Chronique

Gutta
Heads will roll

Babygrande Records - 2008

Cela faisait plus de deux ans qu’on attendait des nouvelles de The Society of Invisibles. Et bien, on continuera de patienter. En effet, pas une référence au crew de Phoenix dans l’album de Gutta, pourtant bien membre de l’équipe à la sortie de l’album éponyme en 2006. Curieux, certainement. Prémédité peut-être, la formation tentaculaire justifiant ainsi plus que jamais son nom.

Le titre de l’opus de Gutta ne semble lui en revanche pas aussi approprié. Plutôt que « Heads will roll« , c’est « Heads will split » que le LP aurait dû s’appeler. Le garçon semble en effet bien plus porté sur les flingues que sur les armes blanches. Au fil des morceaux, le nombre de références aux guns, de coups de feu et de bruits de chargeur devient tout simplement ahurissant. Une affection tellement débordante pour ces jouets bien dangereux, qu’elle pourrait faire de Gutta un successeur potentiel à Charlton Heston à la tête de la N.R.A. C’était peut-être le but de la manœuvre.

On l’aura compris, Gutta ne fait pas dans la dentelle. Il est plutôt du genre drive-by au lance-roquettes. Dans le fond comme dans la forme. « Heads will roll« , c’est une conception du rap ne présentant absolument aucune nuance, résumera-t-on sommairement pour éviter les euphémismes. L’œuvre d’un MC semblant s’être extirpé d’un champ de bataille pour venir cracher sa haine au micro, comme si la moindre seconde lui était comptée : « I got both feet in the grave, I don’t do shit half-ass ». Hystérique, survolté, mais le nez parfaitement poudré. Pour chaque titre il vomit sa rage d’un bloc, lâchant un couplet unique, parfois précédé ou suivi d’un vague refrain ou de quelques scratchs. Voilà pour la structuration des morceaux, dans l’ensemble plutôt courts, et la mise en forme. Plutôt indigeste de prime abord, d’autant que les thématiques sont très peu variées.

Il faut indiscutablement plusieurs écoutes, morcelées de préférence, pour pouvoir réellement apprécier à sa juste valeur « Heads will roll ». On découvre alors un réel sens de la formule derrière l’écriture quasi compulsive de façade. Tout dans la prestation de Gutta le bien nommé respire le rap le plus noir et le plus hardcore, des phrases chocs sanglantes (« America’s Nightmare, plastic surgers’ best friend ») à la voix, rugueuse et éraillée.

Cette brutalité est plutôt bien mise en valeur par les productions, toutes signées par Blue Sky Black Death (hormis celle de ‘Trashin’, fournie par Manchild’). Car oui, « Heads will roll » fait partie des 350 projets sortis en 2008 sur lesquels on retrouve le duo de producteurs californiens. Difficile toutefois de définir ici la patte de BSBD. Mais, que les sonorités soient soulful (‘So much Shit’) ou organiques (‘Walk with Me’, ‘Where I’m from’), que le style soit brut de décoffrage (‘Beware’, ‘Missles’) ou plus posé (‘I know’, ‘My Triumph’), on ne notera pas de réels maillons faibles parmi les instrumentaux proposés. On regrettera parfois même que l’omniprésence et l’énergie impressionnante de Gutta fassent passer les prods au second plan. Côté invités au micro, la politique est claire : « Fuck a guest appearance, I rather buy more guns ». Du coup seul Vinnie Paz, collègue de label, est convié sur un titre. Un Vin Laden qui fournit un couplet « minimum syndical » selon ses standards du moment, et se retrouve donc rapidement enterré par la verve de Gutta.

Pour les morceaux les plus marquants de l’album, on retiendra en priorité ‘Trashin’, attaque à la gorge d’entrée sans sommations. Une prod lourde et menaçante, et Gutta qui lâche une diatribe rageuse de plus de quatre minutes. Violentissime. Autres réussites notables, ‘Beware’, ‘Walk with Me’ et le très sombre ‘Riddler’. Seul ‘Gutzilla’ fait un peu tâche dans l’ensemble, Gutta y paraissant presque de bonne humeur. D’une manière générale d’ailleurs, la qualité des titres baisse sensiblement sur les dernières plages de l’opus. Mais au final, « Heads will roll » est plus que l’album d’un bon rappeur posant sur des prods efficaces. C’est l’œuvre d’un MC allé au bout de ses idées, en se fichant éperdument des conventions et des strapontins : « I don’t wanna be the king, just know you’re the king cause I let you ». Mais il s’agit également (à l’image du LP de T.S.O.I.) de la révélation d’un talent hors-normes, qui une fois maîtrisé fera encore plus de dégâts qu’il n’en fait déjà. On ne saurait donc trop s’y attarder.

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