Classique

Gang Starr
Daily Operation

Chrysalis/EMI - 1992

Daily Operation, c’est d’abord la seule pochette d’album du groupe qui semble marquer un déséquilibre entre ses deux membres. Sur toutes les autres, Guru et Premier posent plus ou moins à égalité ; ici, le premier envahit le premier plan comme s’il voulait éclipser le second. Peine perdue, car paradoxalement le regard préfère s’attarder sur son compère, à l’arrière-plan mais au centre de l’image, fumant sereinement le cigare les yeux sur sa platine, et portant un T-Shirt sur lequel on croit deviner la figure de Mohammed Ali. C’est aussi la pochette la plus réussie, pleine de signes et de détails : bien sûr l’immense portrait de Malcolm X au mur, mais aussi des livres un peu partout (on aperçoit le Message to the Blackman in America de Elijah Muhammad posé devant une machine à écrire, auquel fait écho un passage de ‘2 Deep’ faisant référence à la Nation of Islam et aux 5 Percenters), un globe terrestre et un crâne shakespearien au fond, sans oublier de gros liasses de pognon débordant d’une valise, parce qu’il faut bien vivre. Pour emballer le tout, le morceau ‘Conspiracy’, pas toujours très subtil certes, mais qui aurait mérité d’être casé dans la bande originale de la quatrième saison de The Wire : « The educational system presumes you to fail, the next place is the corner then after that jail… ».

« Gang Starr’s known to be prone to be masters of streetwise poetry and turntable wizardry… ». Les débats vont bon train pour déterminer si Daily Operation est légèrement meilleur ou légèrement moins bon que Step in the Arena. C’est en tout cas avec cet album que le duo s’impose pour de bon, tant la complémentarité du rappeur et du producteur crève les yeux, ou les oreilles. Il faut dire que DJ Premier fait preuve d’un sens de la boucle jazz absolument imparable, et que de façon générale il excelle dans la combinaison du sample et du scratch. Pour le premier versant, Daily Operation fait défiler un wagon de références prestigieuses : Charles Mingus, Aretha Franklin, Eddie Harris, les J.B.’s, Cannonball Adderley… Pour le second, on reconnaît entre autres les voix de KRS One, MC Lyte, les Jungle Brothers ou MC Shan. Traçant le sillon qui fera sa légende, le producteur alterne avec une maîtrise irrésistible le rugueux et le rutilant, en s’amusant manifestement à faire débouler sans prévenir des gros cuivres, à la façon de ‘Ex-Girl to Next Girl’ placé juste après deux instrus plutôt secs, ou de l’interlude ’24-7/365’, capable de réveiller les plus assoupis.

Si tout ici sonne « classique », c’est que le groupe ne se contente pas d’enchaîner des morceaux très bons mais invariablement conçus sur le même modèle ; il s’efforce de sortir des sentiers battus par petites touches discrètes, mais cruciales. Sur ‘I’m the Man’, dominé par la performance finale du nouveau venu Jeru the Damaja (nous sommes en 1992…), chaque rappeur pose sur un sample différent. Plus loin, DJ Premier truffe ‘The Hardcore Composer’ de multiples fragments et éclats sonores, tandis qu’il donne au refrain de ‘2 Deep’ une dimension littéralement liquide (une expérience d’ailleurs assez inhabituelle). ‘Soliloquy of Chaos’, l’un des meilleurs morceaux, est quant à lui composé de deux couplets de longueur inégale et fait l’économie d’un refrain pour faire ressortir la gravité du morceau : sur une boucle superbe de Ahmad Jamal, Guru relate un concert qui tourne à la violence stérile.

Assurant un bon équilibre entre l’egotrip et la conscientisation (avec quand même un gros avantage pour le premier aspect), posant avec une des dictions les plus claires qui soit, Guru est d’ailleurs ici plus que convaincant quel que soit le sujet. Des sujets qui sont relativement variés mais surtout archi-classiques : hommage à Brooklyn (terre d’adoption des deux hommes, l’un étant de Boston et l’autre de Houston), amitiés ou histoires de cul qui tournent mal (les affres du show-biz…), ivresses « coupables » pour la picole et la fume, sans compter la mise au pilori des wacks MC’s. Si Guru n’a pas une palette exceptionnellement large, il exécute parfaitement ce qu’il sait faire, et s’autorise même un exercice de style final sur le son haché de ‘Stay Tuned’. « So Premier drops beats, for me to say verses to… » : c’est vrai que dit comme ça, ça a l’air si simple…

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