Chronique

Juicy J
Stay Trippy

Talyor Gang - 2013

En 2007, quand Pimp C était encore de ce monde, le clip de « International Players Anthem » conviait toute la crème du rap du Sud pour mettre en scène le mariage d’Andre 3000. En guise d’intro, tous les players se réunissaient avant la cérémonie pour tenter une dernière fois de dissuader leur pote de se fourrer dans cette galère. Andre leur répondait par un gentil avertissement : la vie de pimp, de pilier de bar du strip-club, de fêtard invétéré, n’a qu’un temps. « Un jour, vous serez les seuls vieux dans le club ». Juicy J n’a pas retenu la leçon. À bientôt quarante berges, il ne s’est pas assagi pour un sou. Comme il le clame lui-même en ouverture de l’album : « I party like I’m eighteen, but I been rich since the late eighties ».

Depuis sa signature sur le Taylor Gang, Juicy J connaît une seconde vie. Même s’il n’avait jamais disparu des radars, son exposition et sa côte de popularité auprès des plus jeunes auditeurs ont explosé. Aujourd’hui, son statut est à la fois celui d’un vétéran respecté, avec un paquet de classiques au compteur, et celui d’un rookie qui viendrait de débarquer sur le devant de la scène. Et par certains aspects, Stay Trippy a effectivement des airs de premier album. On y sent la volonté de présenter une carte de visite et d’en mettre plein la vue, notamment avec des featurings tous plus prestigieux et / ou vendeurs les uns que les autres. C’est que Juicy J a eu du flair avec la nouvelle génération, il a su à chaque fois se mettre bien avec les jeunes qui montent avant que l’engouement pour eux n’atteigne son apogée : Wiz Khalifa, Lex Luger, The Weeknd… Entre ses nouvelles amitiés, sa forme olympique et l’aura sacrée de Three 6 Mafia, tous les ingrédients étaient là pour susciter une énorme attente. Et puis il y a eu l’étincelle « Bandz a Make Her Dance », le hit sorti de nulle part. Bien sûr, 2Chainz et Lil Wayne sont là, mais leur contribution est anecdotique. Tout tient à ce mantra répété jusqu’à plus soif et qui résume à lui seul la nouvelle direction du rappeur : il sera le porte-drapeau de ce rap festif, crade, et qui ne fait pas claquer que des mains.

Restait à savoir comment le « most known unknown » allait gérer artistiquement son passage à la célébrité grand public. Car il est désormais une tête d’affiche, l’un de ceux que l’on invite sur tous les remixes qui comptent. Stay Trippy se veut une vitrine clinquante de son univers, fidèle à sa personnalité déjantée, mais éclairée par une lumière plus flashy. On a perdu en crapulerie ultra-violente ce qu’on a gagné en extravagance tapageuse et en singles dévastateurs. Seuls « Gun Plus a Mask » et « No Heart, No Love » rappellent les atmosphères plus sombres que le rappeur de Memphis maîtrise à merveille. Peut-on dire pour autant que Juicy J a mis de l’eau dans son sizzurp ? Pas vraiment. Les intrus martèlent toujours aussi sec, tout comme les refrains, addictifs. Le rap de Juicy J n’a pas bougé non plus. Il n’est ni fin ni technique. Ce serait plutôt un rouleau compresseur : lourd, mécanique, mais aussi redoutablement efficace. Pour évoquer les liasses à balancer sur des culs qui tourneboulent comme des planètes, quoi de plus adapté ?

Même si, dans l’ensemble, le mariage est plutôt heureux entre le côté sale de Three 6 Mafia et la production très léchée d’un projet mainstream, Stay Trippy offre son lot d’égarements et d’enchaînements surréalistes. Le morceau avec Chris Brown est plus que douteux et celui avec Justin Timberlake et Timbo s’insère assez mal avec le reste. Mais il faut croire qu’on ne refuse pas ce genre d’opportunités. De toute façon, on le sait depuis un moment : Juicy J ne sait pas dire non. Les invités sont trop nombreux et leur choix n’est pas toujours judicieux (salut Big Sean). Sur « Smokin’ Rollin’ », l’idée de convoquer à la fois le fantôme de Pimp C et l’ombre de The Weeknd était osée, mais ne convainc pas complètement. On sent sur ce titre une volonté de trop bien faire qui plane un peu sur tout le projet. Le sample cramé de « Wax » n’était pas forcément indispensable non plus, mais venant de l’homme qui a pioché un milliard de fois dans la discographie de Willie Hutch, ce n’est guère surprenant. Ces quelques défauts et l’essoufflement de la fin affaiblissent l’album mais ne l’empêchent pas d’être une franche réussite, avec une vraie ambiance, des morceaux bien produits, bien rappés et très accrocheurs. Et s’il y a bien un écueil que Juicy J a évité, c’est le pathétique du vieux qui veut jouer au jeune. Il faudra pourtant bien qu’il se calme, un jour. Mais pas maintenant. Désolé Andre.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*