Chronique

OutKast
ATLiens

La FaceRecords - 1996

Retour dans le temps. Arrêtons notre bolide spacio-temporel en l’année 1996 qui a vu naître « ATLiens » le second album du duo OutKast dont les tenues vestimentaires sont à l’image de leur musique : terriblement excentriques ! Si le jeu de mot du titre de l’album identifie clairement la provenance de l’objet (« ATL » communément employé pour parler de la ville d’Atlanta) le contenu, lui, reste difficilement identifiable avant écoute du fait de la forte propension du groupe à surprendre son auditoire à chaque nouvelle sortie dans la galaxie des bacs. Et en trichant quelque peu, en se référant aux albums du groupe postérieurs à 1996, force est de constater que cet album revêt un caractère unique dans leur discographie. En effet jamais Big Boi et Dre, épaulés par leur équipe de production, n’ont réalisés album plus smooth que celui-ci (si l’on excepte « The Love Below » qu’on peut considérer comme un opus solo de Dre). Une pièce d’autant plus rare que replacée dans la nébuleuse sans fin du rap américain elle possède bien peu de voisines pouvant prétendre être associées aussi pleinement à cet adjectif.

Tout dans « ATLiens » participe à l’envoûtement de l’auditeur, tout concourt à son basculement dans un « état second » et en définitive tout fonctionne parfaitement et même plus. L’énergie positive dont font preuves les deux rappeurs (de même que leurs invités) au microphone est palpable. Il se dégage une force énorme de chacune de leurs prestations et pourtant pas de coup de gueule, aucun énervement, seulement des flows glissant sur les mélodies tel, dans la jungle, le boa sur la branche d’un arbre prêt à enserrer une proie et pourtant si serein. Le piège est inévitable, chaque voix ensorcelle, celles des rappeurs comme celles des femmes très présentes aux backgrounds et refrains – c’est d’ailleurs la voix de l’une d’entre elle qui ouvre l’album. En véritables sirènes, elles nous émerveillent les tympans de leurs chants suaves et oh combien enivrants en parfaite adéquation avec les pointes de voix anesthésiantes des deux larrons Boi et Dre.

Les femmes sont vouées à émousser d’autres sens que l’ouïe chez l’auditeur s’il on en juge par le magnifique design du CD. On y voit dessinée une Naïade dans le plus simple appareil se rafraîchissant sous les flots d’une cascade à l’eau verte luisante, OutKast s’étant par la suite spécialisé dans le CD aux décorations érotiques. Pendant que nous analysons la partie artistique extra-musicale d' »ATLiens », je voudrais ajouter combien importe aussi le génial côté joueur et juvénile des éléments qui entourent l’album presque paradoxal avec la maturité dont semblent être affublés les deux artistes. Tel quelques autres grands albums de rap américain (« Liquid Swords » de GZA/Genius ou « De La Soul Is Dead » de De La Soul), « ATLiens » nous transporte dans un univers qui dépasse son simple périmètre musical. Une petite BD montrant nos deux héros de rappeurs en action dans des aventures intersidérales illustre la jaquette du disque et puis impossible d’oublier ces clips en rotations continues semaines après semaines à Yo ! MTV Rap et notamment celui du premier single ‘Elevators (Me & You)’ avec une petite tête d’extraterrestre rose qui nous propose de reprendre à la manière d’un karaoké les paroles unificatrices du refrain : « Me and you, your mama and your cousin too, rollin’ down the strip on vogues, comin’ up slammin’ Cadillac doors. » Visuellement très fortes, ces vidéos sont à inclure dans un tout totalement absorbant.

Revenons à la production de l’album. Très fournie en bruitages de tout genres un peu comme celle de l’album d’A Tribe Called Quest « People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm » en son temps, la maîtrise est telle que l’effet procuré est rigoureusement le même : un inévitable accroissement de l’ambiance. Ici (‘Mainstream’) on se jette à l’eau dans un grand plouf (particulièrement approprié !), là (‘E.T.’) on respire au ralenti dans un casque d’astronaute, ailleurs encore (’13th Floor/Growing Old’) c’est le bruit tellement apaisant des bulles s’échappant d’un tuba qui accompagne l’instrumental. Dans ‘Ova Da Wudz’ un moustique revient à intervalles réguliers ambiancer le morceau façon chaleur et humidité du Sud des Etats-Unis.

La quantité de musiciens qui ont participés à l’album est assez incroyable pour être soulignée. Ainsi les sons d’instruments comme la guitare acoustique, le violon ou encore le piano viennent embellir les productions toutefois avec parcimonie. Pas de grandes envolées lyriques (comme ce peut être le cas dans certains morceaux du groupe The Roots) donc mais de petites formes légères et hypnotiques qui se promènent en électrons libres au gré des tracks. Les composantes les plus classiques du rap hantent aussi les musiques. La partie Drum & Keyboard est extrêmement soignée, digne des plus grands (on pense aux dubs enlevés du duo reggae Sly & Robbie), les beats sont souvent très lourds, hyper classiques mais joués avec une lenteur qui fait écho aux voix posées mais non moins impressionnantes des deux rappeurs. Les samples sont nombreux et par ailleurs quelques scratchs (entre autre sur ‘Wheelz Of Steel’ !) apportent des sonorités fantaisies. Quoi de plus normal finalement que de retrouver des scratchs dans cet album à la poétique surnaturelle quand on sait que quelque uns des plus grands turntabilists américains considèrent avec la plus grande sincérité leurs performances comme une forme de communication avec les petits hommes verts.

Le célèbre Alchemist en 2000 réutilise pour le rappeur Prodigy rigoureusement la même boucle que ‘Wailin » et le groupe Wu Syndicate récupère le son de ‘Two Dope Boyz (In A Cadillac)’ pour composer un morceau sur son album. « ATLiens », source d’inspirations, fait non seulement figure de pierre angulaire par son sens de l’innovation, de l’incursion en des contrées encore vierges sur le territoire du rap américain mais son écoute fait aussi et surtout beaucoup de bien.

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