Chronique

Dungeon Family
Even in Darkness

Arista - 2001

Amitié, business et musique peuvent-ils cohabiter ? Il faut croire que oui. Preuve en est la Dungeon Family. Avec pour pierre angulaire OutKast et Goodie Mob, le crew réunit une bande de potes, tous originaires d’East Point, Atlanta. Si le duo Dre/Big Boi a vite connu le succès, les autres membres de la famille étaient jusqu’alors restés dans l’ombre du groupe, mais toujours présent sur les albums familiaux. Récemment, OutKast a d’ailleurs crée son propre label, Aquemini Records, dont les premières signatures sont Slimm Calhoun (« The skinny ») et Killer Mike.

A l’écoute de Even in Darkness, disque commun réunissant 14 artistes, il est clair que l’on assiste pas à une collaboration de circonstance. Cee-Lo, Big Rube, Sleepy, Ray, Rico, Mr DF, Gipp, Khujo, Backbone, T-Mo, Witchdoctor et Freddie Calhoun s’associent parfaitement à OutKast, sans qu’un artiste ne tire la couverture à lui. Certes, le duo est reconnaissable à chaque apparition, et la voix de Cee-Lo hypnotise dès l’ouverture de ‘Crooked Booty’ ( « I am puttin poetry into motion my addiction is overdosing on a natural high / Supplyin the soul with that unmistakinable mystical magical feelin that your money can’t buy« ), mais Even in Darkness est un véritable album, dense et sans temps mort.

Une fois de plus, l’imparable originalité du rap d’ATL fonctionne à merveille. L’énergie et la simplicité des instrus alliée à la puissance des refrains donnent à l’album une efficacité particulièrement jouissive : impossible de rester de marbre devant ‘Follow the light’, ‘Trans DF express’ et ‘6 minutes’, titres frais et légers qui ont la faculté rare de donner la pêche. Les instrus, toujours concoctées par Earthtone 3 et Organized Noize, restent dans la veine des sons de « Stankonia » : des beats lourds, des compositions entêtantes, et des samples parfois incongrus (dans ‘White Gutz’, on reconnaît la fameuse boucle utilisée dans ‘Too Late’ de Reflection Eternal, et dans ‘Riding in circles’ de APC).

Comme souvent dans les albums d’OutKast, c’est quand ils s’éloignent du rap « traditionnel » que les artistes de la Dungeon Family expriment pleinement leur différence et leur talent : les instrumentaux de ‘Excalibur’ rappellent les éclairs de génie qu’on trouvait dans Aquemini, avec un Cee-Lo qui s’affirme désormais comme un artiste majeur et unique, au moment de la sortie de son premier album solo. Mais LE chef d’œuvre de l’album est sans conteste ‘Rollin’’, bijou soul et langoureux porté par les chœurs déchirants de Sleepy Brown, Andre 3000 et Goodie Mob.

Dans son bouillonnement créatif, la famille du donjon se laisse parfois aller dans des prises de risque géniales ou insupportables, c’est selon. Les constructions baroques à la ‘BOB’ sont toujours présentes dans Even in darkness, et un auditoire bercé au rap académique peut vite saturer à l’écoute du beat tribal de ‘Crooked Booty’, du patchwork sonore de ‘On & on & on’ ou du bordel ambiant de ‘Emergency’. Mais par surprise, d’autres morceaux brillent par leur minimalisme, comme l’excellent ‘Forever pimpin’’, porté par une simple boucle de violons sacadée sur la rythmique.

L’empreinte d’OutKast plane sur Even in Darkness, on peut donc regretter le temps des samples reposants et des atmosphères envoûtantes qui planaient sur leurs anciens albums, bien que ‘Excalibur’ et ‘Rollin’’ s’inscrivent encore dans cette démarche. Mais il faut vivre avec son temps, et la Dungeon Family a eu la capacité de réussir son passage dans « l’ère électronique » sans diluer sa singularité. Marqué par des moments grandioses et des instants plus anecdotiques, Even in darkness n’est sans doute pas un album majeur, mais il s’écoute avec un réel bonheur, et se bonifie au fil des écoutes. C’est déjà beaucoup.

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