À la recherche de la boucle parfaite, Knxwledge
Interview

À la recherche de la boucle parfaite, Knxwledge

Deuxième album dans la maison Stones Throw pour Knxwledge, 1988 est la confirmation de son statut à part dans la production musicale outre-Atlantique.

Photographie : Jack McKain

Avant de joindre par téléphone le producteur Knxwledge de l’autre côté du globe, nous sommes prévenus : “il n’est pas grand orateur.” De son vrai nom Glen Earl Boothe, le compositeur semble faire partie de ces producteurs surnommés “rats de studio.” Discrets, passionnés, acharnés, pour eux, rien n’est plus précieux que de créer. Véritables artisans, composer est un espace de sérénité, un instant ou la réalisation de soi se touche du bout des doigts. Depuis une dizaine d’années, Knxwledge alimente sa page Bandcamp de façon frénétique. Chaque mois, plusieurs projets s’ajoutent, les uns après les autres. Selon ses humeurs, les voix sont pitchées, étirées, déformées. Les textures sont revisitées à ses goûts. Amy Winehouse peut se retrouver avec une voix quasi masculine, suspendue entre une gratte de guitare et une boîte à rythme aux allures battements de cœur. Meek Mill, lui, se voit rapper sur des échantillons de soul poussiéreuses. Rencontre avec Knx. à l’autre bout du fil pour la sortie de son nouvel album 1988.

ILLADELPH HALFLIFE

Je suis arrivé là sans réellement le chercher, à l’université de Philadelphie après avoir passé mon bac. Loin de vouloir généraliser, je ne vais pas te dire que tout le monde rappe à Philly, en revanche, la ville est particulièrement axée sur l’art, c’est un endroit à la fois très spirituel où la majorité des habitants pratique de la musique. Je ne sais pas pour quelle raison, j’ai toujours puisé mon inspiration dans cette scène et pas seulement à travers les visages les plus connus, au contraire, mon rappeur préféré de la région est un peu plus âgé que Meek Mill et s’appelle Vodka. Tous ces types sont uniques, ils délivrent directement toutes leurs douleurs sous format audio… Ce n’est pas intelligible pour tous, moi-même, je ne pense pas saisir toutes les nuances, ces peines, ces phrases, ces mots te touchent à l’intérieur. Philly est un coin incomparable, sacré et mystique. Quatre vingt pour cent des gens que je connais sont de confession musulmane. Le sens de la foi prédomine et traverse chaque individu. Ces personnes sont fortes, endurcies, résilientes, et si tu regardes avec attention, Philadelphie est une des villes les plus anciennes des États-Unis. Du coup, ces gamins sont originaires d’une des métropoles les plus vieilles du pays mais aussi les plus dures… Et malgré les aléas, ils s’évertuent encore à rapper à quel point cette vie est parfois misérable. Sincèrement, je ne sais pas mais pour moi, il y a quelque chose de très spirituel dans cet effort. Ce sont ces titres qui m’émeuvent le plus, ils sont dans mes playlists et je les écoute religieusement. J’essayais depuis des années d’en faire des remixes et récemment, j’ai réussi à mettre la main sur quelques vocaux pour en faire qui soient appréciables. À tous ceux qui les écoutent, j’espère qu’ils comprendront et ressentiront ce à quoi je fais allusion.

Hotel California

Los Angeles est un monde à part, c’est une ville qui m’a fait bosser deux fois plus. Plusieurs millions de personnes y vivent… Dans la majorité des cas, la moitié tout comme moi fait de la musique et naturellement, les trois quarts sont extrêmement doués. Même si mes parents m’avaient déjà enseigné cette valeur du travail, une chose s’est affirmée un peu plus ici : il faut juste “travailler, travailler, travailler.” L’inspiration est folle ici, je suis originaire de Philadelphie mais j’ai comme la sensation que tous mes pairs sont de Los Angeles. Flying Lotus, Samiyam ou encore Mndsgn, tous, je les ai rencontrés grâce au seul outil social de l’époque : MySpace. D’ailleurs, il m’arrive encore de revenir sur les morceaux de cette période quand j’ai besoin d’inspiration.

