Chronique

Jay Z
MTV Unplugged

Roc-A-Fella Records - 2002

Les miracles existent. Imaginez : une chaîne musicale experte en formatage qui réunit les maîtres du hip hop live avec le champion actuel du rap US. C’était le 18 novembre dernier aux MTV studios de Times Square, à New York. Jay-Z au micro, pour une performance orchestrée par Ahmir « ?uestlove » Thompson de The Roots. L’idée de revisiter une bonne partie des tubes de Jigga était à la fois alléchante et inquiétante. Si les samples organiques des morceaux de Reasonable Doubt et The Blueprint se prêtaient aisément à une orchestration live, on voyaient mal comment les sons électroniques de ‘Can I get a…’ ou ‘Jigga that nigga’ pouvaient être interprétés par un orchestre réunissant choristes, flûte traversière, orgue et violons. Mais à l’écoute du concert, cette association qui semblaient au départ incongrue s’impose petit à petit comme une évidence. Et une réussite totale.

Le show a été conçu d’une façon extrêmement rigoureuse et professionnelle. Les titres sont enchaînés avec une fluidité bluffante :  sans temps mort, le MC et les musiciens passent de ‘Can I get a…’ à ‘Hard Knock Life’, avant de terminer sur ‘Ain’t no nigga’. Impressionnant. D’autant plus que la version instrumentalisée de ces clubs-bangers est parfois plus réussie que les originaux. Des beats de Timbaland, The Neptunes et Trackmasters sont rejoués avec précision et justesse, leur donnant un souffle et une énergie communicative, notamment pour l’excellente reprise de ‘I just wanna love U’, avec la présence sur scène de la moitié des Neptunes, Pharrell Williams.

L’alchimie est parfaite, et la rencontre The Roots / Sean Carter regorge de trouvailles multiples et jubilatoires : la beat box qui introduit ‘Girls, girls, girls’, l’instru de ‘I need love’ (LL Cool J) à la fin de ‘Song Cry’ ou l’intro lancinante à ‘Izzo (H.O.V.A)’ sont les preuves éclatantes des échanges créatifs qui ont dû avoir lieu entre le leader de Roc-A-Fella et les représentants de la Ville de l’Amour Fraternel, Philadelphie. Symbole de cette réussite : on reste époustouflé en entendant l’orchestre jouer les instrus de ‘Shook Ones’, ‘Oochie Wally’ et ‘New York State of mind’ pendant que Jay-Z pose ses couplets assassins à l’encontre de Mobb Deep et Nas dans ‘Takeover’, précisant bien qu’il s’agit là de « the truest essence of hip hop : the battle« .

Jigga Man démontre une fois de plus ses talents de MC en prenant le risque de rapper seul, sans backs, et relève le défi avec brio, même si sa voix aurait peut-être dû recevoir plus de soutien sur certains refrains, notamment ceux de ‘Takeover’ et ‘Girls, girls, girls’. Jouant le jeu du concert intimiste, il est plus charismatique que jamais, à l’image de sa complicité avec un public -largement féminin- conquis d’avance. Amusé par ce mélange des genres détonnant, il accueille la foule avec humour en lançant « Welcome to Jay-Z’s poetry read« .

On a beau chercher la faille, le travail fourni par les artistes est proche de la perfection. Et c’est principalement la réinterprétation des six titres tirés de The Blueprint qui suscite l’enthousiasme. Mieux :  l’extase. Les version studio donnaient déjà la chair de poule, mais c’est littéralement cloué au mur que l’on redécouvre ‘Heart of the city’ ou ‘Song Cry’ : on a beau être en 2002, mais on se croirait revenu à l’âge d’or de la Soul en entendant l’interprétation survoltée de Jaguar Wright et les « samples » empreints d’émotion, rejoués avec une intensité bouleversante. Autre temps fort, ‘Can’t knock the hustle’, premier titre de Reasonable Doubt, porté par une Mary J. Blige souveraine. Le morceau est là encore exceptionnel, conclut en apothéose avec une version acoustique de ‘Family Affair’ beaucoup plus torturée que la production originelle de Dre.

Bref, les superlatifs se bousculent pour qualifier la teneur de ce concert. Un seul regret : il est trop court !  Face à cette réussite insolente, on se dit que S. Carter aurait pu également interprété tous les autres titres de son dernier album : ‘Never Change’, ‘Blueprint’, ou encore ‘Renegade’, avec pourquoi pas la participation d’Eminem… On se prend à rêver : un triple album, avec l’ensemble de Reasonable Doubt, et une special guest de Nas pour le refrain de ‘Dead Presidents’ ! Mais ne boudons pas notre plaisir, ce « MTV unplugged » est un chef d’œuvre. Rares sont les MC qui peuvent ajouter un album live de qualité à leur discographie. Jay-Z l’a fait, avec le support magistral de The Roots. Le pari était risqué, mais on constate une fois encore l’aisance et la versatilité de Jigga, ainsi que ses qualités de performer : il était jusqu’alors question de talent à l’évocation de Sean Carter, il faudra dorénavant parler de génie. En bonus track, il offre un teaser de son prochain album, l’excellent ‘People are talkin », conclut par cette phrase : « The Blueprint 2 baby, see y’all in November !« . Vivement l’automne.

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