Chronique

Projet Chaos

Waxpress - 2001

Si vous connaissez l’Abcdr depuis quelques mois, l’évocation de Projet Chaos ne vous est sûrement pas inconnue (ou sinon vous ne lisez pas ce qu’on écrit et vous vous contentez de regarder les images.) Précision pour les autres, sous l’appellation « Projet Chaos » ne se cache pas l’opération commanditée par le ‘sieur Bush sur les monts de l’Afghanistan ni la bande son d’un (excellent) film mettant en scène Brad Pitt et Edward Norton. Projet Chaos est une compilation musicale, la première de Waxexpress ( si par hasard vous sortez juste d’une année d’ermitage, je vous rappelle que Waxepress.com est un site de vente en ligne spécialisé dans le Hip-Hop indépendant). Cette première production est à l’image de ce que peut-être Waxexpress, à savoir un grand miroir de la scène franco-américano-canadienne de Hip-Hop indépendant. Bigg Jus (ex-Company Flow), Buck 65, et à niveau moindre La Caution, symbolisent la créativité et l’avant-gardisme de ces scènes parallèles, loin du relatif moule musical de ces dernières années.

Projet Chaos débute par une courte introduction. (DJ) Detect reprend le ‘Midnight in the perfect world’ de DJ Shadow, le mixant avec un beat de ce même Shadow. Ce nouveau morceau reste empreint de cette ambiance futuriste et fascinante. Une lente et bonne entrée en matière en forme de passerelle vers une autre dimension.

Vient ensuite la figure de proue de la compilation et icône du Hip-Hop indépendant. Bigg Jus avait ouvert, il y a quelques années avec ses acolytes de Company Flow, la brèche vers un Hip-Hop différent, exigeant et complexe. « Funcrusher plus », puis « Little Johnny from the hospital » conférèrent à l’ensemble du groupe ce statut de révolutionnaires cultes. Après le split chacun a suivi son chemin, dans des fortunes diverses. Bigg Jus prépare actuellement son premier album solo, et ce premier morceau ‘Gaffling whips’ devrait refléter (au moins un aspect de) son oeuvre. L’ambiance s’avère sombre et pesante, mais aussi soudainement éclairée d’une angélique voix féminine. Un contraste saisissant qui donne à ce morceau une ampleur formidable.

On poursuit avec ceux qu’on pourrait considérer dans un élan d’enthousiasme comme notre Company Flow à nous, j’ai nommé La Caution. Fort de l’excellent Asphalte Hurlante, le duo Hi-Tekk-Nikkfurie envisage d’ores et déjà d’apporter une suite à ce premier album. Ils prennent en tout cas le temps de poser un morceau inédit, en l’occurrence ce ‘Metropolis’. Au premier abord difficile d’accès, on apprend à l’apprécier au fur et à mesure des écoutes, pour ne plus le quitter à la fin.
Le ‘Verbal Chaos’ produit par Jeep Jack monte progressivement en intensité, se rapprochant progressivement de l’explosion lyrique. Microft Holmes offre une réelle démonstration de Mcing, troublant de puissance. Grand. L’autre moitié de L’armée des 12 singes,  le trio TTC, y va aussi de son inédit. ‘Spectacle’ produit par  James Delleck n’égale pas ce que peut faire un Mr Flash (ex-Flash Gordon, producteur entre autres du 45 tours « Le voyage fantastique »). Toujours complètement délurés, Cuizinier et consorts se montrent tout de même moins convaincants que sur le dernier maxi Leguman/Subway.