« Los Angeles est une ville qui m’a fait bosser deux fois plus. »

J’ai commencé à faire des prods, je t’avoue, je n’étais pas très bon DJ et je ne le suis toujours pas, mais cette étape était un palier important à passer. Il y a une notion de performance à ne pas négliger dans cette discipline. Tu dois être meilleur musicien et te faire un nom sur scène. Tu dois passer par ce stade qui te permet de progresser, saisir le public et surtout entendre tes morceaux en live. J’ai passé une partie de ma jeunesse entre le New Jersey et la Philadelphie. J’ai cherché à faire des soirées où tu passes uniquement des instrumentaux, pas de rap, je voulais tenter d’ouvrir les esprits mais ça n’a jamais vraiment décollé. Un jour, par pur hasard, un étudiant de l’université de San Diego nous a bookés pour une date, Samiyam, Danny Brown, House Shoes, The Gaslamp Killer et moi-même. C’était mon premier vrai show sur la Côte Ouest et sans hésiter, ça m’a suffi. Je ne savais pas si je devais déménager en Californie mais ce show a été un élément déclencheur. Je ne savais pas non plus si j’allais être capable de vivre grâce à ma musique, être insouciant, faire ce qui me plaît mais je désirais tenter ma chance, avoir la possibilité de faire des beats, construire ton propre catalogue et le mettre en valeur. Juste avant de déménager, j’avais réussi à sortir un projet [NDLR, Klouds] avec un label de Dublin, All City mais une fois arrivé à Los Angeles, j’étais stupéfiait… Je sortais de l’école, j’étais jeune, j’achetais des vinyles et remplissais tout mon appartement avec. Une des personnes déterminantes pour moi dans cette ville a été Matthewdavid, le co-fondateur de Leaving Records avant que je rejoigne Stones Throw. Je n’ai aucune idée de comment il m’a trouvé, peut-être à l’aide Myspace ou alors via la radio dublab, mais à L.A., il a toujours eu un temps d’avance sur tout le monde et s’obstine constamment à trouver de nouvelles sonorités. Dans un premier temps, il m’a aidé à sortir Buttrskotch​-​LR023 et The Anthology. The Anthology était une collection de mes cinq voire six années de musiques produites sur mon Bandcamp. On a sorti une double cassette. Pour information, j’adore ce format et ai commencé à sampler à partir de celui-ci avant de passer sur vinyle. J’en garde un bon souvenir, séquencer le projet a été cool, le principe était de faire comme si je réalisais un mix, une approche dans laquelle je me plais beaucoup au moment de réaliser le tracklisting. [NDLR, actuellement, le Bandcamp de Knxwledge compte cent treize projets]

À LA RECHERCHE DE LA BOUCLE PARFAITE

À quoi ressemble un jour dans la peau de Knxwledge ? Je me lève, produis, fais ma pause pour manger et me remets derrière les machines. C’est littéralement de cette manière que je rythme mes journées. On a tous des choses dans notre quotidien. Certains ont un boulot, moi j’ai ma routine. Une fois debout, je compose, c’est mon processus de création et j’essaie de ne pas le traiter comme un job. J’en ai jamais marre de faire des morceaux, après bien sûr, il y a des jours où je fais autre chose, il peut m’arriver d’aller à salle ou de faire la cuisine tout de même. [Il se met à rire] Mais j’ai besoin de ressentir cette sensation chaque jour, le fait de créer. Si je n’ai rien produit dans la journée… Au bout d’une heure je commence à avoir des démangeaisons. Avec du recul, on pourrait croire à une mauvaise habitude mais au contraire, c’est une bonne habitude pour moi, une routine complètement saine qui m’est personnelle. “itkanbe[sonice]” est probablement le style de morceau que je préfère produire. Je pourrais écouter ces styles de morceau pendant des heures. [NDLR, le titre est sur son nouvel album 1988 avec en invité Anderson .Paak] Pour l’histoire, la chanson a été réalisée il y a longtemps, elle s’est même faite assez vite, peu après l’album de NxWorries. Anderson et moi-même aimons travailler de cette manière. On ne panique pas, on compose et on se fiche d’être dans l’obligation de sortir des trucs. On bosse de la même manière. Il écrit vite. Je produis vite et “itkanbe[sonice]” est une de ces boucles… [Il prend le temps se remémorer le morceau] J’aimerais faire un album exclusivement construit sur des loops comme celle-ci. Je ne sais pas si les gens aimeraient, un album doit être structuré de dynamiques différentes mais j’adore ces boucles. Et .Paak a plié le morceau, tu l’écoutes, tu te dis que le titre a été enregistré à une autre notre époque.

