Chronique

Salif
Tous ensemble -Chacun pour soi

IV My People - 2001

Donnez un micro à Salif, vous obtenez quoi ? Une voix prompte à s’emballer, des thèmes éculés, un flow agile, quelques rimes riches mais forcées ? Oui. Et jusqu’à cet album, il était permis de s’en tenir là.

Parrainé par son camarade du Beat de Boul Zoxea, il effectue en 2000 une entrée en fanfare au sein du crew IV My People avec ‘Enie, meenie, miny moe’, puis renforce son image de rappeur doué mais peu innovant avec ‘C’est ça ma vie’, titre phare du premier EP du label, « Certifié conforme ». Il enchaîne en 2001 avec cet album solo, mettant provisoirement de côté Nisay, duo qu’il forme avec Exs.

D’entrée, la pochette annonce le personnage. Sur un fond blanc, Salif cligne de l’oeil, assis sur le trône de ses toilettes, un vinyle de Soul Mann & The Brothers à la main. La mention « Tous ensemble », titre du premier maxi extrait de l’album, est barrée, pour laisser place à un « Chacun pour soi » désillusionné. Deux ombres chinoises du rappeur – l’une buvant une bouteille au goulot, l’autre en train de pisser – accompagnent le dessin de son nom. Provocation continuelle, alcoolisme latent et caractère fantasque : voilà un singulier triptyque, à l’honneur dans cet album.

Quelque part, « Tous ensemble – Chacun pour soi » est l’album de rap français bateau par excellence. Caution de parrains aguerris (Kool Shen et Zoxea), thèmes de rue, refrains assurés par une artiste r’n’b attitrée (Toy), featurings convenus (Exs, Diomaï & Granit), etc.. Mais là où certains n’en feraient qu’une compilation de titres sans saveur, Salif parvient à délivrer un album homogène, avec pour seul liant sa personnalité.

« J’m’appelle Salif… toujours prêt à dire deux, trois saloperies ; pis t’as Fon, l’autre, le salaud, ivre… ado malpoli que les badauds applaudissent »

Personnalité multiple, donc ? Pas vraiment. Salif est trop entier pour se présenter sous un seul angle.

« Ils me parlent de « charisme » quand je fais dans la sincérité.
Ils croient que je joue à être Fon, ou plutôt que je joue à être fou ; 
Moi, je dirais que je joue avec tout, et qu’au final, je joue avec vous ».

Jouant en terrain connu, c’est-à-dire le rap pêchu inoffensif, Salif se montre à la hauteur de sa réputation. ‘Tous ensemble’ (sorte de suite de ‘C’est la guerre’, présent sur « Dans la ville », second EP du Beat de Boul), ‘Ghetto cailles’, ‘Sous Bass et Drum Oblige’, ‘Rap gunshot’, ‘Le break’ : autant de titres efficaces à souhait. Responsables de l’intégralité des instrus, la 707 Team s’en sort d’autant mieux quand les demandes de leur protégé s’éloignent des standards du moment.

Déjà plus éloigné de son registre habituel, des morceaux s’orientent vers des cibles plus précises : journalistes sur ‘Faut qu’les gens comprennent ça (Blah blah)’, mauvaises langues sur ‘Jactez j’m’en bats les c…’. Sur ces thème rabâchés mille fois, Salif enchaîne phase sur phase et passe à côté du piège habituel en dotant sa verve d’un humour acide.

« Le rap, un catalogue… et les journalistes se perdent dans le registre.
Mortelle l’analyse, et là au moins, j’espère que t’enregistres.
De toutes façons, y a que toi, moi et ton magnéto ; 
On t’a manié le train, et je dirais qu’on te l’a manié d’trop »

Mais là où il finit par infliger de véritables gifles, c’est dans un domaine où on ne l’attendait pas. Teintant certains textes d’un cynisme désabusé (‘Dur d’y croire’, ‘Notre vie s’résume en une seule phrase (Street is watching)’), Salif colle à perfection aux productions de Madizm et dépasse nos espérances. Dans le même registre, ‘Elle est partie’, ode d’un mec bourré à sa femme saoulée, est évidemment le point d’orgue de l’album.

Injustement ignoré, « Tous ensemble – Chacun pour soi » permet de cerner plus en profondeur un rappeur faussement feignant. Le travail sur mesure de Madizm et Sec.Undo est l’occasion pour Salif de mettre en avant ses surprenantes aptitudes d’écriture et de flow. Meilleure sortie du label IV My People ?

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