Chronique

Reef the Lost Cauze
Feast or Famine

Eastern Conference Records/Good Hands - 2005

Membre de l’Army of the Pharaohs, de la Juju Mob, vainqueur de la Riddle Records Mic Check Battle, du Challenge End Of the Weak organisé à l’occasion du 27ème anniversaire du Rocksteady Crew, vainqueur du grand tournoi EOW en 2005. Le palmarès de Reef the Lost Cauze, 23 ans, suscite l’admiration autant que l’interrogation : un jeune MC, rompu de façon si assidue aux battles, peut-il, une fois passé des planches au studio, proposer autre chose que le « Fuck You I rhyme better » auxquels tant de ses confrères sont abonnés ?

Il ne sera même pas utile d’achever la première écoute de Feast Or Famine pour se rendre compte que la réponse est positive. Paradoxalement, la polyvalence serait plus proche de porter préjudice à Reef que de lui faire défaut. En effet, le MC de Philadelphie abuserait presque de cette trop rare aptitude à pouvoir s’illustrer à travers divers thèmes et sur tout type de beat. On passe, entre autres, de l’egotrip dévastateur (‘Commander In Chief’) au story-telling plein d’autodérision (‘How You Loose Your Mind’), de la parodie (‘I’m Rich’) à l’hymne street (‘Two Guns Up’) : le flow s’adapte parfaitement, mais on peine à dégager une réelle ligne directrice.

Cependant, ne boudons pas notre plaisir : Feast Or Famine regorge de perles de genres très variés, et aura au moins le mérite d’enchaîner les morceaux sans se perdre dans d’interminables intros et interludes. ‘Humble Beginnings’ ouvre ainsi l’album sur une note très grave, violons torturés et pianos lourds à la clé. Reef y remercie sa famille et son crew, proposant une interprétation poignante, transpirant la sincérité : « Mom you’re my hero, when I think of all you’ve done for me I swear I get tearful« . Suit le moins tendre ‘Sound of Philadelphia’, sorte d’echo brutal au Streets of Philadelphia de Bruce Springsteen, décliné sur une lourde ligne de basse et des riffs de guitare empruntés au blues. L’écriture très imagée de Reef fait indéniablement mouche (« You can go from bein’ a star to a scumbag overnight« ) et honore parfaitement un instru d’excellente facture. Dans un registre foncièrement différent, ‘How You loose your Mind ‘ est un bijou d’autodérision : le MC y raconte comment, après avoir quitté le domicile maternel, il fut amené à retourner à celui-ci, la vie d’adulte émancipé étant bien trop contraignante : « I live in my little sister’s old bedroom, bang my head on the ceiling every time my head move, what’s the best move? No girl’s gonna respect you, when you rest in the nest, dude, I suggest move, but I’m not stable enough, I’m not able, and there’s food on the table and free cable and stuff« . La production, signé par l’efficace Eyego Direct, est très originale et rappelle un peu ‘Oxygène’ de notre Jean-Michel Jarre national.

L’album s’achève par un réel joyau, ‘Live As It Gets’. Un break de batterie, une bonne ligne de basse soutenue discrètement par quelques notes de flûte, un refrain scratché : on avait fini par l’oublier, mais la musique Hip-Hop n’est jamais aussi bonne que lorsqu’elle est simple et directe. D’autant que Reef se met au diapason du beat, pliant l’affaire avec l’aisance et la sérénité d’un vieux briscard. Nul besoin d’élever la voix ou de se montrer menaçant sur une prod aussi lumineuse, les mots coulent d’eux-mêmes. Un grand moment de rap, qui réconcilieraient même les plus désabusés avec le genre, et a contribué à éclairer un peu une année 2005 bien terne. Citons également parmi les réussites de l’album ‘Coltrane’, ou Reef rend hommage aux musiciens qui l’ont influencé, ‘Crumbs’ avec le très bon King Magnetic et le galvanisant ‘Commander in Chief’, avalanche de punchlines où Lost Cauze se fait visiblement plaisir (« I belong in a rap zoo, with a sign that reads : Please don’t feed the angry black dude!« ). Le bât blesse en revanche de manière assez gênante sur les trop quelconques ‘Already Dead’ et ‘Look a the Sun’, où l’on sent Reef moins concerné, et le larmoyant ‘Eyes of my Father’.

Reef nous gratifie donc ici d’un très bon album, qui, amputé de quelques titres superflus et par conséquent d’un côté trop « patchwork« , aurait pu même être excellent. Sa capacité à choisir ses beats de manière efficace et à pouvoir y briller malgré leur diversité en fait un candidat à la cour des grands, voire des très grands. Rendez-vous est pris avec lui pour la sortie de Torture Papers de l’Army of the Pharaohs (où il côtoie notamment Vinnie Paz, Apathy et Celph Titled), qui sortira en mars, et ses très nombreux projets à venir.

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