Chronique

Alias
The other side of the looking glass

Anticon - 2002

Excepté son propre reflet, que trouve-t-on de l’autre côté du miroir ? Lorsque l’on est face à nous-même, qui voyons-nous ? L’image que l’on a de nous n’est-elle qu’un vulgaire simulacre ? Derrière ces questions existentielles se cachent l’enjeu de The Other Side of the Looking Glass, dernier album en date d’Alias et de l’écurie Anticon. Si l’on se place devant un miroir, on voit son reflet, son paraître ; mais si l’on décide de regarder derrière ce mirroir, c’est face à son être inconscient que l’on est confronté. A l’aide de ces quelques effets, Alias (déjà auteur du EP Three Phase Irony en 2001) tente apparemment de jouer la carte de l’introspection sur ce premier LP, en nous prenant à parti et en nous confrontant au contenu de son esprit. Allons jeter un coup d’œil…

Dès l’intro (‘Begin’), on sait que le MC/producteur cherche à poser l’atmosphère d’un album qui sera plus qu’une simple accumulation de titres. Les premiers mots, aux accents prophétiques : « I’m composing the soundtrack to my life, putting myself out there for you » viennent d’emblée planter le décor et lever le voile sur les intentions de son auteur. Plus que cela, ils prennent l’auditeur à froid, et lui confère immédiatement un rôle prépondérant dans le but qu’Alias s’est fixé. A partir de là, ce même auditeur ne saurait se limiter à une écoute passive et se voit contraint d’assumer la tâche qui lui est impartie (imposée). Le refrain du premier morceau rappé, Jovial costume, est d’ailleurs on ne peut plus explicite quant aux attentions du poète : « I’m trying to prove a point to the walking dead and use my songs as smeilling salts to get inside your head. Self off some introspect. Welcome to my world of jesters, the aforementionned and lost intelect. Let’s play whose got it worst « . De cette façon, il déculpabilise l’auditeur qui pourrait éprouver un sentiment honteux de voyeurisme, en devançant ses craintes. En le mettant ainsi de son côté, Alias prend une sérieuse option quant au jugement que celui-ci aura de ses futurs propos, aussi étranges, malsains et inavouables soient-ils.

Bien que la trame de The Other Side of the Looking Glass reste la même tout le long de l’album, les productions sont des plus diverses. Basse lourde sur ‘Dying to stay’, envolées de violon sur les refrains de ‘Getting by (version2)’. Mais le questionnement introspectif, qui constitue le fil conducteur de l’album, demeure toujours le même : « Kicking myself. Standing on the edge with a dum look on snapping out of it asking , What are you doing ? », « What are you thinking ? », « Where are you going ? », « Why ?« . Le côté mystique de cet opus est renforcé par des productions diversifiées et très fournies, mais tournées vers ce seul et unique dessein : les percussions shamaniques de Arrival, le piano mélancolique de ‘Watching water’ (« Intake ambiance a tool for meditation.« ), le saxophone rêveur de ‘Ehren Whitney’ sur ‘Inspiration’s passing’ (produit par Mayonnaise), ou encore le beat complexe et déstructuré d’ ‘Opus ashamed’. Ce dernier se voit d’ailleurs gratifier de la présence d’un Dose One en pleine forme et qui vient redonner du tonus à un album, jusqu’ici limité au seul flow monocorde d’Alias. Sans être non plus exceptionnel, ce morceau s’avère être un des meilleurs moments de The Other Side of the Looking Glass et aura le mérite ‘d’atténuer’ l’espace de quelques minutes l’ambiance oppressante qui régnait jusque là.

La noirceur et l’atmosphère glauque de certains morceaux tels que ‘Black tea’ sont une parfaite illustration de l’état d’épanouissement dans lequel semble se trouver Alias, et les textes qui les accompagnent ne font que renforcer cette impression : « October : the time I hate the most. I feel so lonely on the 10th, more so than during the holiday season, or her birthday« . On peut au passage apprécier la description des relations sociales qu’entretient le MC avec ses amis : « My end of the conversation grows shorter everytime we get together. I look up to the overcast theater to search for topics to break this unconfortable silence« . Cependant, qui n’a jamais vécu de pareils instants ? Car bien plus que de nous étaler ses états d’âmes et d’oublier le sens du mot pudeur, ‘the godfather of Goth-Hop’ semble interpeller l’auditeur par le biais d’exemples concrets et parfaitement accaparables. Qui doit donc être le plus mal à l’aise : l’auteur assumant ces propos, ou celui qui continue de les écouter en raison d’une curiosité malsaine ou par simple appropriation ?

The Other Side of the Looking Glass pourrait être comparé à certains ouvrages autobiographiques littéraires tant l’importance accordée à la personne confrontée à l’œuvre est importante. Ce type de relation auteur/auditeur est assez rare (surtout en hip-hop) pour que l’on mérite d’y prêter attention. Alias se livre sans aucune retenue à la manière d’un Rousseau, à la seule différence qu’il ne semble aucunement se soucier du jugement que l’on portera à son égard…

Alors, finalement, que voit-on de l’autre côté de ce miroir ? Et bien un MC aux prestations certes moins connues et moins impressionnantes que celles d’un Dose One ou d’un Sole, mais qui n’en demeure pas moins un excellent producteur et un lyriciste hors-pair. Côté flow, ll est moins ‘atypique’ que ses compères, et celui-ci peut parfois (souvent ?) paraître monotone et lassant. Il a néanmoins le mérite d’être clamé sur des instrus de tout types, provenant de recoins où bien peu osent aller chercher leur inspiration. Comme à son habitude, il débite sa poésie sur des beats secs et des boucles apaisantes, parfois agrémentées d’effets de mastering tout aussi opportuns (‘Dying to stay’), que dispensables (sur sa voix, un peu à la manière d’un Aesop Rock).

Après Personal Journals de Sage Francis (sur lequel Alias produit ‘Message sent’), il semblerait que la mise à nue et la thérapie auditive soit devenue une mode chez Anticon. Sous forme de journal intime, Sage Francis avait voulu nous présenter son univers, en ayant qui plus est pris soin d’expliciter la genèse de chacun de ses morceaux, comme pour mieux nous faire pénétrer les méandres de son cerveau. Si l’Artiste tente par ces quelques titres de comprendre qui il est, nous, au final, qui somme nous : consommateur, auditeur, confident, ou thérapeute ? Car si lui a su trouver des réponses, nous restons quant à nous en plein doute… jusqu’au prochain album… peut-être…

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