Chronique

Himself
…providence plays no favorites

Galapagos 4 - 2001

Seul face à la mer se présente Himself afin d’aborder …Providence Plays No Favorites. C’est peu de le voir (sur la jaquette) mais c’est tout de l’écouter ! Le rappeur nous propose un premier album en solitaire sur le ton de la confidence, bouleversant. Peu d’invités, si ce n’est l’impeccable Anacron, qui assure la quasi intégralité de la production. Par mimétisme, Himself nous a façonné un album calme et secret tel le bord de mer d’une fin de journée sans gros temps, à l’heure où l’ombre recouvre les derniers scintillements du soleil. Revers vertigineux de la fameuse expression : « sea, sex and sun« .

Il y a un petit quelque chose de tristement jazzy tout au long de …Providence Plays No Favorites. De fréquents samples d’instruments associés à cette musique : saxophone (‘Last Miles’), contrebasse (‘Intermission’) ou piano (‘Intermission’, ‘On A Good Day’) maintenant le cap d’écoute de l’auditeur vers l’état d’esprit, le spleen d’Himself. Le rappeur pose ainsi son flow intimiste et tranquille sur une succession de plages musicales douces et fraîches absolument faites pour lui, y imprimant l’empreinte de sa voix sans s’y enfoncer. Et c’est à chaque fois, dans un va-et-vient incessant, que le vague à l’âme nous submerge. Vague à l’âme recouvrant aussi bien les prestations exécutées par Himself au microphone que les productions d’Anacron et consort sur la quasi totalité des plages visitées.

Quelques rayons lumineux retardataires subsistent de-ci de-là, disparates, incapables toutefois de réchauffer durablement une atmosphère résolument fraîche voire froide. A ce titre, ‘Everybody Dance’, le morceau qui introduit l’album, possède un beat bien gras qui procure chaleur et envie de danser (comme son nom l’indique). Ce n’est qu’après avoir intégralement écouté l’album qu’on se rend compte de ce que pouvait vouloir nous indiquer Himself avec ce titre initial irradiant différant du reste de l’album. Il pourrait s’agir d’inviter l’auditeur à bouger, danser au son du « show » d’Himself – et au chaud du son – en vue de la frisquette tombée de nuit qui s’annonce. Autre instant de chaleur, le petit sample de reggae qui émerge soudainement au beau milieu de ‘What About You’. Le flow, le rythme, la mélodie procurent ainsi l’espace de quelques secondes une sensation roborative tandis que dans le reste du titre une voix féminine revient en boucle pousser de petits cris frissonnants. Bon sang que c’est froid !

Après ‘Everybody Dance’, la musique se fait abyssale et les paroles plus amères à l’image de ‘Hard To Smile’ dans lequel le rappeur s’exprime sur des événements personnels qui lui pourrissent la vie, le laissant sans sourire et les yeux humides. Sous son flow flottant, le bruit de frottement des scratchs éparses de DJ Daze. Comme le chante Barbara « le bruit de la mer est une musique » et c’est ainsi qu »October’, véritable leçon de vie, débute par le chant des vagues qui viennent s’affaler et mourir sur la plage. Le refrain plein de tristesse chantonné par Tamica Pratt (« Live your life, live for you, life’s too short, live your life ») provoque un raz de marée de sensations. Précisons que si l’album est à l’image de la prestation de Tamica Pratt : un océan de tristesse, il ne verse toutefois qu’assez peu dans le larmoyant. Car très intelligemment Himself préfère souvent fonder ses textes sur des événements autobiographiques et faire valoir sa forte personnalité plutôt que de trop se laisser aller vers d’incessantes lamentations. Il fait preuve notamment sur le magnifique ‘Lessons Learned’ d’une grande maturité et d’une personnalité de battant. La fin du morceau est d’un point de vue musical aussi particulièrement réussie lorsque s’élève comme sortie de nul part un beau chant féminin cristallin. Et gageons que si dans ‘Andre’, Himself se remémore un de ses meilleurs amis disparu, c’est parce que la mer qui lui fait face a cette propension à se faire la confidente de ceux qui foulent de leurs pas ses rives ensablées. Peut-être l’immensité de son étendue nous suggère-t-elle sa capacité à contenir toutes les confidences et son opacité, son aptitude à les garder pour elle ? Questions sans réponses, toujours est-il que la mer semble bien ici être l’auditeur privilégié d’Himself, avant vous et moi.

‘On A Good Day’ présente un sample du morceau electro ‘Trans Europe Express’ du groupe allemand Kraftwerk. L’apparition de ce titre, qui tient une place privilégiée dans l’histoire du rap (Afrika Bambaataa s’en inspira pour réaliser son légendaire ‘Planet Rock’), se fait telle l’émergence de l’eau d’un robuste tronc d’arbre érodé qui viendrait s’échouer sur une plage après avoir parcouru des kilomètres et des kilomètres. Il n’est pas interdit, à l’écoute de ce morceau, de se retracer mentalement l’épique chemin parcouru au gré des époques entre le titre d’origine et le point d’arrivée de l’élément échoué et d’en admirer, incrédules, son aspect naturellement harmonieux dans la production d’Anacron.

Tout comme le Lost Tapes de Nas (peut-être son meilleur album, en tout cas le plus homogène, depuis Illmatic), Providence Plays No Favorites est un album couleur bleue ou « blue » s’il on préfère. De ce « blue » sournois, s’insinuant tout discrètement en profondeur pour rester là, au cœur, afin de faire son office.

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