Chronique

Madvillain
Madvillainy

Stones Throw Records - 2004

A peine évoquée, murmurée secrètement derrière les murs de la lamentation cernant la sacro-sainte chapelle du Hip-Hop, la possibilité d’une collaboration entre MF Doom et Madlib avait d’emblée soulevé l’enthousiasme du back packer averti. Le back packer non-averti continuant lui d’ingurgiter aveuglement et sans sourciller les sorties les plus médiatisées. Valeurs sûres de la scène indépendante, experts en botanique et schizophrènes prolifiques, les deux producteurs-rappeurs multi-casquettes partagent, en dépit de leur éloignement géographique, un goût immodéré pour le mystère, cultivé non sans une certaine ingéniosité. Quand Madlib invente Quasimoto, personnage factice, invisible et déjanté, et le Yesterday’s New Quintet, orchestre tout aussi virtuel, MF Doom multiplie les sorties sous divers alias, notamment Viktor Vaughn, scientifique obscur et maléfique, et King Geedorah, fascinant monstre à trois têtes popularisé sur les écrans cathodiques dans les années 1960-70. Confirmé, puis bootleggé alors qu’il était encore loin d’être finalisé, la collaboration fumeuse entre MF Doom et Madlib devient réalité en mars 2004, six mois après la sortie de Jaylib, autre ovni de la galaxie d’étoiles Stones Throw, qui avait déjà réuni deux producteurs de renom (Jay Dee et Madlib). MF Doom au micro, Madlib derrière les platines et le sampler, bienvenue dans Madvillainy.

Bienvenue dans un univers intemporel, à mi-chemin entre réalité et fiction, entre les planches hautes en couleur de comic books et d’improbables scènes de série Z, entrecoupés de courts dialogues, de chutes et de sursauts. Une atmosphère multidimensionnelle et enfumée, sortie du SP 1200 de Madlib, rappelant le tout aussi imagé Vaudeville Villain où Viktor Vaughn excellait déjà tel un savant décérébré. Et si les dernières sorties de l’électron libre de Lootpack avaient quelque peu déçu (Shades of blue et Jaylib ont laissé un certain goût d’inachevé), le loopdigga retrouve ici l’inspiration. Ses rythmiques à la fois légères et épaisses surprennent, flirtant avec diverses influences musicales pour mieux dépeindre un univers riche et troublant, jamais linéaire, à déguster avec ou sans codéine.

Mais aussi aboutie soit-elle, l’architecture sonore élaborée par Madlib ne serait qu’une (belle) coquille vide sans l’omniprésence d’un MF Doom particulièrement inspiré. L’ex-Zev Luv X endosse le costume du justicier masqué venu sauver le rap game de la médiocrité, tranchant la gorge des wack MCs d’un égotrip cynique et débridé. Multipliant références inattendues et punchlines percutantes, les kilotonnes d’herbes spéciales fièrement réduites en cendres n’ont pas eu raison de la créativité de Doom. Il brille par ses intonations atypiques empreintes d’un charisme certain, hypnothisant de sa voix rauque et rocailleuse. De ‘America’s most blunted’, en passant par ‘Figaro’, ‘Strange ways’ ou ‘Fancy clown’ les prestations du metal faced villain tournent à la démonstration. Il justifie ainsi son arrogance et résume une réalité en une seule rime « The rest is empty with no brain but the clever nerd, the best MC with no chains you ever heard« .

Album singulier, Madvillainy est né d’une alchimie éclatante entre deux esprits fusionnels. Un nouveau classique en puissance estampillé Stones Throw, prompt à (res)susciter l’enthousiasme du plus exigeant des auditeurs, fusse-t-il suffisamment lucide pour en comprendre la grandeur. Un disque parfaitement indispensable, à situer au sommet de la pyramide des sorties de l’année 2004. Tous les mécréants n’abondant pas dans ce sens seront condamnés aux enfers pour une durée indéterminée.

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