Chronique

Jedi Mind Tricks
A History of Violence

Babygrande Records - 2008

Les trois dernières années ont été plutôt fastes pour Jedi Mind Tricks. Le dernier LP, Servants in Heaven, Kings in Hell, sorti en 2006, a donné un second souffle à la carrière du groupe, par le biais de critiques quasi unanimement positives et de chiffres de vente très corrects en période de vaches maigres. Les deux opus d’Army of the Pharaohs, le crew drivé par Vinnie Paz, ont eux aussi rencontré un succès certain, contribuant à faire de JMT un nom majeur du rap indé US. A l’heure de remettre le couvert pour un sixième album, l’équipe se trouve dans une position confortable qu’elle n’était jamais parvenue à occuper par le passé : plus grand-chose à prouver, mais une fanbase sensiblement élargie à contenter.

Avant même de se lancer dans l’écoute de A History of Violence, plusieurs éléments majeurs de rupture par rapport à l’histoire récente de JMT apparaissent. En premier lieu, bien évidemment, un vieux serpent de mer devenu réalité : Jus Allah, qui avait claqué la porte en 2002, est de retour aux côtés de Vinnie Paz. Un mouvement un peu risqué a priori, tant la carrière du White Nightmare a été jonchée de hauts et de bas depuis son départ de la formation. Ensuite, seconde arrivée dans la team, celle du tour DJ officiel du groupe, DJ Kwestion. Celle-ci était déjà effective à l’époque de Servants in Heaven, Kings in Hell, mais prend ici réellement forme via une présence accrue dans la liste des crédits de l’album. Plus de place pour les scratchs, on ne peut que s’en réjouir. Par ailleurs, un autre grand changement concerne les invités conviés sur l’album : pas de MC de la trempe de GZA, Kool G Rap ou R.A. the Rugged Man. Même Sean Price n’est pas de la partie. En fait, Block Mc Cloud (Brooklyn Academy) est la seule personne extérieure à l’A.O.T.P. à avoir été appelée en renfort. Sa présence répond à un objectif précis : pouvoir disposer de refrains chantés tout en maintenant une certaine street credibility (cf. Nate Dogg, D.V. alias Khrist, ou plus récemment Akon). Côté rap, c’est donc les collègues pharaons qui se partageront le temps de vacation. Cette idée que l’A.O.T.P. peut désormais presque se suffire à elle-même est séduisante, même si les egyptophiles convoqués n’apparaissent pas comme les plus brillants (on regrettera ainsi l’absence de Celph Titled ou de Reef the Lost Cauze). Enfin, le tracklisting apparaît franchement menu : quatorze titres, trois interludes, une intro et à peine quarante-cinq minutes de son, on est loin du marathon sanglant qu’était Violent by Design. A première vue donc, ce petit examen des nouveautés donnerait plus à s’inquiéter qu’à trépigner d’impatience de presser sur play. Toutefois, Jedi Mind Tricks nous a habitués tout au long de son parcours à des virages plutôt proprement négociés, même lorsque ceux-ci semblaient de prime abord franchement casse-gueule.

Cette fois encore, la machine de guerre que constitue JMT ne finira pas dans le décor. Mais ne parviendra toutefois pas à échapper à de grosses éraflures : A History of Violence est un album d’une qualité correcte, mais tout de même plutôt décevant. Les raisons sont dans leur majorité directement imputables aux MCs : depuis quelques années maintenant, Vinnie Paz s’est enfermé dans un flow unique, avec de moins en moins de variations. C’était largement audible dans le précédent opus, ça devient parfois caricatural dans celui-ci. On appréciera cependant la volonté toujours plus grande d’élargir les thématiques d’écriture, notamment lors des morceaux solos (‘Trail of Lies’, ‘Death Messiah’). Mais cela demeure toutefois anecdotique par rapport à la performance de Jus Allah, qui aurait pu bouffer littéralement la feuille de match comme on dirait dans le sport. Fâché avec les règles grammaticales de base (sujet-verbe-complément), ses couplets prennent généralement la forme de longues litanies sans queue ni tête, gueulées à défaut d’être rappées. Une horreur pour les oreilles. C’est donc au moment où JMT aurait le plus besoin de grands noms pour prendre le micro que ceux-ci font défaut. Les collègues de l’A.O.T.P. parviennent en effet difficilement à faire mieux que leurs aînés et à offrir une alternative intéressante, en dehors du trop sous-estimé Crypt the Warchild (Outerspace). Heureusement par moment le niveau rapologique est sensiblement meilleur, et cela donne les morceaux les plus marquants d’un album (‘Butcher Knife Bloodbath’, ‘Monolith’) sauvé par la production du brillant Stoupe.

En effet, s’il y en a un dont la formule marche, c’est bien l’obscur Stoupe. La recette ne bouge pas d’un poil, mais qui le lui reprochera ? Des voix pitchées, des breaks de batterie violents, des boucles de musiques classique ou sud-américaine. Et comme d’habitude, la réussite est au rendez-vous, de la rage contenue de ‘Monolith’ au tonitruant ‘Terror’. Peut-être que sans les prestations peu convaincantes de ses collègues pour ternir l’ensemble, on aurait pu réaliser que le beatmaker livre ici sa copie la plus aboutie depuis Violent by Design. Il fallait bien ça pour ne pas faire de A History of Violence un album quelconque, voire franchement médiocre par moment. Pompé par des dizaines de producteurs ces dernières années, le trop rare Stoupe met en tout cas les pendules à l’heure de manière admirable, prouvant qu’il reste le maître incontesté d’un genre qu’il a grandement façonné. On appréciera également les efficaces refrains scratchés de DJ Kwestion, reprenant les phases de MCs qu’on aime tant (Big L, Lil’ Fame, Inspectah Deck, etc.). Pas un luxe en la circonstance.

Au final donc, JMT a joué avec le feu mais Stoupe est parvenu à sauver les meubles. A History of Violence tient du coup la route, mais ses flagrants défauts sont plutôt inquiétants pour le futur du groupe. La qualité d’écriture dont fait preuve Vinnie Paz depuis quelques années ne pèse en effet pas lourd face à ses lacunes en matière de flow, et à l’incompréhensible déchéance de son compère Jus Allah. On reverra ces deux là à l’œuvre rapidement, avec le troisième album d’Army of the Pharaohs qui devrait sortir l’an prochain, malgré quelques dissensions dans l’équipe. En revanche pour Stoupe, qui ne produit plus en dehors des albums de JMT, il faudra attendre le septième album du groupe.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*