Chronique

Bubba Sparxxx
Deliverance

Interscope / Beat Club Records - 2003

2001. Dans un des labels satellites d’Interscope, un rappeur blanc confidentiel appose son nom en bas d’un contrat proposé par un producteur noir de génie. La situation a un air de déjà-vu. Du côté de Detroit, il est arrivé à peu près la même histoire avec un certain Marshall Mathers deux années plus tôt. On connaît la suite. Mais pour Bubba Sparxxx, blanc-bec joufflu sorti tout droit de LaGrange, Géorgie, le parrainage de Timbaland sur son label Beat Club ne suffira pas à baliser une route de la renommée qui lui paraissait pourtant toute tracée. Après le succès d »Ugly’, et son fameux clip qui transférait dans la campagne tous les clichés de la vidéo hip hop, et malgré l’arrivée en force de quelques « country boys » sur le marché (Nelly, Nappy Roots), le premier album de Bubba, Dark days, bright nights, disparaît dans les méandres du Billboard, et le protégé de Tim Mosley se retrouve vite affublé de l’étiquette de « one hit wonder« , énième étoile filante aperçue dans le paysage du rap.

Mais Bubba Sparxxx mérite une deuxième chance. Pour sa défense, on notera sa présence en tant que seul invité de l’album collectif de la Dungeon Family, Even in darkness, dans lequel on pouvait entendre Wicthdoctor lancer cette rime pas tout à fait anodine : « Rap is from the center where only the tighest white boys can enter« . A l’heure où sort Deliverance, il est donc temps d’oublier cette vision caricaturale et boueuse de Bubba Sparxxx, même si le maxi annonciateur de ce deuxième album en remettait une couche -c’est le cas de le dire- avec son titre évocateur : ‘In da Mud’, parodie déjantée et plutôt amusante du mémorable tube de 50 Cent.

Ouvert par un poème de Big Rube, membre de la DF, l’album est d’une qualité aussi impressionnante qu’inattendue. Pendant la première partie de l’album, Le combo Bubba/Timbo fait des merveilles. L’immense Producteur, littéralement possédé, s’attaque à un genre musical que l’on croirait difficilement superposable au rap : la country. Passée la surprise de départ, suivie d’un léger sourire moqueur, on tend l’oreille et écarquille les yeux. Il faut l’entendre pour le croire : le résultat est tout bonnement jubilatoire. A l’écoute de ‘Jimmy Mathis’ et surtout ‘Comin’ Round’, on croit assister au kidnapping d’un redneck par un extra-terrestre. Et en terme de qualité, on est plus proche de ‘Rencontre du 3e type’ que d’un remake américain de ‘La Soupe aux choux’. Une fois n’est pas coutume, en prenant appui sur des boucles de violon, de banjo et d’harmonica, Timbo compose des productions moins déstructurées que dans ses travaux plus visionnaires, mais démontre une malice et une maîtrise sidérante dans le choix et l’agencement des kits de batteries, triturés, beat-boxés, grouillants de breakbeats ou de percussions tribales, body-buildées à coup de basses futuristes. Magistral. La suite ne fait que confirmer ce sentiment. Dans un registre plus introspectif, « Bubba K » évoque la rupture amoureuse dans ‘She tried’ (« It’s been six months and still no word / I try to carry on like it still don’t hurt / Hoes come around but I still won’t flirt / Drinking’s worse and the pills don’t work« ), avec un refrain désespéré qui répond aux guitares et violons crépusculaires de l’instru. Mais le coup de grâce n’est pas encore arrivé. Une plage plus loin, le sommet est atteint avec ‘Nowhere’. Sur une structure rythmique similaire à celle de ‘Cry me a river’, Bubba continue de méditer sur son parcours, ses erreurs et ses responsabilités, pendant que Timbaland quitte son habit de beatmaker pour celui de chef d’orchestre. Il assemble d’une main de maître une orchestration riche en violons et en guitare électrique, très émouvante, et éclairée par un refrain d’une tristesse désarmante : « I know what it’s like to be nowhere« , entonné par Kiley Dean, nouvelle recrue R’n’B de Beat Club. Plus tard, lors du morceau éponyme, le hit en puissance ‘Deliverance’, on en viendra à se demander comment le Pygmalion de Missy Elliott est parvenu à sublimer ses pulsions électroniques pour les fondre dans le terreau de la musique américaine. Ces créations exceptionnelles viennent nous rappeler qu’avant d’être un faiseur de tubes, Tim Mosley est surtout un explorateur génial, un savant fou, et une énigme permanente.

Après une moitié d’album haute en couleur, on commence à croire que Bubba va se réfugier dans le confort douillet d’un agréable album de country-rap qui pourra ratisser large, de Brooklyn jusqu’au fin fond du Nevada. C’est le moment que choisit Warren Anderson Mathis, fils de Jimmy, pour faire volte face. Les cuivres titubant de ‘Overcome’, tout d’abord, redonnent de l’élan au disque pendant que Bubba se fait chef de file de ce qu’il appelle le « New South ». Puis Bubba et Timbaland se retrouvent sur la corde raide, le temps d’un titre particulièrement ambitieux, ‘Warrant’, exercice de style électro-symphonique périlleux, dont ils se sortent plutôt bien malgré la présence obsédante d’un charley ouvert assez agaçant.

Plus nerveuse et électrique, avec un retour de productions typiques de Timbaland (‘Take a load off’, ‘My tone’), la suite est de facture plus classique, notamment quand l’ami Justin Timberlake s’invite sur un ‘Hootnanny’ un tantinet prévisible. C’est alors que Bubba a la bonne idée de faire à nouveau équipe avec le trio d’Organized Noize, qui lui apporte la touche de folie propre aux albums d’OutKast : trompettes et beat poussiéreux à la ‘So fresh so clean’ dans ‘Like it or not’, délire à grande vitesse façon ‘B.O.B.’ (‘Back in the mud’, excellent), le tout permettant à Bubba Sparxxx de s’émanciper de la tutelle de Timbo King pour s’aventurer dans un terrain que l’on croyait réservé à Big Boi et Andre 3000. Sans atteindre le degré de réussite de ses prestigieux aînés, notamment à cause d’un timbre de voix trop monolithique, le seul rappeur US à porter du Lacoste s’en sort avec les honneurs, et donne à l’album une tonalité plus éclectique. Dommage que la séparation entre les sons « country » et le reste soit si flagrante, le disque perd en densité sur la fin tant la première partie marque les esprits.

Si le Hip-Hop consiste à puiser dans ses racines et son environnement pour se surpasser, alors Bubba Sparxxx est un pur B-Boy. N’en déplaise à ceux qui ne voient en lui qu’un Eminem du pauvre ou un paysan marketé. Formidablement mis sur orbite par un Timbaland all over the place, surprenant d’aisance sur les instrus escarpées d’Organized Noize, l’enfant de LaGrange livre un disque décomplexé et audacieux. Warren Mathis, en pleine possession de ses moyens, prouve que « rural » ne rime pas toujours avec « caricatural » avec un deuxième album dont le nom, Deliverance, résume exactement la teneur. Faisant suite aux sorties récentes de Field Mob et OutKast, le « sophomore album » de Bubba Sparxxx est une excellente surprise, qui témoigne encore une fois du caractère atypique et fascinant du rap issu des alentours d’Atlanta.

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