Chronique

Gang Starr
One of the Best Yet

TTT & Gang Starr Entreprises - 2019

Disque hologramme, One of the Best Yet fait vivre le son Gang Starr en 2019 et réaffirme le groupe de Premier & Guru comme l’un des plus grands de l’histoire.

Image en Une : Victor Llorente

Les gardiens du temple, c’est cette impression que le duo Gang Starr avait laissé avec son dernier disque. The Ownerz était la cinquième pièce d’une lignée impeccable d’albums ayant marqué au fer rouge le rap new-yorkais des années 90 : Step In The Arena en 1991, Daily Operation en 1992, Hard To Earn en 1994 et Moment Of Truth en 1998. « Les Tauliers » était donc un sobriquet justifié en 2003, il y a déjà seize ans de cela. Paradoxalement le groupe ne connaissait cette fois qu’une semi-réussite commerciale et critique. Un nouveau souffle et de nouvelles têtes apparaissaient alors et les canons de « Who Got Gunz », même s’ils étaient diablement efficaces, pouvaient sonner datés face aux nouveaux modèles de l’époque. Les productions plus synthétiques de Timbaland, Swizz Beatz et des Neptunes avaient entre temps apporté une fraîcheur inédite et séduisante. La machine Aftermath, avec Eminem puis 50 Cent, était aussi passée par là. En comparaison, les compositions plus classiques et boom-bap du duo de Guru et DJ Premier avaient pris un petit coup de vieux. Pourtant, des missives de Keith Edward Elam sur un « Peace of Mine » rageur au sample de trompettes mélangé aux bruits d’enfants sur le bienveillant « Riot Akt », en passant par le flow laidback de Snoop coupant brillamment une certaine rugosité new-yorkaise sur « In This Life » : tout trouvait sa place sur ce disque, souvent désigné comme le chant du cygne de Gang Starr.

En 2008, l’Abcdr du Son concluait sa rétrospective des albums du duo sur une question restée sans réponse : comment Guru a-t-il pu délaisser une légende vivante comme DJ Premier pour reconstituer un duo avec Solar, cet obscur producteur de troisième zone ? C’était sans savoir que deux ans plus tard, le MC allait décéder d’un cancer, et laisser cette question encore plus trouble. Les rumeurs autour de la mort de Guru allaient s’épaissir et rester dans un nébuleux embrouillamini, l’éloignant même de DJ Premier et laissant l’héritage de Gang Starr en suspens. Très peu d’indices apparaissaient au milieu de cette confusion et, le temps faisant son effet, plus personne n’attendait un album posthume de Gang Starr en 2019. Jusqu’à ce que Preemo sorte de ce mutisme autour du groupe avec un tweet intriguant. « I wonder what people would say if i released a new… » Il n’en fallait pas plus pour allumer le feu. Quelques jours après, des posts Instagram dévoileront un premier single « Family and Loyalty » en compagnie de J. Cole, puis l’album inespéré. Après une lourde bataille juridique pour savoir le fin mot de l’histoire et récupérer les droits et l’héritage de Gang Starr, One of The Best Yet en sera le nouvel album.

Comme The Ownerz en 2003, One of The Best Yet est un anachronisme, un disque qui n’a pas grand-chose à voir avec son temps. Sauf que cette fois-ci, c’est l’effet inverse qui se produit. Quand son prédécesseur était critiqué pour son aspect conservateur, One of The Best Yet arrive un peu comme une bouée de sauvetage en pleine mer. Une grosse madeleine de Proust dans laquelle les fidèles vont mordre à pleines dents. Il est difficile de dire si la proposition musicale qui reste la même depuis 1991, séduira le jeune public d’aujourd’hui. Le disque proposé par Chris Martin – le nom de DJ Premier au civil – est dans les règles de l’art, comme il était conçu dans la décennie 90. Un micro Shure et une platine Technics mis sur un piédestal, une photo encadrée du groupe sous les projecteurs : le décor est planté, cette nouvelle œuvre aurait presque sa place dans un musée. Elle a ce côté conservateur qu’ont les artisans qui maîtrisent leur art : faire les choses bien et les inscrire dans une tradition. Des termes qui peuvent sonner péjoratifs mais qui retrouvent leurs lettres de noblesse tout au long de cet album.

« Le disque proposé par DJ Premier est conçu dans les règles de l’art de la décennie 90 : un micro Shure et une platine Technics mis sur un piédestal. »

De « Lights Out », bal d’ouverture rugueux avec les braillards de M.O.P et une sentence exquise de Lil Fame (« A wise man once said : Fuck what a wise man said ») à « Bless The Mic », final solennel empreint de cordes et de cuivres, les seize titres remplissent avec succès leur mission : faire revivre l’héritage du duo et la voix si spécifique de Guru le temps de trente-sept minutes. « Family and Loyalty » oblige, le noyau dur de la Gang Starr Foundation s’éparpille sur la tracklist. Melachi the Nutcracker et la voix nasillarde de Lil Dap de Group Home épaulent Royce Da 5’9’’ sur « What’s Real », Jeru The Damaja revient causer étoiles et cosmos sur « From a Distance », Freddie Foxxx et Big Shug en vétérans-forces tranquilles livrent la quatrième partie de « The Militia ». Pour le reste, Q-Tip se fend d’un refrain d’exception tout en onomatopées sur le descriptif « Hit Man », Talib Kweli se fait un honneur de poser sur « Business or Art ». Enfin « Get Together » est une tradition dans la tradition : en conviant le chanteur Ne-Yo et surtout la talentueuse rappeuse Nitty Scott, Guru et Preemo servent un jam dans l’esprit des « Ex Girl to Next Girl », « She Knowz What She Wantz » ou « Nice Girl, Wrong Place ». En faisant la fine bouche, le vrai seul point faible de cet opus est de ne pas avoir de morceau à la hauteur des plus grands story-tellings de Gang Starr. Pas de titre équivalent à un « Just to Get a Rep », de « Code of The Streets » ou de « Betrayal ».

Mais la force de One of the Best Yet réside ailleurs. Basés sur l’ego trip et la chasse aux wack MCs, les messages derrière les raps de Guru résonnent avec une actualité où la course aux nombre de vues est devenue l’atout de vente majeur des nouveaux rappeurs. Particulièrement sur « Bad Name » ou « So Many Rappers », le fantôme de Keith Elam revient, sinon régler des comptes, faire un voyage hors-corps et constater quelques évidences, entre voyeurisme médiatique (« Beef is what’s up now, careers are gettin’ shut down. The media wants something meaty, people are fuckin’ greedy ») et manque de consistance artistique (« So many rappers in search of fame and most’ll be lucky if we remember their names »).

Un fantôme dans la machine dont la voix d’outre-tombe, guidée par Preemo, fait mouche. Beaucoup plus qu’en 2003. Pourtant le discours n’a pas bougé d’un iota. Les saisons, elles, si. One Of The Best Yet est beaucoup plus qu’un disque de chanteur mort venu aligner les zéros derrière les comptes chèques de la maison de disques. Guru y renaît de ses cendres comme un Phénix encore plus fort, grimé en Père Fouettard par Preemo qui, quant à lui, encaisse les honneurs de livrer une prestation toujours impeccable. Le fruit du labeur. « One of the best yet », Gang Starr le confirme et le réaffirme : il est bien l’un d’un des meilleurs groupes de l’histoire du rap.

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1 commentaire

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  • Prout,

    Mais vous réalisez que Guru est mort depuis presque 10 piges ?… À quand l’hologramme Gangstarr pendant qu’on y est ??!!!