Scarface : 30 ans d’influence en 30 morceaux
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Scarface : 30 ans d’influence en 30 morceaux

Scarface, le film, a trente ans. Grosso-modo, le rap aussi. Et depuis qu’ils se sont rencontrés, ces deux-là ne se lâchent plus. Pour fêter leurs noces de Perle, une pièce montée, découpée en trente morceaux avec du Tony dedans.

« Scarface, le film est sorti, puis il a vrillé l’esprit de beaucoup de monde et moi y compris. Tu venais voir chez moi, on te disait ‘Entra, entra, Pana. Bienvenue chez Tony Montana‘ » – Akhenaton, métèque, mat et cubain. L’histoire est connue. Scarface sort aux États-Unis le 9 décembre 1983, récolte une pluie de mauvaises critiques et choque toute une génération de cinéastes et de rappeurs, d’Antoine Fuqua à Mathieu Kassovitz, de Sen Dog à Akhenaton. Trente ans plus tard, Tony Montana est une icône et le métrage de Brian De Palma un film culte, dont l’influence sur la musique, le cinéma et la pop culture n’a toujours pas cessé de s’étendre. Fulgurantes, l’ascension et la chute d’Al Pacino vont fasciner le mouvement hip-hop. Tour à tour, son personnage y sera décrit comme le modèle absolu du gangster impitoyable (mais non dénué d’un certain sens de l’honneur), et comme un dangereux psychopathe à l’influence néfaste sur qui n’est pas capable de s’arrêter à la 24ème image du film. Pour fêter les trente ans du métrage et dans l’optique de présenter un panel de ses références présentes dans l’univers hip-hop, on s’est attelés à réaliser une sélection de trente morceaux, répartis dans six catégories distinctes. Un nombre qui est loin d’être exhaustif, et qui de toute façon ne saurait l’être devant les centaines et les centaines d’occurrences qui ont traversé le rap, des années 80’s à aujourd’hui, de la France aux Etats-Unis. Car d’insertions de dialogues en références textuelles, d’imitations de première classe en samples musicaux, l’héritage est immense. En voici notre échantillon. Mauvais garçon, chaud devant.

Samples de dialogues américains « Say hello to my little friend! »

Geto Boys - « Trigga Happy Nigga » (1989)

De dialogues tirés de Scarface, le premier album des (vrais) Geto Boys en est truffé. À vrai dire, il est même fort probable que les rappeurs texans soient les premiers à avoir repris des répliques du film pour les insérer dans un morceau. Ici, pas question de faire dans la dentelle. Majoritairement issus de la fin du métrage, lorsque Pacino deal avec une montagne de poudreuse, une méga chiée de craches-pruneaux et prononce plus de « fuck » en une minute qu’une minute ne peut en contenir, les extraits choisis ne sont que pure violence physique et verbale. Ça tombe bien, ça colle au propos. Tony n’avait peut-être pas de Nike aux pieds, mais des culs, ça, il en bottait.

Scarface - « Mr. Scarface » (1991)

Quand on s’appelle Scarface, il paraît forcément un tantinet difficile de ne pas citer à foison le film dont on tire son nom d’artiste. Et que ce soit en solo ou en compagnie de ses compères, le leader des Geto Boys aura revisité à plus d‘une reprise le classique de Brian De Palma. L’ouverture de son premier album solo, avec sa petite tuerie racontée sur l’air de « L’araignée Gypsie », donnait le ton. L’insert de Tony Montana venant juste après met fin à tout doute possible : Mr. Scarface Is Back sera chargé de plomb et saupoudré de blanche, porté par une parole ferme et un manche d’acier. S’en suivront, au cours de sa carrière, des références à ne plus savoir qu’en faire. Entre autres : un second album intitulé The World Is Yours et un huitième, Balls And My Word, reprenant en guise de visuel la célèbre affiche noire et blanche du film.

