Chronique

mysa
Enfermé dehors, jamais libre

Basik Arts / VRP Raptivist - 2009

1999 : Koma sort Le réveil, album à mi-chemin entre espoir d’un monde meilleur, code moral et réalité désabusée. Dix ans plus tard, Mysa balance Enfermé dehors, jamais libre en urgence et en téléchargement gratuit, avec une seule envie : rembobiner la K7 des années 2000, ou encore mieux, que le magnétoscope bouffe la bande si possible. Cultiver le passé pour mieux secouer le présent en somme. Qui s’étonnera alors que Mysa « rappe pour les anciens » et transforme le réveil en lutte contre l’endormissement ?

Il faut dire qu’en dix ans, les choses ont eu le temps de se mouvoir, le rap avec. Si aujourd’hui Koma « mise son RMI sur un cheval« , Mysa a repris le flambeau de son ainé en prenant soin de le plonger dans le brasero du XXIème siècle. Dans les attaques et appuis, sa voix et son flow rappellent d’ailleurs le bras droit de Befa. Sa démarche aussi, tant les thèmes, la notion de droiture, et  même parfois les titres de ses chansons semblent la continuité de ce que Koma balançait au micro, les crispations du millénaire 2.0 en plus. La production également, a parfois les relents des samples du Réveil. Bien sûr, aussi bons soient-ils, Jamal n’est pas Logilo et Al’Tarba n’est pas (encore) Yvan. Mais il n’empêche qu’à l’exception de quelques titres aux couleurs assez sombres (l’excellent ‘Sous la pluie’ ou encore ‘On ne sait rien’) et de caisses bien moins explosives, boucles chaudes et voix pitchées bien senties sont de mises.

Plus qu’être de ceux qui n’oublient pas, Mysa est donc de ceux qui ont du mal à vivre avec leur époque. Citant tantôt Black Moon, tantôt JMDee, il raconte la solitude et l’abandon de sa région, celle loin des rêves « où Patricia Kaas chante le blues ». Il le fait parfois en tabassant le beat, parfois en s’y coulant avec nonchalance, et de temps en temps surprend en ayant comme seul accompagnateur  des arpèges de guitare acoustique. En tout cas, ses causes, Mysa les déclame toujours sans jamais perdre son ton, celui du type « que plus rien n’étonne » comme dirait son voisin Taipan. Campé sur une posture dédiée aux stigmatisés et à ceux que désormais on ne manipulera plus, il dénonce « les rappeurs malades dans le coeur » qui,  à « vouloir être la star dans leur ville, dans leur pays, puis enfin marcher sur les autres », reproduisent les schémas des puissants . Car pour le MC tout est lié. Et c’est là qu’Enfermé dehors, jamais libre se distingue de son aîné de dix ans. Il est une arme de guerre, et ici, la guerre est totale.

Du coup Mysa s’improvise « Ayatollah Barberousse« , se mandate pour partir à l’abordage des valeurs de l’ennemi et couler son navire amiral. Il ne veut pas de traîtres dans son camp et définit pendant 76 minutes contours et limites, parfois avec des concepts qui semblent tout droits sortis d’une boulimie Google. Son point de vue est pourtant clair : « Il parait qu’aux français on fait du mal mais du bien à l’audimat« . Mysa navigue dans un environnement où l’ennui est si pérenne qu’il en devient destructeur, où les parcours de vie se résument à « des traces de pieds le long des murs ». Enfermé dehors, jamais libre est le rap de « ceux qui ont les muscles rouillés sous les capuches mouillés« , qui cogitent en voyant les meilleurs d’entre eux quitter le terrain en prenant les jambes à leur cou pour aller « signer chez Danone ou Générali« . Derrière de subtils glissements de champs lexicaux en guise de rimes, Mysa étale ses lubies, des Illuminatis à la place de Dieu, du groupe à l’individu, quitte à jouer au funambuliste avec sa rhétorique. Reste à l’auditeur de choisir de quel côté du fil se situe le gouffre.

En état d’alerte, en plan ORSEC, en maquisard qui sort de sa tanière, souvent réac’ mais avec tout de même une dose d’onirisme contrairement à ce qu’il laisse croire (les très belles métaphores de certains refrains) c’est finalement ainsi que déboule Enfermé dehors, jamais libre. Mysa tire le signal d’alarme autant de fois qu’il droppe de pistes. Il fait dérailler le train des illusions en guise de grand sabotage final, histoire que toutes les têtes se tournent bien vers l’image émise par un magnétoscope qui déroule plus de dix ans d’histoires. Car entre vécu et conscience, proximité et globalisation, discours révolutionnaire et provocation sur fond de posture religieuse (pas sûr que convertir Pernault à l’Islam soit un mal pour un bien -à moins que ce soit l’inverse ?-, ni que vivre dans « la peur du jugement » soit un devoir très épanouissant), c’est bien d’histoires qu’il s’agit ici. Celles que Mysa voit au quotidien, mais aussi celles qu’il se fait en lisant l’Histoire comme une grande liste, tirant des traits entre les événements, parfois avec justesse, parfois à la va-vite. Certains appelleront ça des raccourcis fumants. D’autres y verront de la clairvoyance, du genre de celle qui fait que bientôt « même Dieudo’ n’osera plus le fréquenter« . Une chose est sûre, si le Messin manie des notions à des fins qui semblent souvent vengeresses, il ne joue pas au messie. Et il est sûrement trop tard pour être prophète. Il ne lui reste plus que cet aveu, en forme de mission : « j’aime aider les personnes en dérive, les gamins en péril« . A se demander si il n’a pas inclus le rap français dans le lot.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*