Chronique

Illogic
Celestial Clockwork

Weightless Recordings / 2Good - 2004

Avant le rappeur Illogic, auteur de cet album, il faut louer le travail de Blueprint. Le producteur, en cheville avec Illogic sur tout le disque (production, enregistrement et mixage), déploie une musicalité dont la cible semble être double. Car sans oublier que le premier auditeur reste vous et moi (c’est ici déjà que se situe une partie de son talent), Blueprint paraît réfléchir et concevoir ses instrumentaux la tête un peu ailleurs, dans les étoiles, avec pour intention secondaire de communiquer avec d’hypothétiques vies extraterrestres.

Là où il y a communication, il y a langage et le langage musical délivré par Blueprint est parfaitement clair, il effectue une concaténation de signaux sonores (musicaux ou non) comme autant de procédures d’appel tâtonnantes, énoncés regorgeants de références musicales témoignages d’un siècle (le XXème) passé sur la terre. De ce point de vue il y a bien comme expliqué dans l »Intro’ certains « moments while you realize nothing will ever be the same and time is divided into to parts, before this and after this ». Et si l’horloge (« Celestial Clockwork ») est au centre de l’album certainement est-ce pour enfoncer le clou d’un temps (moderne) musical résolument nouveau, d’une page tournée. Voici révélé au grand jour le généreux horizon sonore d’un producteur de rap au balbutiement du XXIème siècle et sa double préoccupation d’ouverture vers l’Autre, terrestre et extra.

La description d’une telle démarche pourrait se résumer à l’étude d’un titre comme ‘Hollow Shell (Cash Clutch)’, synthèse pédagogique (car compartimentée) de la rhétorique « Blueprintienne ». Une première grosse moitié de morceau avant-gardiste fourmillant de sonorités distendues, déformées, travaillées à la machine et une seconde partie dans laquelle jaillissent les notes folles mais « anciennes » d’un saxophone débridé. Il semble de façon probante que cet ensemble rassemblant passé et présent ait pour ambition de questionner un possible ailleurs. Pour autant il faut mettre un bémol quant au fait que ce morceau porte seul le statut de représentant de l’album. En effet son inconfort sonore l’éloigne un peu de l’auditeur pieds sur terre. Ce qui n’est absolument pas le cas du reste du disque où samples de pop-rock (The Beatles), piano (‘I Wish He Would Make Me’), chants religieux (‘I Wish He Would Make Me’), échos résonnant dans des proportions galactiques (‘Celestial Clockwork’) ou encore cris de dauphins suramplifiés et déformés (‘Time Capsule’) se télescopent plus harmonieusement sous le signe de beats sans arrêt martelés. Autre singularité : laisser tourner les vinyles en rond sur la platine en fin ou début de morceaux (‘Stand’, etc). Donner à entendre ce bruit de crachotement si caractéristique glisse, après la musique elle-même, l’un des instrument révolutionnaire du siècle inventé pour (entre autre) la lire, dans la conversation musicale de l’album. C’est donc discrètement, faussement distraitement, que Blueprint convoque la platine dans un album qui ne compte curieusement pas ou peu de scratchs.

Anecdotique cette pochette (signée Jake Keeler) qui recycle les motifs de la roue et du rouage sur le mode cubiste en n’omettant pas d’y inclure la représentation fugace d’un peu d’humain ? 

Evidemment non. Le contraste saisissant est aussi là, dans la musique, au sein de l’éventail des productions futuristes de Blueprint et de l’humanité dont fait preuve Illogic au microphone. Il y a tout d’abord l’organe vocal, la bouche. C’est évidemment avec celui-ci, en temps que rappeur, qu’Illogic s’exprime. Sa voix reste une valeur sûre en matière de communication, fusionnant sans problème avec les expériences spatiales de Blueprint comme en atteste un titre tel que ‘1000 Whispers’. Dans ce morceau il se livre à une véritable leçon de MCing dans un rapport de transfert novice/expert (« Hey watch the mouth, watch it »), se lançant dans une fantastique tirade en apnée non juvénile. Un morceau plus loin (‘Time Capsule’) Def Jux rend visite au binôme. A cela rien de vraiment surprenant. Aesop Rock essuie quelques périlleuses variations d’instru de la part de Blueprint et en sort tout à fait grandi.

Les histoires racontées par Illogic sont souvent issues d’expériences personnelles, des explications succinctes du rappeur à propos de celles-ci viennent agrémenter la pochette – cette attitude de plus en plus familière des artistes américains, confirmée il y a quelques années par le magazine The Source qui inventait la section « Rhyme & Reason » dans ses pages, ne révèle-t-elle pas un réel désir des rappeurs d’apporter un éclairage supplémentaire à leurs textes ? -. Exemple ces deux titres successifs ‘Lesson In Love’ et ‘First Trimester’ sur lesquels il faut absolument revenir et sur leur enchaînement en particulier. Nous passons avec la plus grande justesse, d’un coup brusque, du guilleret au sombre. Ce qui ressemblait à une terrible erreur de mixage il y a quelques mois dans le « Look Mom…No Hands » de Vast Aire prend ici la forme d’une excellente idée faisant nettement sentir à l’auditeur un basculement d’ambiance fort approprié à ce diptyque autobiographique.

On veut parler d’Illogic et sans arrêt on en revient à la production, c’est ainsi ! Voici éventuellement le « danger » pour un rappeur de sortir un album entièrement conçu par un unique producteur : que l’architecte sonore vole la vedette au rappeur. Ca n’est pas totalement le cas ici car si Blueprint est géant, Illogic est grand. N’évacuons toutefois pas trop vite l’hypothèse selon laquelle peu de rappeurs aujourd’hui choisissent cette option pour bâtir leur album simplement à cause de ce « risque ».

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