Raekwon ft. Ghostface Killah - « Criminology » (1995)

Qui d’autre que Tony et son nez enfariné pour devenir l’emblème de la vague cocaïno-mafioso-rap qui déferle sur la east coast au milieu des années 90’s ? On serait tenté de répondre pas grand-monde. Et si Only Built 4 Cuban Linx… tire la plus grande partie de ses références filmiques du The Killer de John Woo, l’extrait de l’embrouille téléphonique Sosa/Montana placé en introduction de « Criminology » est resté dans les mémoires. L’insertion de l’instru – plus martial tu meurs – de RZA sur le sample tient du génie. Tellement qu’en revoyant le film après coup, la réplique, telle qu’elle, paraît en comparaison bien fade. Et Ghost, dans son hélico, de regarder la concurrence se balancer au bout d’une corde.

Kool G Rap ft. Nas - « Fast Life » (1995)

En 1992, Live And Let Die éclate à la face de la côte est et devient officiellement le premier acte de la scène cocaïne rap qui va sévir à New-York durant le milieu des années 90’s. De retour trois ans après, sans DJ Polo cette fois, le rappeur préféré de ton rappeur préféré se flanque de ton rappeur préféré (tout le monde suit ?) le temps d’un morceau sur le grand chelem : chicas, champagne et frime. Le titre est introduit par les rêves de grandeur de Montana Tony et Kool G Rap terriblement bien – pour ne pas déroger à la règle. Quant à Nas, il entame à son contact sa mutation post-Illmatic, s’apprêtant à passer du petit truand Nasty Nas au grand bandit Nas Escobar.

Common - « Stolen Moments pt. III » (1997)

Morceau divisé en trois parties sur le troisième album de Common, (le souvent oublié One Day It’ll All Make Sense), « Stolen Moments » raconte comment le rappeur chicagoan, de retour chez lui après un concert épuisant, retrouve sa maison dévastée et dévalisée. Commence alors une enquête que n’aurait pas reniée Edgar Allan Poe, dans laquelle les suspects, indices et autres mobiles défilent jusqu’au dénouement final raconté à travers deux samples de films. L’un est issu de Scarface (l’exécution de Frank Lopez), l’autre de King of New-York. Parce qu’il n’y a pas que Scarface dans la vie, et qu’il y aurait aussi énormément à dire sur l’influence qu’a eu le chef d’œuvre d’Abel Ferrara sur le hip-hop, et inversement.

Samples de dialogues français « La vie de rêve ! »

Akhenaton - « Métèque et Mat » (1995)

De l’épopée spatiale de Georges Lucas jusqu’aux westerns spaghetti de Sergio Leone en passant par le Viêtnam de Stone ou de Coppola, Akhenaton aura injecté dans son rap un nombre incalculable de références cinématographiques en tous genres. Mais c’est définitivement le film de De Palma qui habite l’esprit du légendaire Métèque et Mat, mettant en parallèle les cultures italienne et hispanique, aux maux similaires. Entre deux interludes samplés, Chill avouera d’ailleurs volontiers que Scarface lui a retourné le cerveau. Ou quand le Tony cubain nourri au poulpe et au capitalisme vendeur de rêve devient, le temps d’un disque, un italo-américain introspectif et soucieux de ses racines, parti réclamer ses pépettes aux Assedic avec des skills de Street Fighter en guise de lance-grenade.

IAM - « Nés sous la même étoile » (1997)

Un paquet de cartes. Un berceau dans une cage d’acier, un cyclo, quelques beignes, un peu de plonge, délit de faciès, un peu de ventes, deux vieux manteaux en guise de montants, de la poussière dans le cœur et dans les poches, c’est le compte en banque. La vie de merde. On redistribue. Un paquet de cartes. Un berceau dans une cage dorée, une BMW, Laure Manaudou, 300 pages sous Word, 75€ l’entrée avec champagne, Alexandra Ledermann, goûtons à la poudreuse, du baume au cœur et dans les poches, c’est la couleur. La vie de rêve.

