Chronique

Trae
Life goes on

Rap-A-Lot Records - 2007

Les rues de Houston, Texas ont enfanté un nombre important de personnages haut en couleur, de styles nouveaux et débridés derrière une musique spontanée, parfois incongrue, toujours authentique. Rap-A-Lot est le fer de lance de ce tourbillon texan emportant des artistes comme Scarface et les Geto Boys, 5th ward boyz, Ganksta NIP, Z-Ro, Devin the Dude, Bun B & Pimp C des UGK pour n’en citer que quelques uns. En fait, Rap-A-Lot a la discographie la plus soutenue de l’histoire des labels indépendants américains depuis 1986. J Prince a réussi à toujours renouveler son catalogue et ses artistes, plaçant son label comme une référence absolue en la matière. Et à chaque sortie, on guette le nouveau classique, la nouvelle voix de la rue, le nouveau style qui va se décliner sur de multiples variations dans un hip-hop saturé par l’influence sudiste. La sortie de l’automne, c’est le nouvel opus de Trae « Life goes on ».

Trae sort là son deuxième album chez Rap-A-Lot après le très réussi « Restless » qui a rencontré un succès critique et d’estime auprès du public averti. Mais Trae n’en est pas à son coup d’essai. Il fait parti depuis longtemps de l’underground des quartiers sud de Houston aux côtés d’un des artistes les plus influents de cette scène, DJ Screw. Sa famille, c’est le SUC (Screwed Up Click) avec des jeunes têtes brûlées devenues des figures emblématiques comme Lil’flip, Lil’Keke, Z-Ro, Big Hawk, Fat Pat, Big Moe, E.S.G… DJ  Screw est leur mentor, inondant le marché de la mixtape entre 1992 et 2000 avec des freestyles et morceaux de son équipe couplés au style qu’il a inventé, le rap sous codéine, le screwed n’ chopped. Les disques sont ralentis à l’extrême, les voix deviennent caverneuses, linéaires et nonchalantes. Le phénomène le plus influent du hiphop des années 2000 est né au fond d’une bouteille de sirop pour la toux.

Trae est le cousin de Z-Ro, formant de nombreux groupes ensemble comme ABN (Assholes By Nature), SLAB (Slow Loud And Bangin), ou Guerrilla Maab avec des gars de leur entourages, leurs familles ou leur quartier du sud. Le son est lourd, poisseux, façonné et taillé pour les ballades en voiture mais dans le coffre. Depuis son premier album en 1998, le classique « Look what you did to me », Z-Ro invite Trae sur tous ces disques pour des collaborations toujours efficaces, puant la vérité. Après un nombre incalculable d’albums et de mixtapes, les deux lascars engloutissent Houston sous le sirupz et sont repérés par J Prince, signés sur Rap-A-Lot.

« I’m Trae Tha Truth you better go ask ’em who the streets
And ask ’em who that, in that black on black with ostrich sittin on the seats
My money speaks plus I’m surrounded by a couple freaks
I’m so much in my zone I ain’t been home in bout a couple weeks »

Comme une grande partie de celle de Z-Ro, la musique de Trae transpire l’urgence par tous les pores, le combat, la survie, la rue et ses épreuves. Quelque soit l’obstacle, la vie continue. « Life goes on ». La marque de fabrique de Trae, c’est cette voix basse, sourde, envahissante. Avec une technique parfaite capable d’accélérations impressionnantes, toujours clair, précis, chirurgical. Sur « Restless », il déballait toute la panoplie entre anthem du ghetto et soul du sud. Mais sur « Life goes on », la frappe se fait plus précise, concentrée sur le point d’impact comme pour le 756ème home run de Barry Bonds. Dès le premier track, le ton est donné. Sans fioriture. Avec ses potes Yung Joc & Gorilla Zoe, nouvelles sensations d’Atlanta signés chez Diddy, l’ambiance est parfaite pour la chevy, moteur musclé, vitres grandes ouvertes roulant sur la terre battue des ruelles les plus sombres du vieux sud. L’album est très bien construit pour apporter une plus large audience à Trae : deux morceaux directement destinés à exploser en pleine rue puis deux guests imparables, Lil Wayne et 2pac, avec qui Trae réalise de vrais duos (on croirait presque que Pac a réellement posé dans le même studio, le même jour, la même énergie, la même ambiance que lui). Passé cette partie, on touche le fond de cet album, une vraie toile de mélancolie, d’engagement et d’introspection.

« Life goes on » est hanté par deux thèmes récurrents, deux constantes immuables, les deux fatalités se toisant les yeux dans les yeux en chien de faïence, les deux seules issues : La mort et la prison. Le frère de Trae, Dinkie est actuellement derrière les barreaux et Big Hawk, ami de la première heure, est tué par balle en pleine rue. Cet album est un manifeste à la vie avec un proche en cabane ou six pieds sous terre, une vie d’attente, de manque et privations. Des interludes tout le long de l’album donnent cette atmosphère d’étouffement et de désillusion suivant le séjour d’un proche de Trae par le biais de messages laissés sur son répondeur. Il crée le lien logique entre toutes les thématiques traitées. Il faut dire que l’entourage de Trae est pris d’une certaine malédiction. La mort plane sur la Screwed Up Click. DJ Screw dans des circonstances étranges, Fat Pat puis son frère Hawk par balles et il y a peu Big Moe et une grande partie des autres membres comme Z-Ro en aller-retour incessants à la case calèche. Un des tracks les plus viscérals, ‘Give my last breathe’ est un hommage complet à H.A.W.K et la SUC, un hymne d’espoir à la vie sous la forme d’un éternel recommencement. C’est toute cette dimension dramatique et tellement réelle qui ressort par la voix de Trae, dans sa monotonie apparente comme une rengaine qui s’étire encore et encore. Jusqu’à la fin.

« I give my last breathe to bring you back / bring screw back / matter of facts, bring the all crew back… »

Devant cette toile de fond dramatique, Trae maîtrise tous ses effets. Entre ballades aux refrains sucrés mais toujours bien produites et classiques du genre, il oscille tranquillement, pertinent dans la plupart des cas. ‘Ghetto Queen’ n’a rien de novateur mais il passe très bien dans la continuité de l’album. Le plus surprenant reste ‘I’m good’, crossover plus ou moins rock FM appuyé par une ligne de saxophone et une voix assurée. Une réussite placée juste avant le meilleur moment, ‘The Truth’, véritable brûlot introspectif, creusant profondément dans l’âme de Trae sur une simple boucle, allant direct à l’essentiel jusqu’au fade out final, comme si le serpent se mangeait la queue et que la vie ne pouvait faire autrement que de continuer.

« Qu’est ce qu’on dit déjà à propos de la vérité ?
La vérité fera de nous des hommes libres. »

Trae réalise là un véritable tour de force en réalisant un album très introspectif aux couleurs et sonorités plutôt grand public avec un nombre impressionnant de featurings judicieux malgré l’absence étonnante de Z-Ro. On ressent bien sûr l’ombre de son modèle 2Pac, peut être trop par moment sur des copies presque conformes un peu dérangeantes mais il en ressort aussi les meilleurs aspects du MC défunt. Ainsi l’intelligence de la réalisation de « Life goes on » assure à Trae un avenir radieux dans le paysage rap américain. Quelqu’en soit la fin.

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