Chronique

Pete Rock
Soul survivor 2

BBE - 2004

Novembre 1998. Mai 2004. Cinq années et quelques mois séparent le premier album solo de Pete Rock, Soul Survivor, de son successeur désigné. Le label anglais BBE (Barely Breaking Even) déjà dépositaire de l’excellent Petestrumentals, long format principalement instrumental en forme de parenthèse transitoire dans la carrière du Soul Brother Number One, succède à Loud et matérialise cette suite souvent annoncée, toujours repoussée. Quelques mois après un concert au Cabaret Sauvage à peine digéré car particulièrement indigne de la réputation du duo New-Yorkais, puis un maxi Warzone mise en bouche auditive au goût plutôt amer, l’attente du public demeure. Mais cette dernière est désormais teintée d’une certaine inquiétude après ces deux évènements malheureux. A dire vrai, il n’en fallait pas beaucoup plus pour que les révisionnistes les plus vigoureux et autres illuminés élevés à la pop s’empressent d’enterrer l’un des plus grands producteurs de l’histoire du rap. Soul Survivor 2 répond aux interrogations des sceptiques. Pete Rock n’est pas mort, loin s’en faut.

Et là où Soul Survivor surprenait par un manque d’harmonie certain, la faute à une liste d’invités aussi surchargée qu’hétéroclite, ce nouvel opus s’avère au contraire particulièrement cohérent.

Cohérent tout d’abord dans son orientation musicale. Justifiant en effet une nouvelle fois son surnom de Soul Brother Number One emprunté au King James Brown, Pete Rock multiplie tout au long de cet album les références à la Soul et au Funk. Il y a tout d’abord la pochette du EP Warzone (et dos du LP), clin d’œil relativement explicite au classique « Maggot Brain » de Funkadelic (source d’inspiration aussi pour le Funk Doctor, Redman, pour son second long format Dare iz a darkside sorti en 1994.) Puis l’introduction vindicative ‘Truth is’ rythmée par le spoken word du natif de Philadelphie Black Ice, rappelant ‘The Revolution will not be televised’ (Gil Scott-Heron) voire ‘When the revolution comes’ (Last Poets). Enfin, et c’est assurément là l’essentiel, cette atmosphère à la fois enivrante, posée et rythmée, transpire la Soul, source intarissable d’inspiration pour Pete Rock et ses productions maintes fois imitées, jamais égalées. On se délecte ainsi de ‘Give it to ya’ reprenant ‘The makings of you’ ; un morceau composé et interprété par Curtis Mayfield et sorti pour la première fois sur la face B de « If there’s a hell below » avant d’être repris par Gladys Knight & The Pips pour figurer sur la bande originale du film de John Berry Claudine (1974). Pete Rock puise aussi dans la discographie de Mavis Staples, échantillonnant ‘What happened to the real me’ pour composer le tranchant ‘Head Rush’ ou encore les Jackson 5 pour ‘Appreciate’, conclusion établie en compagnie de C.L. Smooth, tout un symbole.

Cohérence aussi dans le choix des invités. Au contraire de Soul Survivor premier du nom, Pete Rock se charge ici uniquement des productions et là où le casting de cette première échappée solo avait été avant tout guidé par des facilités contractuelles et le poids de Loud, cette suite répond avant tout à des affinités musicales et humaines. Réunis autour d’un état d’esprit positif devenu denrée rare aujourd’hui, on retrouve ainsi les Little Brother, perpétuant l’esprit de la Native Tongue et auteur d’un premier album, The Listening absolument indispensable, Slum Village, J-Dilla, Dead Prez, s’inscrivant chaque jour d’avantage dans cet edutainment cher à KRS-One, Talib Kweli, Pharoahe Monch et bien entendu The Mecca Don C.L. Smooth. Plus surprenant peut-être la présence du polyvalent MC/Producteur Kardinal Offishall à priori moins en phase avec ces orientations musicales ou encore Postaboy, vainqueur de plusieurs sessions freestyles (les Bet Freestyle Fridays) mais dont la prestation sur ‘It’s the postaboy’ l’apparente avant tout à un grain de sable insidieusement glissé dans une machine bien huilée.

Évidemment, Soul Survivor 2 n’égale aucunement le supra-classique Mecca and the Soul Brother et comme toutes les œuvres imparfaites il comporte quelques motifs de déception. L’étrange production de ‘Warzone’, peu en harmonie avec le reste de l’album, ne convint pas plus que l’intrusion dans les clubs de Dead Prez ou la prestation peu inspirée de Pharoahe Monch. Composé aussi de morceaux plus anecdotiques, Soul Survivor 2 ne constitue aucunement une révolution sonore, et ce même si Pete a troqué à l’occasion son historique SP-1200 pour une MPC-2000XL.
Mais conquis par cet esprit positif d’un autre temps nous retiendrons avant tout les bons moments de cet opus pour minimiser l’impact global de ces quelques ratés. A tout seigneur tout honneur, citons avant tout ‘It’s a love thing’, ‘Appreciate’ (et à un degré moindre ‘Fly till I die’ avec Talib Kweli) où le duo reconstitué Pete Rock-C.L. Smooth enchante nos oreilles nostalgiques du début des années 1990. Les années écoulées, les brouilles répétées et mauvaises surprises de l’industrie musicale n’ont aucunement affecté l’alchimie, toujours intacte, du fameux binôme. Ces deux morceaux constituent les indéniables réussites d’un album de même que l’excellent ‘Give it to ya’ du trio Phonte-Big Pooh-9th Wonder. Les protégés de ?uestlove combinent une nouvelle fois spontanéité, réflexion et positivité dans un morceau de haut vol. Citons aussi ‘One MC One DJ’ démonstration lyrique d’un Skillz en pleine forme « y’all udes not thugs, you 8 deep in a coupe, that ain’t gangsta, that’s a movin’ group hug » et ‘Head Rush’ avec les cousins de Staten Island, RZA et GZA. Deux morceaux efficaces à défaut d’être novateurs. Impossible enfin de passer sous silence la prestation de Leela James, chanteuse enchanteresse sur ‘No tears’.

Ce Soul Survivor deuxième du nom s’inscrit, en dépit de quelques ratés, dignement dans la lignée de la discographie de Pete Rock. Sans être un classique en puissance, ni la sortie tant attendue, il mérite de conquérir l’attention du B-Boy nostalgique de cette époque révolue, où le matérialisme, les égos surdimensionnés et les productions synthétiques n’allaient pas encore de pair avec les succès commerciaux. On souhaite au Chocolate Boy Wonder de récolter enfin la reconnaissance méritée, l’inscrivant définitivement au panthéon des plus grands.

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