Chronique

Beanie Sigel
The B.coming

Damon Dash Music Group - 2005

Que restera-t-il de l’empire Roc-A-Fella ? Une certitude : la discographie complète de Jay-Z. Et après ? Cam’ron et Kanye West ont tous deux livré des albums de très bonne facture – les seuls succès publics du label en dehors de You Know Who – mais chez les jeunes pousses du ROC : rien, ou si peu. Memphis Bleek restera éternellement le voisin du dessous le plus chanceux de l’histoire du rap, on regardera le clip de ‘Do it again’ en se demandant qui pouvait bien être cette rappeuse aux sourcils envahissants, puis on se dira que, quand même, les Young Gunz ont été produits comme des rois le temps d’un album. Mais, en dix ans, aucun artiste n’aura véritablement su s’imposer comme le Scottie Pippen de Shawn Carter dans le label au diamant.

Enter Beanie Sigel. Fidèle homme de main de Roc-A-Fella depuis 1998, Beans n’a pas encore livré un album à l’image de sa robustesse, malgré quelques coups d’éclat sur ses deux premiers longs formats (‘The truth’ dans l’album du même nom, ‘What your life like part 2’ dans « The reason », sorti en 2001). Et si son troisième opus, The B.coming, peut déjà être considéré comme un album-clé dans l’histoire du label – il marque chronologiquement le divorce entre Jay-Z et ses associés Dame Dash et Kareem Burke – chaque fan du ROC, désormais scindé entre le Damon Dash Music Group et la « Carter Administration » espère secrètement que B. Mack livrera avec ce projet son Blueprint : un album irrésistible, personnel et racé.

Il le réussit – ou presque. Condamné à un an de prison suite à une fusillade devant un bar de Philadelphie, en juillet 2003, Beans signe avec The B.coming un album-rédemption aux titres évocateurs : ‘I can’t go on this way’, ‘Change’, ‘Lord have mercy’. Dans le surprenant premier single, le nuageux ‘Feel it in the air’, Sigel évoque ces petits moments de calme avant la tempête : une ouverture magistrale de la part de celui qui a multiplié les sessions studios et les tournages de clip avant son emprisonnement. Toujours sur le fil entre rap et conversation, le « Broad Street Bully » instaure dès lors une proximité avec l’auditeur tout à fait appropriée au regard de l’ambiance de l’album, marquée par la frustration, le stress et les regrets.

Là où The reason souffrait d’un fossé important entre des titres monumentaux et des productions plus anecdotiques, The B.coming ne s’autorise aucune fioriture. Hormis le fade ‘Don’t stop’, commandé à des Neptunes tristounets, c’est bien le sample qui forme le cœur de l’album. Un sampling plus soul que jamais et un casting quatre étoiles, une fois de plus. Avec leurs influences mutuelles, les producteurs se tiennent la dragée haute, malgré les différences de génération (Aqua et Boola d’un côté, Buckwild et Heavy D de l’autre) et les jolies leçons assénées par Just Blaze (‘Bread & Butter’, malin) et le trop sous-estimé Bink!, tout en justesse dans le remuant ‘One shot deal’. Si la présence de Redman sur ce dernier titre est une heureuse surprise, on regrettera l’omniprésence d’une foule d’invités très hétéroclites : Grand Puba et Snoop, Bun B et Twista, plus la famille State Property au grand complet, dont un Peedi Peedi (hum) en pleine promo pré-album et l’impayable Freeway, dont le timbre de voix ravageur en fait à coup sûr le digne héritier de Ghostface dans le superbe ‘I can’t go on this way’.

Libéré de prison le 9 août dernier, Beanie Sigel a repris en grande pompe la promotion de ce B.Coming homogène, sans faille mais peut-être un peu trop sage pour porter le sceau des grands albums. Son troisième solo n’en est pas moins impressionnant du début jusqu’aux bonus tracks : ‘It’s on’, rescapé de la compilation State Property 2, et l’excellent ‘Wanted’, avec un Cam’ron rock n’roll (like Bon Jovi). Mais en ne s’octroyant que deux plages en solitaire, Beanie Sigel estompe la dimension introspective d’un disque qui marque pourtant un tournant dans sa vie personnelle. Reste un excellent album – assurément le meilleur de son auteur – qui vient se frotter à la discographie de Jay-Z dans le hall of fame d’une dynastie à reconstruire.

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