Stomy Bugsy ft. Doc Gynéco - « Oyé Sapapaya » (1998)

Parmi tous les rappeurs français traumatisés par Scarface, Stomy Bugsy occupe la première place, au calme. Bon déjà, le type se prend totalement pour un gangster, donc forcément ça aide. Ensuite, c’est un baisé de films de mafieux en tous genres, qui a réinjecté peu ou prou l’intégralité des œuvres de Scorsese et de Coppola père dans sa discographie. Reste que Mysto la mixomatose a un mérite : il est l’un des rares à avoir véritablement exploité le potentiel comique de Scarface, souvent cantonné à sa dimension dramatique alors que le film contient quand même de quoi bien se taper les cuisses. La moitié playboy du Ministère AMER ira ainsi jusqu’à chantonner un « Oyé sapapaya » en guise de refrain, rappelant au passage à quel point il est imparable dans le rôle du chaud lapin de service prêt à tout pour serrer. Même à tirer la langue à la fille façon Manny Ribera.

Bouchées Doubles - « 24″ (2004)

Certes, ce morceau du duo du Havre aurait peut-être davantage sa place dans un article sur le rap et Fight Club. Brav et Tiers-Monde y relatent des faits connus de tous : la galère, les tours, le bitume et la vacuité du tout… Mais le titre a le mérite de dégager un parallèle inédit entre le film de Fincher et celui de De Palma, desquels il sample deux passages cultes, à la réflexion sociale forte de sens. Si tout, a priori, sépare Tony Montana de Tyler Durden, les deux personnages se retrouvent volontiers sur l’idée de contourner à tout prix un système qui ne leur convient pas. Le morceau montre aussi que ces quatre mots, « la vie de rêve » (dont c’est la troisième occurrence dans cet article), ont durablement imprimé l’inconscient du rap français.

Rocca - « Trafic » (2004)

Après le virtuose « Le Zedou » de Busta Flex, Rocca s’essaye à sa manière à la mise en parallèle de la rime et de la came. « Trafic » est interprété en français sur une mixtape du groupe hispanique Très Coronas, formé par Rocca au début du nouveau millénaire, et est habilement introduit par un dialogue entre Manny et Tony Montana déversant sa haine sur la Colombie. Pays dont deux (les seuls restants aujourd’hui) des trois membres du groupe sont originaires. Et l’ex-MC de La Cliqua de dérouler sa métaphore filée avec la verve qu’on lui connaît, jusqu’à un nouveau sample vocal bien placé qui n’est aujourd’hui pas sans faire un joli clin d’œil au futur succès du groupe.

Instrumentaux « It’s all in the eyes, chico »

Scarface - « Intro » (1994)

Nouvel exemple de l’utilisation de Scarface par Scarface, bien plus subtile que celle déjà évoquée et qui ouvrait le premier album solo du leader des Geto Boys. Il s’agit ici de deux samples musicaux, placés en ouverture et fermeture de The Diary. Deux pages blanches purement instrumentales qui se révèlent remarquables de justesse et d’intensité. Agrémentés de quelques notes de piano, les thèmes de Tony – menaçante intro – et de Gina & Elvira – sublime final – se répondent parfaitement, encadrant avec pudeur et passion l’album qui restera le chef-d’œuvre de son auteur.

Mobb Deep - « G.O.D. Pt. III » (1996)

Loin du soleil et des plages de Miami, peu d’albums suintent autant la crasse et la noirceur des rues de New-York que le troisième opus de Mobb Deep. Autant inspiré de la saga du Parrain – autre grand rôle de Pacino – que de Scarface, le titre réutilise ici les premières notes patibulaires du thème de Tony par Giorgio Moroder. Comme tous les morceaux de Hell On Earth, il profite de la science des boucles courtes et imparables d’Havoc. En ressort un instrumental anxiogène et sombre à souhait, à même de rendre compte de l’humeur un brin mafieuse des tenanciers de Queensbridge. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, Havoc et Prodigy remettront ça trois ans après (de façon bien plus gaie) en compagnie de Nas sur « It’s Mine », qui reprend cette fois le thème d’ouverture du film.

