Chronique

GrandMixer DXT and Bill Laswell
AFTERMATHematics instruMENTAL : Rhythm and Recurrence

Sub Rosa - 2004

De l’importance de quelques images et quelques sons. GrandMixer DST (rebaptisé DXT depuis), blouson en cuir blanc, lunettes noires et antenne sur la tête. Devant lui, la platine qu’il tripote et frôle de l’extrémité de ses doigts gantés, afin de créer ses scratchs. C’est ce son qui résonna comme un formidable appel chez un certain nombre de téléspectateurs épars sur le territoire américain, rivés devant leur poste de télévision pour observer la prestation d’Herbie Hancock aux Grammies cette nuit de l’année 1984. Quelques images et sons décisifs pour la vocation et le parcours de nombreux illustres DJs qui ont rendu en 2001 un hommage unanime au travail de leur aîné par l’intermédiaire du documentaire Scratch.

La question se pose à présent, en 2004, de savoir où en est sur le plan artistique cet admiré et admirable précurseur que fut GrandMixer DXT. Quelques éléments de réponse se trouvent dans l’album AFTERMATHematics instruMENTAL : Rhythm and Recurrence sorti il y a quelques mois. Étant donné le choc que fut la découverte télévisuelle évoquée plus haut pour un grand nombre de futurs DJs, on imagine que le « mental de la réplique » dont il est question dans le titre n’est qu’une allégorie rappelant le gigantesque tremblement de Terre sur la mappemonde de la musique du XXème siècle que constitua cette prestation aux platines à l’époque.

Au-delà du talent de GrandMixer DXT, il est temps de préciser qu’il n’a pas produit tout seul cet album d’instrumentaux. En effet, pour enfoncer le clou, ce disque a été co-composé par Bill Laswell, le bassiste – entre autres – de l’album « Future Shock » d’Hancock, qui contenait ‘Rock It’. En outre, le génial percussionniste et batteur Sly Dunbar, qui était lui aussi du projet « Future Shock », participe sur l’un des titres (‘Ghost Dub’). Epaulé par quelques autres instrumentistes (Skiz Fernando et Robert Musso aux beats et James Dellatacoma au guitarron), c’est donc un petit groupe de musiciens réunis par le passé pour le meilleur qui se sont donné rendez-vous vingt ans plus tard pour ce disque. Manque seulement Herbie Hancock, le pianiste de légende, et c’est tout de même un petit regret. A présent que les présentations sont faites, que trouve-t-on sur cet album des retrouvailles ? Réponse en trois temps :

Des scratchs ! GrandMixer DXT, le DJ en chef, prend immédiatement les choses en main et se charge de démarrer l’album par une succession de scratchs. Ceux-ci évoquent son travail sur ‘Rock It’. Moins rapides et endiablés que ceux de quelques turntablists de la nouvelle génération, on constate qu’ils sont toujours un peu décousus, plutôt mous et pendouillants quand d’autres mettent un point d’honneur à les composer percutants et secs comme un coup de trique. C’est que l’objectif pour GrandMixer DXT est ici – contrairement à certains albums de turntabilism purs – de parvenir à marier le plus subtilement possible ses prestations aux platines avec les beats et les mélodies produites par Bill Laswell. De ce point de vue GrandMixer DXT livre un travail parfait en exécutant toujours à bon escient ses nombreuses techniques pour confirmer – si cela était encore nécessaire – le statut de la platine comme instrument de musique à part entière. Cet album réhabilite à fond le fameux scratch « toile cirée », old school comme on le dit d’un rappeur dont la technique de flow est moins rapide que celle des rappeurs actuels. L’impression ressentie à l’écoute des frottements du DJ qui introduisent l’album est ainsi confirmée tout au long de l’album : GrandMixer DXT revient en 2004 avec les mêmes sonorités qui l’ont fait connaître en 1984, rythmant les tracks, ajoutant sa patte au travail lui aussi somptueux des différents faiseurs de beat.

Des rythmes ! En cela le titre de l’album ne ment pas. A peine remis de la déferlante de beat mitraillée par les toujours vigoureux Beastie Boys avec leur nouvel album To The 5 Boroughs, nous revoilà illico plongés dans quelques intenses rythmiques. Dès ‘4D’, le premier titre, Robert Musso concocte un beat électrisé qui bombarde sévère. Plus loin ‘Scratch Code’ traverse la tête de l’auditeur tel un rouleau compresseur. Dans certains titres tels que ‘Subcut’ les musiciens mélangent beats réalisés à la machine (issus de boîtes à rythme) et percussions manuelles (tam-tam) ramenant un peu de chaleur humaine dans une musique qui pourrait parfois sembler manquer d’âme (‘Posthuman’, ‘Dark Black’). Ailleurs (‘Black Dust’), l’instrumental est chargé de la basse grave de Bill Laswell. Il faut enfin parler du fameux ‘Ghost Dub’ dont la section rythmique est signée Sly Dunbar. Celui-ci nous bricole un dub comme il en a le secret, toujours pas blasé le bougre, toujours aussi envoûtant. C’est que Sly Dunbar, avant son incursion dans la funk avec Hancock au début des années 80, brillait déjà de mille feux en Jamaïque avec son compère Robbie Shakespeare, participant alors à quelques uns des plus grand albums de reggae de l’époque (entre autre avec le groupe Black Uhuru). Bill Laswell n’en est pas non plus à ses premiers pas dans cette catégorie musicale. Une fois de plus, l’expérience réunie de ces deux-là offre un très beau résultat. Par ailleurs, d’autres morceaux résonnent très jamaïcain comme ce ‘Lo-Tek’ aux rythmiques ragga.

Des sonorités ! Une infinité de sonorités ! Bruits en tout genres (bris de verre, bips informatiques, bruits métalliques, perceuse, hurlements … O.S.N.I.), récurrents ou non, que GrandMixer DXT s’amuse à coller de façon naïve un peu partout dans les instrumentaux afin d’apporter un surcroît d’ambiance. C’est que l’avant-gardiste GrandMixer DXT, autant à l’aise avec ses platines qu’avec l’électronique, excelle dans cette forme de surréalisme sonore. Armé de ces bruitages, il peut par exemple changer de façon impromptue la donne musicale. C’est le cas dans ‘Subcut’ qui bascule soudainement, à l’apparition de quelques sons bien choisis, dans le lugubre. Ou encore dans ‘Lo-Tek’ qui, malgré son rythme à vous clouer au sol, se fait d’une légèreté inattendue quand résonne un petit air aérien. Enfin, pour preuve de l’importance de cette fonction, on notera que les deux derniers morceaux de l’album sont marqués par l’absence du DJ derrière les platines, celui-ci se contentant de son rôle parfaitement intégré de bruiteur.

Toujours un peu en marge du « Hip-Hop officiel », GrandMixer DXT continue donc plaisamment son petit bonhomme de chemin musical, bien accompagné. Zigga zigga zigga.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*