Chronique

Cage
Movies for the Blind

Eastern Conference Records - 2002

Personnage incontournable du rap underground US, Cage sort avec Movies for the Blind son premier album solo, une petite dizaine d’années après avoir démarré sa carrière. Rappel des faits : en 93, il se fait un nom en participant au LP de Pete Nice, Dust to Dust. Mais c’est quatre ans plus tard, lors de l’année 97, qu’il marquera définitivement les esprits avec le 12″ Agent Orange’/’Radiohead, un monument du hip-hop, sombre et violent à souhait. Par la suite, il maintiendra sa côte de popularité en formant le groupe Smut Peddlers avec les beaufs d’High&Mighty, et en sortant avec eux le LP Porn again. Il sera également le premier détracteur d’Eminem en le dissant à tort et à travers, l’accusant d’avoir pompé son concept. Dernière grande action en date, Cage est le fondateur du collectif Weathermen, super formation où il côtoie entre autres El P, Copywrite, Camu Tao, ou Vast Aire.

A la vue de ce parcours, on est donc en droit d’imaginer que Movies for the Blind, en plus de consacrer définitivement Cage, pourrait être le chef d’œuvre qui fait pour l’instant défaut à cette cuvée 2002, après les relatives défaillances d’El-P, de Non Phixion ou de Copywrite, notamment. Mais c’est oublier que comme le dernier cité, Cage est signé chez Eastern Conference Records, et qui dit E.C, dit Dj Mighty Mi sur au moins quelques prods, enfin juste suffisamment pour vous gâcher un album. On se demande même si c’est bien raisonnable de mettre le cd dans le lecteur, quand, après avoir parcouru le tracklisting en quête de réconfort, on découvre que celui-ci assure finalement une grande partie de la production musicale : laissons le mythe Cage intact et faisons l’impasse sur ce que celui-ci a fait récemment et ce qu’il fera. Et puis non, une curiosité naturelle l’emporte sur cette sage alternative.

A tort. Les craintes étaient fondées et cela va même plus loin : si l’album de Copywrite, The High Exhaulted, pêchait essentiellement par des prods faiblardes, la médiocrité de Movies for the Blind réside également dans la prestation d’un Cage loin d’être à son meilleur niveau : exit tous les stades de la frénésie déclinés dans les premiers maxis, Cage rappe souvent sans émotions, de façon quasi mécanique, comme s’il devait s’acquitter de sa tâche bon gré mal gré. Il y’a bien des passages où il retrouve son énergie (négative) d’antan, comme sur ‘The Soundtrack’ ou ‘Among the Sleep’, mais ceux-là apparaissent comme autant de récifs perdus au milieu d’un océan sans aucune vague…mais abritant tout de même deux îles paradisiaques, ou plutôt démoniaques dans le contexte…

La première est le classique cité plus haut : ‘Agent Orange’, le titre qui révéla Cage il y’a quelques années de ça. Produit par Necro, qui reprend habilement le thème principal du mythique Orange Mécanique, voilà un track à la violence jamais égalée : « I’m against the machine like rage, biches say « I hate you Cage », after circle jerks, I wash my hands off and do dirt, sick with a smirk, plus happy disturbed, fucked the first two biches like dogs, and I jacked off on the third« , « I write upon ya, divorce your head and neck then scalp it, rip off all your flesh and make a outfit« , « Agent Orange stompin on MC corpse limbs surf a body part, call murder scenes abstract art« . Le refrain scratché reprend une phrase du monologue du fils dans « Babycart », déjà entendue dans l’intro de Liquid Sword de GZA : « People say his brain was infected by devils« . Après écoute du track, on veut bien croire que ça s’applique pour Cage, et on se demande également qui fut assez inconscient, jadis, pour le laisser quitter l’hôpital psychiatrique dans lequel il était interné. En tout cas, comme le dit l’expression consacrée : « tout amateur de rap qui se respecte ne peut passer toute une vie sans avoir entendu ce morceau ».

Le second joyau, moins étincelant certes, n’est autre qu’ ‘Unlike Towers’, plus connu sous le nom de ‘Tower of Babble 2’. On y prend les mêmes que pour le premier épisode et on recommence : Cage, Eon et Copywrite au micro, Mighty Mi à la prod. Et à nouveau, ça fait mouche, Hi & Mighty sont presque bons, Cage et Copy diablement efficaces. Le refrain sentencieux promet de rester graver dans le cerveau pendant quelques temps, l’instru, à base de cuivre très lourds, confirme que Milo peut quand il veut.

C’est malheureusement pas le cas sur le reste de l’album, seule la prod de ‘The Soundtrack’ n’est pas soporifique, et a par ce biais le mérite de réveiller Cage. Même J-Zone, pourtant l’un des moins coutumier du fait à l’heure actuelle, se fend d’une prod insipide sur ‘Stoney Lodge’, où Cage nous raconte ses déboires en H.P. La prestation d’El-P à la MPC sur ‘Holding a Jar 2’ est également peu marquante. Seul RJD2 s’en tire correctement grâce aux tragiques violons de ‘Among the Sleep’. L’album s’achève avec ‘Girl Thingy, Money and War’, même pas si mal niveau emceeing, mais à l’instru désastreux.

Au niveau des lyrics, Cage fait du Cage pendant 58 minutes, ultra-violence, haine des wack mc’s, apologie des drogues, suicide et humour très noir sont au rendez vous, on ne change pas une recette qui gagne. On regrettera simplement, une fois n’est pas coutume, qu’il ait décidé de monopoliser le micro sur une très grande partie du disque, un peu de variété et de fraîcheur n’aurait pas fait de mal à l’ensemble, loin de là.

En conclusion, Movies for the Blind déçoit, c’est indéniable, et ce d’autant plus que la présence de titres parus antérieurement à l’album fait clairement apparaître un contraste entre le Cage d’aujourd’hui, qui semble un peu fatigué et désabusé, et celui d’antan, aussi cinglé que génial. La faiblesse des prods n’est probablement pas innocente dans cette impression de lassitude qu’offre le Mc, mais elle n’excuse pas tout. Bizarrement, après écoute attentive, on remarque que des titres comme ‘Stoney Lodge’ ou ‘Among the Sleep’, nous font découvrir un Cage torturé dans tous les sens du terme, et on finirait, même après avoir vu le clip ‘Bottom Feeders’ des Smut Peddlers et avoir écouté ‘Agent Orange’ en boucle, par le trouver attachant et (relativement) attendrissant. Pour que le mythe ne se ternisse pas, il est nécessaire que Cage se refasse vite, peut être à travers les projets des Weathermen, ou pourquoi pas, grâce à l’album conceptuel qu’il prépare en compagnie de Camu Tao, Nighthawks.

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