Passons rapidement sur le ‘Politics’ de Classified, déjà entendu sur « Union Dues », album sorti quelques mois auparavant. Thème, production et Mcing n’ont rien de novateur. Agréable à la première écoute mais finalement lassant, très classique, et nullement transcendant.
Annoncé à l’avance comme l’une des grandes claques de ce projet destructeur, le ‘Baise les gens’ du Klub des Loosers avait de quoi laisser sceptique.  Honnêtement, on ne peut pas dire que les prestations de Fuzati sur Le Beat, le flow et les mots ou Gastro-entérite avaient déclenché l’enthousiasme général. Mais cette fois-ci Fuzati et Orgasmic risquent de mettre tout le monde d’accord. La production concoctée par notre duo de Loosers et l’excellent Para One est simplement grandiose. Fidèle à sa petite réputation, Fuzati témoigne de son mal-être cultivant ce coté malsain et déséquilibré. Celui qui  »baise les gens »,  prend à contre-pied les convenances et thèmes archi-visités du petit monde du rap. Son écriture fourmille en jeux de mots et petites formules,  »Au fait j’ai écouté ce que tu fais : c’est nul ! Allez viens on ne fait pas de morceaux ensemble et je n’apparais pas sur ta tape » (…)  »j’aime porter des chemises roses afin de symboliser le fait que  je ne suis qu’une simple feuille de papier toilette… » Un  »baiser » hurlant et répété fait office de refrain, ajoutant encore un peu de folie à ce cocktail déjà explosif. On tient ici le meilleur morceau du Klub des Loosers, et aussi le titre français le plus abouti de la compilation.

Le terrible ‘The Naturals’ signé Mike Control figure aussi parmi les grands moments de cet opus. Les deux Mcs Jonny Bro et Grey Ghost se relaient pour relancer constamment le dynamisme d’un morceau à l’instru enchanteur. Un des très grands titres de cette compilation.
Le morceau d’Esau (accompagné pour l’occasion du Wizard of aahz) figure lui aussi au chapitre des satisfactions. ‘Stop Being blinded’, qui figure sur The debut album…The Farewell tour, témoigne du talent de Mc d’Esau. Quand à la sublime production, les mots m’échappent pour la décrire. Retenez juste qu’elle est déboussolante et envoûtante.

On s’enthousiasmera par contre beaucoup moins pour le ‘Fight Club’ de LSD, à l’instru on ne peut plus simpliste et dont le seul intérêt apparent réside dans les d’extraits de film glissés ici et là. Le reste est hautement dispensable. James Delleck, capable de productions renversantes, s’est lui aussi malheureusement complètement oublié le temps de ‘Aère’. Les effets de synthés lancinants et le refrain à la limite du supportable le rapprochent plus de Sinclair que du producteur talentueux capable de ‘Réverbère’ ou encore ‘C’est qui ?’. On lui préférera grandement ‘PGS’ aux sons électros et où « le chevelu aux brassards de Mc » collabore avec le duo d’Hustla (réunissant Grems et le Jouage).
Un petit mot aussi sur le ‘Life and death’ de Paradigm, dans une lignée plus classique mais particulièrement efficace. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce morceau s’avère diablement apaisant. Niveau paroles, rien de marquant, un nouvel exercice de rédemption assez traditionnel. « It’s just a life we live, give it your best try, until we rest and die we all can get by« .

Tacteel signe à son tour une composition déroutante, très loin des années 1995 où il opérait en tant que DJ au sein d’ATK. Loin du relatif classicisme de cette époque dorée, il greffe lors de ce ‘Selective Approach’ plusieurs sons électroniques apparemment anodins, qui une fois réunis donnent vie à cet ensemble organique, atypique et grandiose. Débutée par un icône du Hip-Hop indépendant à savoir Bigg Jus, cette compilation s’achève (et c’est tout un symbole) par un autre icône d’une autre école indépendante. Buck 65 figure en effet parmi ces artistes créatifs, représentants d’un courant musical différent Appelez le exigeant, inventif, hors-norme ou génial, ou ne le considérez pas comme du rap, toujours-est-il que ce ‘Untitled’ (tiré de « Man Overboard ») symbolise une alternative, décalée et accessible à la fois.

En dépit de quelques petits ratés, Projet Chaos s’impose comme une bonne compilation qui bien qu’inégale ne manque pas d’innovation. La première règle d’un tel projet est justement d’en parler.

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