Chronique

OutKast
Stankonia

Arista - 2000

Si le rap avait une règle, OutKast en serait l’exception. Insaisissable, le duo Big Boi / Andre 3000 a livré depuis 1994 trois albums réussissant à allier efficacité, innovation et succès commercial. Encore adolescents à l’époque du rafraîchissant et spontané Southernplayalisticadillacmusik, sorte de The chronic à la sauce sudiste (« Ain’t no thang like a chicken wang« ), les deux MC’s avaient deux ans plus tard mis la barre très haut avec ATLiens, merveille douce et hypnotique. En 1998, ils assènaient le coup de grâce avec le chef d’œuvre Aquemini, symbole de leur remise en question artistique permanente. Regorgeant d’influences diverses et de coups de génie, le groupe d’Atlanta s’est donc imposé comme l’une des meilleures formations au monde. En 2000, la sortie de Stankonia suscite à la fois l’excitation et l’interrogation. Après trois albums haut de gamme, OutKast peut-il faire mieux ? Le groupe est-il capable de pousser encore plus loin sa créativité ?

La réponse est sans appel : OUI. Dès le premier morceau, on comprend que les ambiances reposantes d’ATLiens et le patchwork musical d’Aquemini sont déjà loin derrière nous. Les guitares saturées et la voix désespérées de Dre dans ‘Gasoline Dreams’ sont à l’image du reste de l’album : une énergie électrique, un coup de pied au cul de la facilité, une efficacité novatrice, et une brutalité jouissive organisée de main de maître par leurs producteurs attitrés, Earthtone III et Organized Noize Productions.

En mettant de côté l’utilisation des samples et en privilégiant l’emploi du synthétiseur, les concepteurs de Stankonia réussissent à créer une ambiance futuriste, mais toujours ancrée dans de multiples influences funk, soul, rock, jungle… Stankonia est un album déroutant sans être obscur, énergique sans être fatiguant. Avec leurs refrains imparables, ‘We luv deez Hoez’, le remarquable ‘So Fresh, so clean’ et évidemment ‘Ms. Jackson’ sont dans cette veine.

Toujours accompagnés de la Dungeon Family (Goodie Mob, Slimm Calhoun, Killer Mike…), les deux fondateurs d’Aquemini Records auraient pu facilement livrer 15 hits sans se compromettre, mais ils semblent prendre un malin plaisir à surprendre l’auditeur : changement de rythme dans ‘Humble Mumble’ (avec Eykah Badu, ex-compagne de Andre 3000), accélérations / ralentissements dans ‘Red Velvet’ (l’un des meilleurs titres de l’album), beat indescriptible de ‘?’, qui porte si bien son nom… Mais c’est évidemment le terrible ‘B.O.B.’ qui fait le plus de dégâts, avec ses scratchs extraterrestres, ses guitares foudroyantes, sans oublier la prestation époustouflante des deux MC’s, qui gagnent haut la main leur combat avec un beat ultra-rapide. Le track (plutôt difficile à digérer, il faut le reconnaître) fait presque oublier l’atmosphère sombre et intriguante du morceau suivant, ‘Xplosion’, avec B-Real en featuring.

Comme dans leurs précédents travaux, on atteint parfois la grâce, comme dans le déchirant ‘Toilet Tisha’, où la complainte de Dre se mêle au couplet parlé de Big Boi, qui évoque le suicide d’une jeune fille enceinte à 14 ans… Dernier temps fort, ‘Stankonia (Stanklove)’ est une étouffante orgie musicale : le tempo est extrêmement lent, les chœurs paraissent issus d’un croisement entre Barry White et un alien, quant aux paroles, elles transpirent la sensualité : « No longer a couple like two in one skin / Where do you end and where do I begin / Both brains becoming one mind sensually / Every nerve becoming it’s own entity« …

Malgré l’évidente réussite de Stankonia, on peut regretter que le duo ne réussisse pas à maintenir son (haut) niveau sur toute la (longue) durée de l’album. On écoutait ATLiens et Aquemini en augmentant le volume au début de chaque titre, mais pendant ce quatrième opus, on ressent des relatives baisses d’intensité sur des titres comme ‘I’ll call before I come’, ‘Slum Beautiful’ ou ‘Snappin’ & Trappin’’, un peu irritant avec ses caisses claires épileptiques. D’autre part, la présence de huit interludes plutôt légers (sur 24 pistes) était dispensable, même s’ils restent très succincts.

En dépit de ces petites faiblesses, Stankonia est, si besoin, la confirmation du génie d’OutKast, et s’ajoute à la brillante discographie du duo comme le symbole d’une remise en question permanente et d’une créativité sans limite. Inclassables dans le rap mondial, Andre 3000 et Big Boi sont la preuve vivante qu’il est possible de faire avancer le hip hop même lorsque l’on est signé en major et multiplatine. Revenu de la planète Stankonia, voyage intersidérant qui, deux ans après, recèle encore de surprises et de découvertes, on peut légitimement se poser la question : OutKast est-il le meilleur groupe de tous les temps ?

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