Fort heureusement, Jay-Z n’est pas un « one-dimensional MC », et même s’il emploie la majorité de ses rimes à faire grimacer ses détracteurs, il dévoile un véritable sens de la dramaturgie dans certains morceaux, comme ‘Meet the parents’, long couplet intense et bien ficelé sur l’un de ces faits divers qui mêlent amour et haine dans les ghettos de New York. C’est d’ailleurs pendant le deuxième disque qui affiche son meilleur visage, moins festif mais plus solennel et percutant. « Diamond Is Forever » et « Blueprint² », nouvelle attaque contre Nas, en en sont les réussites les plus probantes, avec sur ce titre une excellente boucle sombre et épique (courtesy of Ennio Morricone) et un Jay-Z particulièrement acerbe : « I’ve been real all my life, they confuse it with conceit / Since I will not lose, they try to help him cheat / But I will not lose, for even in defeat / There’s a valuable lesson learned, so it evens it up for me / When the grass is cut, the snakes will show / I gotta thank the little homie Nas for that though ».

Beaucoup de morceaux, beaucoup d’invités, moins d’inspiration. Jay-Z n’a pas su éviter les embûches inhérentes à l’exercice périlleux du double album. C’est un pléonasme de l’écrire, mais The Gift And The Curse a pour principal défaut d’arriver après le premier volet de The Blueprint, et la bonne qualité respective de chacun des 25 titres ne fait pas oublier l’homogénéité et les productions magistrales de son précédent album, ce qui renforce encore plus sa dimension mythique. Mais Jay-Z a autre chose à faire que contempler sa discographie avec nostalgie, et si The Blueprint puissance 2 n’aurait pas souffert d’être un peu élagué et plus réfléchi, il n’en demeure pas moins un album efficace dont les écoutes successives soulignent la richesse et l’habituelle régularité de Jigga Man.

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