Chronique

Quakers
Quakers

Stones Throw Records - 2012

Un matin, Geoff Barrow se lève de mauvais poil et décide qu’il en a ras-le-bol. Lui qui, destiné au rock, s’était retrouvé embarqué dans l’épopée hip-hop au cours des années 1980, incorporant le sampling et le turntablism à ses compositions au sein de Portishead, ne s’y retrouve plus. Alors, remonté comme la pendule de Flavor Flav, il commence par dessiner une jaquette en forme de ville en ruines — représentation imagée de l’état de délabrement dans lequel se trouve son genre d’adoption. Sur sa lancée, il reprend son pseudo de Fuzzface (inauguré dix ans plus tôt à l’occasion de remixes des Pharcyde et des Gravediggaz) puis contacte ses deux compères Stuart Matthews (alias 7Stu7) et l’australien Katalyst pour les mettre dans le coup. Enfin, il attrape son téléphone et passe des coups de fil. Beaucoup de coups de fil. Et voilà rassemblés pas moins de trente-cinq rappeurs (dont une rappeuse), parmi lesquels quelques anciennes vedettes (Prince Po, General Steele…), des noms plus récents ou affiliés au label Stones Throw (Guilty Simpson, Aloe Blacc…) et pas mal d’inconnus. Pour bien signaler qu’il a sévèrement les boules, le Geoff reprend sa jaquette et ajoute, sous cet impressionnant line-up, « Warning : contains hip-hop« .

Une fois réuni, le trio de tête appuie sur un bouton et actionne le rouleau compresseur. Car il faut être dans de bonnes dispositions pour avaler d’un coup une mixture de cette envergure (41 morceaux ou fragments de morceaux, 70 minutes au total). Quand on l’est, on prend beaucoup de plaisir à ingurgiter cette sorte de mixtape XXL, façon open mic géant ; dans le cas contraire, ça peut se révéler un peu indigeste. En tout cas, l’effet contradictoire produit est assez bluffant. D’un côté, c’est l’impression de collage, de patchwork qui domine, à coups de brusques changements de ton. D’un autre côté pourtant, la concrétion sonore enchaînée sans temps mort donne la sensation d’une trame continue malgré les ruptures, à l’aide de transitions assez classiques (cuts, extraits audio, etc.) ou plus ou moins inattendues (du type grondement de moteur ou bruit non identifié, genre décollage de soucoupe volante sur « There it is »/ »RIP »). On se dit que ça part dans les tous les sens, y compris dans les textes (certains font dans la tirade politique, d’autres dans l’egotrip, d’autres dans le storytelling…), et en même temps s’impose une certaine unité de ton. Une sorte de boxon calculé au millimètre.

Hybride, Quakers l’est jusque dans un son à la fois crade et soigné ou soigné dans le crade, avec des couches de samples et des breaks à foison (le second disque, instrumental, permet de les saisir plus facilement). C’est dans l’ensemble son côté brut de décoffrage qui fait tout son charme. Le ton d’ensemble est percutant et rugueux, même si quelques moments d’apaisement permettent de reprendre sa respiration. Il y a du cuivre rutilant et du cuivre torturé, des lignes de basse funky et d’autres caverneuses, des nappes de synthé stridentes et des riffs de guitare trafiqués, des voix soul plus ou moins triturées et même quelques chœurs pop, le tout menant d’un boom-bap bancal aux accents « madlibiens » à des échos électro-rock. On peut s’amuser en passant à repérer un emprunt à Radiohead (sur « Fitta Happier ») ou un sample de « Que je t’aime » (sur « I Like to Dance »)…

Hélas, l’album ne réussit pas l’exploit de maintenir l’attention de l’auditeur au même niveau tout du long. Son côté zapping frénétique peut user. Surtout que, comme c’était à craindre avec une telle brochette d’invités, le disque est inégal. Une production moins convaincante que ne relève pas un rappeur quelconque, et la tension retombe. C’est ce qui empêche Quakers d’être vraiment captivant sur la durée. C’est moins le genre de disques qui s’écoute en boucle que celui qu’on se met, une fois de temps en temps, pour prendre une bonne beigne.

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