Chronique

Opus Akoben
Raw life

LabelBleu / Harmonia Mundi - 2002

Cela fait bientôt dix ans qu’Opus Akoben tente de propager au plus
grand nombre sa vision du hip-hop. Dix ans pour seulement deux
enregistrements, bien maigre dirons certains lorsque l’on veut prêcher le
bonne parole. Mais, loin des considérations mercantiles traditionnelles, il
semble que le trio originel du groupe : Carl Walker (Kokayi), Terence
Nicholson (Sub-Z) et Joshua Culbreath (Black Indian), se soit plutôt laissé
guider à l’instinct et aux coups de cœurs artistiques. C’est ainsi que les
trois MCs se sont aguéris sur scène au sein des Metrics du Maître Steve
Coleman dès 1994, au point de participer à plusieurs de ses albums (dont le
EP « A tale of 3 cities » et le fameux « Live au Hot Brass » à Paris). Tous les projets auxquels
Coleman a convié les trois MCs (Kokayi et Sub-Z dans un premier temps) se
veulent avant tout expérimentaux et en dehors de collaborations épisodiques
et ‘tendances’ entre jazz et hip-hop. Ces projets internationaux
permettront dès lors au trio de s’enrichir musicalement en cotoyant les
meilleurs jazzmen, et en étant confronté à toutes sortes de formules
rythmiques.

Cependant, leur volonté de faire avancer positivement le hip-hop ne
se limite pas uniquement à la musique. Ils ont ainsi pris part à plusieurs
ateliers pour endosser le rôle de missionnaires et répandre la sainte parole
du hip-hop à travers les USA, Cuba et l’Europe. Au cours de ces pèlerinages
perpétuels (le hip-hop est là où l’on veut qu’il soit), ils se sont
frottés à diverses formes d’expressions musicales telles que le beat-boxing
(Kokayi) ou encore le freestyle, discipline dans laquelle Black Indian (déjà
auteur d’un superbe album solo « Get’Em Psyched »
en 2000) et Sub-Z surclassent la majorité des New-Yorkais les plus
enragés.

Originaire tous trois de la ville de Washington, Opus Akoben fait
partie d’une organisation dédiée à la préservation de la culture hip-hop et
à « l’élévation de la rime » dans laquelle on « bannit toute forme
d’agression physique ou verbale » : le Freestyle Union, fondé en 1994. La
volonté de toujours surprendre et de se surpasser sonne alors comme un
véritable leitmotiv pour le groupe. Néanmoins, c’est bel et bien en 1997
que le grand public découvre le trio sous le nom d’Opus Akoben, avec leur
premier album « Art of war ». Avec un titre pareil,
inutile de souligner que leur hip-hop est avant tout une arme. Une arme
pacifique cependant. Aucun aspect violent ne saurait transparaître dans
leurs textes, pas plus que dans leurs mélodies d’ailleurs : le message se
veut avant tout positif. Simplement, leur musique est l’unique arme dont
ils disposent et elle leur sert à exprimer des prises de positions radicales
pour lutter contre les stéréotypes de toutes sortes. Notez également qu’en
ghanéen le terme ‘akoben’ désigne un cor de guerre, ajoutez-y le terme
‘opus’, mélangez le tout… et vous obtenez l’arme musicale
parfaite…

Ce bref historique en guise de préambule peut paraître superflus à
certains pour une ‘simple’ chronique d’album, mais cela semble être un
élément prépondérant pour une compréhension plus juste de la musique d’Opus
Akoben. Afin de saisir la richesse musicale et le ‘combat’ du trio, il
apparaît nécessaire d’avoir quelques prérequis. Le fait, par exemple,
qu’ils aient choisi de réaliser « Raw life » sur
un jeune label de jazz français (Label bleu) et de l’enregistrer à Amiens
sous la direction du saxophoniste jazz Philippe Teissier n’est pas chose
courante en hip-hop (et aux USA qui plus est), et peut en partie expliquer
la démarche artistique et le dessein du groupe.