Fonky Family - « Loin du compte (1999) » (1999)

Le succès de Scarface et son immense influence sur la culture hip-hop ne tient pas tant dans la violence de son propos que dans l’esprit de conquête qui habite Tony Montana, dont l’ascension fulgurante devient un véritable mythe. Dans le film, elle est explicitement mise en scène lors du célèbre entracte voyant les billets sales se multiplier sur la musique de Paul Engemann. Très habilement, c’est ce thème que va sampler la Fonky Family pour le morceau phare du premier volume de leurs hors-série, à l’heure où le groupe, déjà au sommet, compte bien ne pas s’arrêter en si bon chemin. Sept ans plus tard, la FF samplera à nouveau un morceau de la B.O. de Scarface (cette fois-ci « Gina & Elvira’s Theme ») pour « Tout ce qu’on a », l’un des meilleurs morceaux de leur ultime mais fade album Marginale Musique.

Immortal Technique - « Peruvian Cocaïne » (2003)

Posse-cut mythique, « Peruvian Cocaine » raconte le cheminement basique du trafic de drogue, depuis le travailleur du champ de coca jusqu’à celui qui va se faire arrêter pour la vente du sachet, en passant par les politicards et autres caïds intermédiaires avec grosse berline et grande villa, qui ne touchent évidemment à rien sauf aux biftons. Narré depuis les points de vue de différents intervenants, le récit est habilement introduit par un dialogue de Scarface et se termine de la même manière par un célèbre extrait de New Jack City. Mais c’est définitivement son instrumental de génie, samplant le morceau entrainant et sautillant (donc en parfaite opposition avec ce qui est raconté) entendu à l’arrivée de Tony Montana en Bolivie, qui fait de ce titre l’un des meilleurs produits que le rap a jamais concocté à partir du film de De Palma.

Rick Ross - « Push It » (2006)

Fraichement débarqué de son bateau à banane, Tony s’est vite mis en tête de mettre son grain de farine dans le trafic de dope de Miami Beach. Rick Ross a débarqué dans le rap un peu de la même façon, avec une idée très claire : pousser sa chance et devenir le big boss. En guise d’ouverture à un premier album intitulé Port of Miami, le titre, le sample, le clip et le récit – histoire au long cours d’un dealer notoire – de « Push It » sont finalement aussi prévisibles qu’ils sont habilement amenés. Reste que cette chronique fantasmée, qui démarre avec l’achat du premier bloc de coke et se termine aux côtés de filles de joie d’Europe de l’Est, faisait à l’époque office de joli plan de carrière. Aujourd’hui, force est de constater qu’il a plutôt bien été exécuté.

Références textuelles américaines « Never get high on your own supply… »

Nas - « The World is Yours » (1994)

Affiché sur un dirigeable au moment de l’ascension d’Al Pacino, puis sur la sculpture surplombant un bassin ensanglanté au moment de sa chute, « The World Is Yours » constitue un excellent résumé de Scarface en une phrase. En reprenant ce slogan pour le faire sien, Nas réalisait déjà un coup de maitre. Mais son véritable génie sera de ne jamais tomber dans la référence facile. Si le prodige de Queensbrige s’approprie la devise de Tony Montana, c’est pour mieux en extraire toute la symbolique dans un morceau aux atours introspectifs, entre hommage aux amis disparus, vente de petits sachets en bas des blocks et réflexion quant au prénom de sa future fille. Et surtout, cette devise, il la partage.

Notorious B.I.G. - « Ten Crack Commandments » (1997)

Biggie Small est un génie. Six mots d’une simplicité confondante lui suffisent à faire ce clin d’œil, au moins aussi gros que lui, qui te dit : « oui homie, je sais que tu as kiffé le film autant que moi » . Il devient ce pote de longue date avec lequel tu as maté Scarface un milliard de fois, en en reprenant toutes les phrases cultes, en rêvant de vos futures vies de pachas dans un manoir tapissé de moquette rouge. En plus, le bougre est de bon conseil. « Ten Crack Commandments » ou « The Art of Crack » ou « Drug Dealing for Dummies », c’est dix règles simples pour t’apprendre à tenir ton coin de rue, étendre ton business et prospérer tranquille au soleil comme Frank Lopez. Loin des planches de bois, des barreaux en fer et surtout de ta production.

