Chronique

Nas
The Lost Tapes

Columbia Records - 2002

Sorti en 2002, le projet « The Lost Tapes » est une compilation de titres enregistrés par Nas de 1998 à 2002, c’est-à-dire entre l’enregistrement de »I am… », son troisième album, et « Stillmatic », son cinquième. Les onze morceaux de ce disque (douze en comptant la piste cachée) sont donc des inédits, du moins sur le circuit commercial, car la plupart avaient pu être entendus par les fans sur différentes mix-tapes new-yorkaises.

La qualité parfois douteuse de certains titres de « I am… », « Nastradamus » ou « Stillmatic » avait de quoi laisser songeur quant
à ce que pouvaient valoir ces « Lost Tapes ». Si Nas n’avait pas jugé bon de placer ces titres sur ses albums, n’allait-on pas se retrouver face à des chutes de studio sans intérêt ?

Et bien non. Malgré la volonté purement mercantile d’un tel concept, à peine camouflée par un petit texte dans le livret présentant la compilation comme un cadeau offert aux fans et ayant pour unique but de répondre à une « incredible street demand », Nasir Jones ne se fout pas du monde. Bien au contraire. On est loin des horribles ‘We will survive’, ‘Dr Knockboot’, ‘Big Girl’, ‘You owe me’ et autres ‘Braveheart Party’. De par son contenu, « The Lost Tapes » ne vise pas le public radio
dopé aux gros singles. A l’écoute de cette compilation, on est même tenté d’affirmer qu’elle représente le projet de Nas le plus proche de « Illmatic ». Le Nas que l’on retrouve ici est à des lieues du mafioso mégalo de pacotille Nas Ecobar et de Nastradamus, le prophète des cages d’escaliers. Ca n’est pas
non plus le Nasty Nas qui avait rendu accro plus d’un auditeur en 1994. C’est Nasir Jones, l’homme, qui rappe ici.

Celui-ci s’affirme à travers des textes souvent introspectifs, mêlant souvenirs personnels et messages adressés à l’ensemble de la communauté noire américaine. Avec cette écriture par succession d’images toujours aussi fascinante et percutante, Nas dépeint l’atmosphère des années 1980 sur ‘Doo Rags’, se rappelant des vieux jours à la manière de Raekwon et Ghostface, tout en critiquant l’armée et la situation des Noirs dans la société américaine. Dans ‘My Way’, il rend un hommage émouvant à son ami Ill Will tué sous ses yeux tout en s’interrogeant sur son succès (« Never knew murder ‘till I seen my man get poped. No blood soaking, laying there, eyes still open. I got a little closer, put my hand in his palm. He was looking right through me, staring beyond. I wonder what he saw: the limoes, movies and tours? Did he die in vain and represent for the cause? Now I put his name on everything I’m involved… »). ‘Poppa was a playa’ est l’occasion de rendre hommage à ses parents sur la boucle d’Eddie Kendricks déjà utilisée par Akhenaton sur son célèbre ‘Bad Boys de Marseille’. ‘Fetus’, le morceau caché, est, comme l’indique le titre, le récit des quelques mois passés dans le ventre de sa mère.

On trouverait difficilement des reproches à faire à Nas sur le plan technique. Sa voix est toujours aussi agréable à écouter, reconnaissable entre mille, son flow s’adapte à tous les types de tempos, des plus lents au plus rapides. Son écriture, relayée à la perfection par son flow et sa capacité à faire passer toutes sortes d’émotions au travers de sa voix, se fait tantôt amusante (‘Fetus’) tantôt tragique (‘My way’), tandis que ses intonations traduisent l’énervement (‘Blaze a 50’), l’ivresse(‘Drunk by myself’) ou la résignation (‘Nothing Lasts Forever’). « The Lost Tapes » démontre une fois de plus que Nas est l’un des tous meilleurs emcees américains, donc du monde. Il lui suffit juste de poser sur de bons instrus.

Et là encore « The Lost Tapes » surprend. On s’attendait à quelque chose d’incohérent, de décousu. Des producteurs très différents les uns des autres, des morceaux datés de 1998 à 2002. Les albums de Nas étant rarement homogènes, le résultat risquait ici d’être calamiteux. Mais il n’en est rien. La plupart des morceaux dégagent une impression de mélancolie, dans les thèmes traités comme dans les choix d’instrumentaux, rappelant ‘Memory Lane’ par leur
atmosphère générale. Nas semble se plaire à rapper ses souvenirs et états d’âme sur quelques notes de pianos, que celles-ci soient l’œuvre de Precision, Alchemist ou L.E.S. Mais samples de pianos et de cordes sont aussi utilisés pour des morceaux plus énergiques comme sur ‘Blaze a 50’, ‘Black Zombie’ ou ‘Everybody’s crazy’. Sans rien avoir d’exceptionnel, ses instrus ont le mérite de coller parfaitement au propos de Nas et de rester simples, ne venant pas parasiter son rap. La seule déception de cette compilation provient de la prod de ‘No Ideas Original’ signée Alchemist, recyclant un gros sample du ‘I’m gonna love you just a little more babe’ de Barry White. Mention spéciale pour l’auteur du beat de ‘Fetus’, tout simplement parfait.

Plus qu’une simple compilation, « The Lost Tapes » s’avère être, après « Illmatic », la meilleure introduction possible à l’œuvre de Nas. Cette compilation, plus cohérente que certains albums de Nasir Jones, est, même s’il peut sembler étrange d’affirmer cela, son deuxième meilleur disque. Au fil des écoutes il se révèle même envoûtant.

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