Chronique

Hocus Pocus
73 touches

On and on Records - 2005

Avant de susciter l’enthousiasme de quelques inconditionnels et d’aiguiser la curiosité d’un bon nombre d’auditeurs au-delà des frontières rapologiques, Hocus Pocus connut des débuts un peu plus chaotiques. Le nom du groupe commence en effet à circuler dans la région Nantaise dès 1996. Le groupe est alors composé de deux rappeurs : 20Syl – qui assure la plupart des productions – et Cambia. Après la mixtape Première formule et l’arrivée de DJ Greem au sein du groupe, Hocus Pocus accouche en 1998 de son premier album intitulé Seconde Formule. Celui-ci donne l’impression d’un groupe en mal d’identité qui se cherche dans une formule finalement classique, malgré quelques morceaux encourageants. La formation connaît alors une évolution qui va s’avérer décisive : un groupe de musicien rejoint pour la scène un 20Syl de plus en plus omnipotent, tandis que Cambia part tenter l’aventure en solo.

En 2001, le label « On and On » est créé pour permettre notamment la sortie de l’excellent maxi ‘Malade’. Celui-ci, bien que signé sous le seul nom de 20Syl, affirme l’envol du groupe qui trouve enfin le grain qu’il lui fallait. Parallèlement à l’explosion du collectif de turntablists Coup2Cross (double champion du monde DMC) auquel Greem et 20Syl appartiennent, le EP « Acoustic Hip-Hop Quintet » (2002) suivi d’un nouveau très bon maxi (‘Conscient’ / ‘Dig this’) finissent de baliser un parcours qui aura généré pas mal d’attention. Ne manquait plus qu’un deuxième album pour concrétiser l’évolution et finir d’imposer le nom du groupe au-delà des salles de concerts. C’est chose faite avec 73 touches, un disque limpide qui donne à entendre la quintessence d’Hocus Pocus à travers un son propre, particulièrement imprégné de jazz, qui fait la force et l’intérêt de la formation.

Réputé pour son esprit ouvert et positif, Hocus Pocus propose une approche ludique de la musique. Certes, 20Syl reste omniprésent, mais l’ossature beats et paroles qu’il construit n’est souvent qu’un prétexte à de multiples arrangements qui font la sève de cet album. Le rôle de Greem aux platines et l’apport d’une pléiade de musiciens s’avèrent ainsi déterminants et génèrent le supplément d’âme qui fait vivre le disque. Parfois redécoupées, parfois improvisées, les parties acoustiques ouvrent une brèche inattendue au sein de productions finement ciselées. Sur ‘J’attends’, une guitare s’impose d’ailleurs en solitaire en lieu et place de la rythmique, soutenue à l’occasion par une mélodie légère à la flûte. Sur les morceaux à la construction plus classique comme ‘Onandon part 2’ (la tuerie de l’album) ou ‘Hip Hop ?’, 20Syl en profite en revanche pour imposer un rythme plus incisif avec l’aide de The Procussions et Ty.

Le reste du temps, les morceaux balancent entre ironie nonchalante, gravitée mesurée et émotion contenue. On notera l’intervention au complet de Coup2Cross (rebaptisé C2C), qui fait voler en éclat à coup de scratchs l’éventuelle impression de monotonie suscitée par les morceaux les plus lents. Au milieu de ce paysage auditif chaleureux, le titre ‘Zoo’ déploie une cacophonie surprenante. La multiplication des cuivres (saxophones, trompette, trombone) et l’addition de cris d’animaux demande plusieurs écoutes avant d’être apprivoisées, pendant que le texte de 20Syl – construit sur la métaphore du zoo urbain – pose un regard décalé sur la société et l’univers rapologique : « On stocke tout ce qui gène dans les clapiers, paradoxe car on les vire des cages d’escaliers ! » ou encore « Les fourmis dealent du shit pendant que les cigales breakent / les pigeons font des hits et les requins encaissent le chèque« .

Si la musicalité gouverne l’album, la prestation microphonique de 20Syl n’est pas anecdotique pour autant. Les lyrics, dominés par des rimes régulières en fin de vers, donnent une certaine assise pour le flow discret de 20Syl qui se superpose naturellement à l’instru. Pas d’exercice de style extravagant, mais une application certaine pour poser une voix sobre au débit régulier. A l’écoute du surprenant ‘Brouillon’, dont le concept consiste à changer de style à chaque couplet (mélancolique, bounce, old school…), on pourra toutefois regretter que la prise de risque n’ait pas été plus conséquente sur l’ensemble de l’album. En fait, on peut voir cet album comme la fin d’un cycle, puisqu’il donne à entendre ce que le groupe sait faire de mieux, en attendant peut-être de futurs projets pour dégager des perspectives nouvelles. Le dernier couplet de ‘Brouillon’ défriche en tout cas des horizons réjouissants, en poussant à son paroxysme la fusion entre une empreinte musicale jazzy et un phrasé prenant l’allure d’un véritable instrument.

Privilégiant l’atmosphère, les textes sont relégués au second plan sur cet album. L’écriture de 20Syl est pourtant émaillée d’un certain goût pour l’insolite et d’une ironie lucide qu’il serait dommage de négliger (« Développés et paraît-il civilisés, mais on attend que l’extrême passe pour se mobiliser !« ). En revanche, l’excès de légèreté dans le traitement de certains thèmes (‘J’aimerais’) et la naïveté un peu démagogique qui ressort de ‘Faits divers’ témoigne d’un manque d’aisance à aborder certains sujets de front. Quant à l’attirance pour la chanson française – dont 20Syl ne se cache pas – elle est perceptible de façon éclatante avec ‘Pascal’, le récit des aventures rocambolesques d’un billet de 500 Francs, de son impression jusqu’à son autodafé sous la flamme du briquet de Serge Gainsbourg lors d’un passage télé devenu célèbre.

Relativement court, cet album n’est pas exempt de critiques. Reste que l’ensemble s’avère globalement de haute tenue, et que l’humilité et l’amour de la musique transpirent à chaque note. Pas question de bouder son plaisir, ni de faire la fine bouche : « Toujours le même kiffe pour le même son qui tape fort, le jazz ses accords, la soul qui t’absorbe« .

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