Chronique

SCH
Rooftop

Rec. 118 - 2019

« C’est le S ! » L’intro projette d’emblée l’image d’un homme sorti brusquement du sol, cheveux longs plaqués par la tramontane, s’époumonant « je suis en vie ! ». Et en colère. En vie, pas pour longtemps – « une clope et t’as trente ans » – alors autant rapper comme on existe : le plus intensément possible. Rapper au bord du ravin, comme ado prendre la voiture après trois teilles et sans permis, au risque de mourir dans un virage entre Cassis et Carnoux. Cette vitalité contrastée, celle d’un « jeune ancien », donne envie de pleurer un bon coup, se mordre les joues et aller encore plus loin. SCH en a chié, soit, a perdu « pépé papy papa », s’est tapé une pneumonie, plusieurs mois d’une semi-existence entre les mêmes machines d’hôpitaux, celles qui sauvent la vie et celles qui accompagnent la mort. À présent, il faut rattraper le temps volé, cicatriser les peines en faisant partie du présent. Il est, c’est vrai, toujours beaucoup question de temps chez lui. Rooftop particulièrement est le produit d’une démangeaison : « j’crois qu’il y a quelque chose dans mon ventre, un truc qui en veut à la terre entière ». Quelque chose que les contraintes de la vie, l’industrie et les formats avaient peut-être tenu encore enfoui.

En effet, là où JVLIVS disait la vérité en passant par la fiction, Rooftop est un aperçu direct des tripes de Julien Schwarzer. Dix-sept titres de bilan à vif, pas le temps pour l’art, il y avait urgence. Et pourtant, une maîtrise et une maturité encore plus totales se dégagent du résultat. C’est le petit miracle de cet album d’entre-deux : une énergie collée au présent dans l’interprétation et la fulgurance des images, associée à un surplomb d’autobiographe en fin de vie. Vingt-six piges et cause comme s’il en avait quarante. « Le plus jeune des vétérans » depuis Médine a acquis une telle facilité dans le rap qu’il donne l’impression de marcher sur l’eau, même sur les prods US les plus à la mode. Parce que ce curieux interstice bouillonnant entre deux albums-concepts contient une belle panoplie de sous-genres des années 2010. Rooftop – nom d’une boîte symbole de la gentrification de Marseille soit dit en passant – accueille aussi bien une production Koba LaD-compatible (« R.A.C ») que des titres de variété française, imaginés sans peine chantés avec un micro à pied, le flash des téléphones du public éclairant les crevasses d’un visage torturé. Certaines productions sont même un brin génériques pour le caractère de feu de l’artiste, surtout comparées à l’identité musicale marquée du précédent disque. Cette fois, c’est surtout le rappeur qui assure la cohérence, malgré la supervision globale de Guilty. Mais le but, comme le suggèrent le côté farceur du personnage public – fort sympathique mais un peu lourd à force – et le titre anglicisé, est de montrer que malgré leur sérieux, le duo beatmaker/rappeur est libre, joueur, que l’exigence ne les enferme jamais.

« Dix-sept titres de bilan à vif, pas le temps pour l’art, il y avait urgence. »

D’ailleurs, Rooftop réussit peut-être là où Deo Favente avait moins convaincu : dans les tentatives pour coller à la hype états-unienne, en restant unique en son genre. S’il reprend une ébauche de construction efficace – intro surintense et sous-marine, outro céleste et lumineuse, interlude à la hache, il n’a pas la colonne vertébrale bien dessinée de JVLIVS. Le format se rapproche d’A7, la mixtape, et en même temps développe un aspect d’Anarchie, le premier album, laissé en suspens alors qu’il était cher au cœur de son auteur. Ce sont les titres introspectifs sous Auto-Tune suraigu tels que « Essuie tes larmes », « Quand on était mômes » – reboostés ici en déchirure amoureuse dans « Tirer un trait », puis « Petit cœur » au potentiel rockstar. Et bien sûr, le touchant « Ça ira » où SCH donne l’impression de parler à un alter ego du passé, garçon solitaire qui ne sait auprès de qui reposer son jeune front soucieux, et se console avec le Johnny Depp méché de Blow et les couplets de Tous ensemble chacun pour soi. Sa valeur ajoutée ? Toujours cette voix aux variations improbables, comme s’il avait gardé de l’adolescence et les « rêves de gosse » et le souvenir de la mue ; des gimmicks d’outre-tombe et surtout, la profondeur tragique de l’écriture. Mais le jour n’est pas arrivé où il jouera les « poète, pas rappeur » sur France Inter pour s’opposer au reste du rap français. Son talent d’écriture a ça de puissant qu’il n’a pas la pesanteur d’un gars à qui on aurait trop dit qu’il est un « lyriciste » et se forcerait à en avoir l’air à chaque respiration. Rooftop, derrière son côté à l’arrache, en est encore la preuve.

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1 commentaire

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  • Tony,

    Le s le patron du rap français rien d otre à dir.