Cet album ne s’apparente donc en
rien aux productions hip-hop traditionnelles. Et même si certains trouveront
le raccourci facile, pas même à The Roots. Car bien plus que d’être un
groupe à musiciens, Opus Akoben est un mutant issu d’un mélange de
l’ensemble de la black music : jazz-blues-soul-funk-rap qui ne souffre
d’aucune comparaison. Le fait que le trio ait eu recours à des musiciens
d’expérience (Ezra Greer, Federico Gonzalez Peña, Stan Cooper, Jay
Nichols…) montre d’ailleurs qu’il fonctionne plus au feeling et à la
spontanéité qu’à une quelconque demande. A partir de là, les sources
d’inspirations ne sauraient se restreindre à un seul genre et encore moins
se conformer à un style unique ; aucune barrière et limite ne semblent être
fixées dans leur création…

Au gré des quinze titres de « Raw Life », quinze ambiances viennent nous interpeller
et nous proposer une autre vision du hip-hop. Une vision moins rigide et
plus spontanée. Mais il n’est nullement question de tirer un trait sur le
passé, chaque titre est une célébration des différentes facettes de la
musique pour laquelle Opus Akoben a choisit de lutter. C’est ainsi qu’il
est possible d’entendre du pur son old school comme sur ‘Pace to Place’,
mais toujours agrémenté d’une touche personnelle. Dans le cas présent : à
l’aide de la flûte traversière de Magic Malik. Car c’est bien là toute la
réussite de l’album : contribuer à sa façon à faire évoluer une musique en
s’appuyant sur ce qui a été fait par le passé. Et les trois MCs naviguent
entre chaque style avec une aisance outrancière. Cela va des compositions
les plus hip-hop avec des samples et des flows appuyés (‘Crush’), à des
refrains entraînants sur des scratches de DJ AyCE International comme sur
‘Hidden Dragon’, en passant par des passages soul dans le très évocateur
‘Sentimental thing’.

Les tracks sont la plupart du temps parfaitement
enchaînés malgré leur grande diversité, les musiciens laissant souvent une
dizaine de mesures instrumentales pour faire redescendre la pression et
amener en douceur le morceau suivant. C’est le cas de ‘Babies’, placé
entre deux morceaux très soul et comprenant des riffs de guitares on ne peu
plus funky. Sub-Z réalise quant à lui une véritable prouesse sur le morceau
qui suit et un des meilleurs moments de l’album : ‘EPO’, chanson
envoûtante au refrain ravageur. La chanson la plus jazzy est sans nul doute
‘Open your eyes’ sur laquelle le trio nous prouve qu’il peut se servir de
ses trois voix comme d’un instrument à part entière en les modulants et les
adaptants suivant la rythmique proposée. Impressionnant. Les refrains
chantés savent aussi s’associer aux flows si différents des trois MCs sur
une des autres grandes réussites de « Raw life » :
‘Forgive Me’, que l’on peut qualifier à raison de ‘tube’ de l’album.
Un morceau 100% instrumental, ‘Metro : Paris’, vient clore ce vaste et
impressionnant panel de sons avec des atmosphères deep et des breakbeats
jungle. Celui-ci est d’ailleurs entièrement écrit, produit, arrangé et mixé
par Sub-Z. Chaque composante du groupe s’étant en effet vu accorder le
droit de produire intégralement un voire plusieurs morceaux. Cette totale
liberté d’expression musicale n’est évidement pas innocente : elle est la
résultante d’années de travail quotidien à côtés de jazzmen expérimentés,
où les mots improvisation, spontanéité et rigueur règnent en
maîtres.

Les trois vocalistes du groupe redonnent sur cet album ses lettres de
noblesses à un terme trop souvent galvaudé et utilisé à tord ou à raison :
MC. En effet, au cours de « Raw Life » les flows
sont déformés à outrance et aucun couplet ne s’apparente à un autre : les
voix se modulent au gré des instrumentaux… se font discrètes sur quelques
notes de claviers… s’accélèrent quand apparaissent scratches et ligne de
basses plus lourdes (‘Ronin’)… ou encore se saccadent sur certaines
descentes de tomes. Une véritable démonstration.

Malgré la grande diversité des
titres, aucune faute de goût n’est présente, les mélodies surprennent à
chaque fois et il est nécessaire d’effectuer plusieurs écoutes afin
d’apprécier pleinement certains morceaux, tant les compositions s’avèrent
riches et complexes. « Raw Life » est un véritable
hymne au Hip-Hop, et c’est aussi un moyen pour Opus Akoben de proposer une
alternative à l’inexorable dévoiement auquel est contraint cette musique
depuis quelques années. En d’autres termes, si vous ne vous reconnaissez
pas sous le drapeau de la ‘paix urbaine’, désertez pour allez combattre
aux côtés d’Opus Akoben…

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