Big Punisher - « You Ain’t a Killer » (1998)

Les rappeurs hispaniques entretiennent souvent un lien particulier, plus encore que les autres, avec Scarface. Cubain d’origine, Sen Dog par exemple sera aperçu réellement fasciné dans un documentaire analysant l’influence du film, et ira même jusqu’à prêter sa voix à l’occasion de la sortie du jeu vidéo. Le porto ricain Big Punisher, lui, se contentera de références éparses au personnage joué par Al Pacino dans ce monument qu’est Capital Punishment. Le disque est le recueil d’egotrips débités façon M-16 et d’une ascension fulgurante, jusqu’à l’accession à la « glamour life, like my man Tony Montana«  . Mais c’est aussi un formidable répertoire d’histoires de drogues et de contes de rues, ceux dans lesquels le regard sert plus à se jauger qu’à se draguer. Que des regards froids, y’a pas de yeux doux.

Jay-Z - « Ignorant Shit » (2007)

Souvent oublié dans l’œuvre imposante de Jay-Z, American Gangster est pourtant son dernier grand album en date. Son affiliation avec le cinéma est évidente, puisque le disque emprunte son titre, ses thèmes et son esthétique au film de Ridley Scott paru la même année (qui d’ailleurs compte RZA, T.I. et Common dans son casting). Pourtant, d’une façon assez extraordinaire et aussi très révélatrice, le disque compte quasiment plus de références à Tony Montana qu’à Frank Lucas, ex-parrain d’Harlem campé par Denzel Washington. Et c’est lorsqu’il s’emploie à citer une énième fois le métrage de De Palma que Jay-Z est le plus pertinent. En mettant en parallèle Scarface le film et Scarface le rappeur (qui fut l’un des premiers à parler de la vente de drogue dans ses textes), il dédouane et le rap et le cinéma de toute leur soi-disante mauvaise influence sur la jeunesse. Le poids des mots, le choc des images.

La Coka Nostra - « Fuck Tony Montana » (2009)

Avec ses allures de gang parfaitement impitoyable, La Coka Nostra semble n’avoir été créée que pour calmer tous ces petits branleurs d’Henry Lee Lucas, Danny Rolling et autres Charles Manson. S’il y en a bien un qui ne s’inquiète pas de savoir si ses lyrics peuvent ou non avoir une mauvaise influence sur son auditoire, c’est Ill Bill. Inouïe de violence et d’inhumanité, son entrée sur « Fuck Tony Montana » est un putain de Magnum chargé braqué sur la veuve et l’orphelin. Al Pacino et ce qu’il pouvait avoir de bon sens passent tous les deux à la moulinette : pas de quartiers, aucune pitié. Tony est un cubain fragile qui n’a ni le manche ni les couilles de faire ce qu’il faut pour tenir son business.

Références textuelles françaises « Même quand je mens c’est vrai »

Afro Jazz - « Pas vu pas pris (Le vice) » (1997)

Souvent oublié quand il s’agit d’évoquer les disques de la période faste 1995-1998, Afrocalypse est pourtant un album de première classe, porté par les flows débordant de puissance de Jokno, Jahyze et Robo et leur bagout inimitable. Il profite en plus d’une incroyable pelletée de connexions américaines, incluant un featuring mythique avec le Sale Vieux Bâtard lui-même et des productions signées Buckwild, Diamond D et les Beatminerz. Rien que ça. Et pour couronner le tout, il a l’originalité d’évoquer Scarface sous un angle inédit : celui de l’amitié entre Tony et Manny, vite bousillée par la paranoïa du premier, sa sœur Gina amoureuse du second et du sniff-sniff play jusqu’à plus de narines. « Je serai ton Montana et tu seras mon Manny » , c’est aussi ce qu’a dit Oxmo à Booba avant d’enregistrer Pucc Fiction. Ou, en tout cas, on a envie de le croire.