« Entendre du gospel et surtout essayer de l’apprendre a forcément façonné mon oreille.  »

J’ai grandi à l’église. J’avais beaucoup de famille, des oncles et des tantes qui jouaient des instruments. Avec mes deux petits frères, nous jouions tous des instruments. Mon père est de Jamaïque, ma mère était chanteuse et je pense que ces deux critères aident aussi. De mon côté, j’étais dans une église pentecôtiste. Sans connaître en profondeur les églises catholiques ou baptistes, la musique était constante dans la mienne. Les offices religieux étaient très longues et les moments sans musique quasi inexistants. Chaque instant, les chorales défilaient, les instruments résonnaient, tu avais aussi des groupes, moi, je jouais de la basse puis j’ai fait partie de la chorale des enfants. Je ne peux pas l’expliquer de manière rationnelle mais ce passage a forcément façonné mon oreille. Entendre du gospel et surtout essayer de l’apprendre. Il m’arrive de ressortir mes instruments dans mes compositions, essentiellement le piano ou la guitare, pour la batterie, je n’ai pas encore une pièce assez grande pour en installer une à la maison. Je tâtais quelques instruments sans jamais m’y mettre à fond. J’étais toujours dans le sport, à l’école ou dans les déménagements et ai fini par m’acheter une beat machine. Mes parents devaient nettoyer l’église chaque semaine. Du coup, on se pointait là-bas avec eux et quand il manquait une corde de guitare ou qu’une touche de piano était cassée, j’en profitais pour les ramener chez moi. De fil en aiguille, j’ai construit mon bagage avec toutes ces pièces ramassées à droite à gauche. Parmi tout ça, je ne sais pas à quel instant je me suis plongé dans catalogue de Stones Throw… Peut-être avant d’arriver à Los Angeles, de me focaliser autant sur l’écoute des beats, ou alors est-ce le fait d’avoir grandi dans une église avec un rêve, celui d’être musicien ? Je ne me souviens pas non plus de l’instant où j’ai entendu J Dilla pour la première mais je sais juste qu’il était là. Dilla… [Il réfléchit longuement] Je ne sais pas. Si tu es un gamin de l’église, tu le ressens, c’est comme ça. La manière dont il structurait ses prods, les notes, les patterns de samples, les progressions sur chaque note de piano et sa manière de les découper dans un sample… Tu pouvais le ressentir, il était spécial, différent, complètement orienté sur la mélodie.

Dans la plupart de mes tapes les extraits sont courts, j’aime bien quand mes loops durent éternellement. Une fois que tous les morceaux ont été choisis, je fais quelques écoutes. Le plus souvent, je les réduis encore après, j’ai une capacité d’attention limitée comme les auditeurs peut-être. Aujourd’hui, tout bouge si vite… Je n’y prête plus vraiment attention. S’ils aiment, ils appuieront sur le bouton replay. S’ils détestent… Je n’en sais rien, essaie de rejouer mon morceau. [Il se met à rire] Certains ne durent que cinquante secondes et ce sont mes préférés. Si je devais jouer ses cinquante secondes tout le reste de ma vie, je le ferais sans hésitation.

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