Chronique

Army of the Pharaohs
The Torture Papers

Babygrande Records - 2006

Cinq longues années qu’on l’attendait. À tel point que quand Vinnie Paz annonça, courant 2005, la sortie prochaine de l’album de l’AOTP, on crût, au mieux à une farce, au pire à un ultime leurre avant l’enterrement définitif du projet. Et pourtant, The Torture Papers est aujourd’hui arrivé dans les bacs, 8 ans après le maxi Five Perfect Exertions.

Certes, le crew a bien changé : Bahamadia a disparu, Virtuoso a été éjecté pour cause de bisbrouilles, Jus Allah est en phase de réhabilitation. Et surtout Apathy, Celph Titled, Crypt the Warchild, Planetary, King Syze, Faez One, Reef the Lost Cauze et Des Devious ont été enrôlés pour rejoindre Vinnie Paz, Chief Kamachi, 7L et Esoteric, survivants de l’ancienne formule de l’AOTP.

On pouvait craindre le pire, après cette longue attente. Car, on l’imagine bien, tout ce beau monde, très occupé au demeurant, n’a pas été réuni pour enregistrer The Torture Papers ensemble. Les morceaux ont été réalisés à droite et à gauche et, du coup, le risque que le résultat soit trop artificiel pour être crédible et efficace était bien réel. Pourtant, la mayonnaise prend, et de manière plutôt brillante. Car le casting n’a pas été fait au hasard : la prédilection pour le rap hardcore et l’amour des productions explosives servent de socle commun à une ribambelle de MCs bien décidés à en découdre. Ça menace, ça invective et ça rappe plutôt bien sur des productions soignées : tant mieux, on en attendait pas moins.

Au milieu de tant de pointures, un MC moyen ou peu motivé se ferait immédiatement repérer. Du coup, tout le monde se donne à fond, même ceux pour qui le projet devait constituer une moindre priorité. On appréciera la complémentarité de l’ensemble : l’équilibre est respecté entre les gueulards (Celph Titled, Chief Kamachi et Vinnie Paz) et les « techniques » (Apathy, Reef the Lost Cauze et Crypt the Warchild notamment). King Syze, Planetary et Faez One paraissent un peu en dessous. À l’inverse, Celph Titled et Apathy éclipsent littéralement leurs collègues à chacune de leurs apparitions, notamment sur le posse cut ‘Battle Cry’. On regrettera par ailleurs que l’excellent Reef the Lost Cauze n’apparaisse que sur deux titres.

Tant de monde sur une même galette, ça restreint d’emblée les possibilités de faire des morceaux à thème. D’autant que, hormis Apathy, aucun des autoproclamés « Kings ot the muthafuckin’ Underground » n’est connu pour avoir des textes particulièrement élaborés. C’est donc, sans surprise, à une violente avalanche d’egotrips sanglants et de punchlines à laquelle on assiste :

« I put you up on the IV, not the Roman Numeral 4,
But the IV that leads to the funeral floor,
Wax gets melted; breaks bones, fractures pelvics,
Speeds through space and cracks blast Astronaut helmets,
Face it, motherfucker I can pay to get rid of you,
I’ve got more heads in the hood than Pagan rituals,
A new tyrannical force for you to fear,
Known to kill and keep human ears as souvenirs,
A shape shifter face slitter, paper getter,
Tape your sister, rape your sister,
Make your sister take it in the face,
And if you’re facing us, block off a 30 block radius,
I throw more blows than boxing Dr. Octavius » (Apathy)

« I make the most gangsta niggaz hit the concrete,
Start snitchin’, pointin’ finger,
Like they’re on Wall Street » (Planetary)

« We some hardcore crooks, drinkin’ rubbing alcohol,
Never use a rubber at all, we fuckin’ bitches raw,
Chokin’ up your faculty, turn your whole « gang green »,
Unload the magazine to your knees, give you a gangsta lean,
Military minded, on the A-Train with a deranged brain,
I was buildin’ the walls of hell way before the flames came » (Celph Titled)

Même si la majorité des intervenants approche doucement de la trentaine, on constate avec plaisir que la rage et la grinta sont toujours là, débordant même sur ‘Into the Arms of an Angel’, piste pourtant dévolue à l’introspection et à la retenue : « I’ll see you on the street, dog, we gonna handle it, One on one, beat you down and then hug you, Tell you I love you, daddy, but now, fuck you » (Vinnie Paz).

Les grandes réussites de l’album demeurent les morceaux bénéficiant des productions les plus soignées : le faussement tranquille ‘Narrow Grave’, le tonitruant ‘Feast of Wolves’ et le va-t’en-guerre ‘Henry the 8th’. Quant à ‘Battle Cry’, morceau d’introduction , il remplit parfaitement son rôle de passage en revue des troupes, malgré une boucle un peu grillée. Dans l’ensemble, l’univers musical proposé par les producteurs se rapproche sensiblement de celui de Jedi Mind Tricks, à grand renfort de violons menaçants et de breaks de batterie puissants. Quand les instrus prennent un aspect moins conventionnel, la qualité des titres baisse indéniablement (‘Gorillas’, ‘Listen Up’, ‘Pull the Pins Out’).

Au final, l’AOTP ne nous déçoit pas (loin s’en faut), même si elle ne nous surprend pas non plus. La volonté affichée de remettre au goût du jour le son new-yorkais du milieu des années 90 est parfaitement concrétisée. Celle de nous rappeler à la bonne époque des « super crews » (Wu-Tang Clan, Boot Camp Click, DITC ou même le Juice Crew) également. Il manque toutefois LE morceau qui aurait permis à l’album de passer à la postérité, mettant d’accord toutes les franges d’amoureux de la musique Hip-Hop, en transgressant les codes propres à chaque ramification de celle-ci. En prenant le parti de se limiter à un rap pur et dur, l’AOTP se prive de chasser sur des terres qui ne sont pas les siennes, et se contente de prêcher des convertis. Ces derniers seront toutefois ravis : The Torture Papers n’aura pas été une énième arlésienne dans l’histoire du Hip-Hop. La galette est bel et bien là, enfin, et elle est excellente, donc ne boudons pas notre plaisir.

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