Oxmo Puccino - « Pucc Fiction » (1997)

Moins black que mafioso, plus Smoke que Jon, Tony Montana n’en demeure pas moins l’idéal du gangster façon Time Bomb, le plongeon final dans la fontaine en moins. « J’finirai pas comme Scarface, percé de partout blazé dans la coke en criant fuck you motherfucker » , clamait le Black Popeye dans un refrain aujourd’hui passé à la postérité. Avec la virtuosité qui le caractérise lorsqu’il se met à raconter d’improbables histoires de truands, Oxmo bute des fils de stups, mange des cornflakes devant LCI, manque de se faire trouer la peau par un petit singe et sauve la Chine de la dépopulation. Booba lui, alors relégué au rôle du fidèle Manny (qui l’eut cru aujourd’hui ?!), roulait déjà en Land Cruiser. Mais pas encore comme une vieille.

Rocca - « La bonne connexion » (1997)

Premier solo et grand classique de Rocca, Entre Deux Mondes ne doit pas seulement son titre aux origines colombiennes de son auteur. Approfondie dans plusieurs morceaux, la frontière entre le réel et le fictif est une thématique centrale de l’album. Quand le MC de la Cliqua en vient à citer Scarface, il s’agit donc davantage de critiquer la vacuité du mode de vie de son personnage principal que d’en faire l’éloge. Dans une quête constante de démystification, Rocca renvoie le métrage au rayon du simple divertissement, quand il est pour petits wacks et petites frappes une vraie source d’inspiration. Et accessoirement, en citant juste après l’autre collaboration culte De Palma/Pacino, rappelle que la rédemption, ça ne s’achète pas comme un dvd. Ça se paye comme la redevance télé. Rendez-vous dans dix ans pour les trente ans de L’Impasse.

Booba - « On m’a dit » (2002)

Il y a deux sortes de rappeurs : ceux qui seront à jamais séduits par la violence de Scarface et l’escalade vertigineuse de son personnage, et ceux qui le dénigrent pour la mauvaise influence que cette escalade peut exercer sur les plus jeunes et vulnérables. Entre Tony et Manny, entre raison et fascination, le rap critique autant la violence au cinéma qu’il se l’injecte à haute dose. En bon paradoxe ambulant, Booba est l’un des artistes les plus représentatifs de cette tendance : il se déresponsabilise volontiers de la violence de ses propres propos pour mieux rejeter la faute sur l’industrie cinématographique, sans pour autant s’interdire d’ouvrir son troisième album par « sous coke comme Tony M, tes balles je me les enfile« . Rien à foutre, c’est qu’un puzzle de mots et de pensées.

Kaaris - « Je bibi » (2013)

Troisième projet de K double A, Or Noir a provoqué un véritable séisme. D’un pas plus qu’assuré, le sevranais s’engouffre à (gros) tour de bras dans l’hyper-violence, occupant désormais une place anciennement vacante dans le rap français : celle du moissonneur-batteur. Dans Scarface, il y a une phrase prononcée par Michelle Pfeiffer qui résume à merveille le style Kaaris : « il n’y a d’excès que dans l’excès ».  En pleine ascension, dans toute la démesure qui est la sienne, rien d’étonnant donc à ce que le rappeur aux « quelques grammes par jour dans le pif » en vienne à citer les règles énoncées dans le petit guide pratique du bicraveur par Frank Lopez, ce gros chazer. On imagine bien Kaaris, mauvais garçon comme Tony mais en pire, lui baiser sa mère, sa femme et peut-être la mère de sa femme avant de lui coller la gueule au fond du cul avec son gros doigt de pied. Juste comme ça.

Imitations « Mauvais garçon, chaud devant ! »

EPMD - « You Had Too Much to Drink » (1988)

Si l’album qui le porte reste une pièce maîtresse du rap de la fin des années 80’s, il faut avouer que le morceau tient davantage de la grosse blague qu’autre chose et ne restera pas dans les plus hauts faits d’armes d’Eric & Parrish. Pas bien loin du coma éthylique, nos deux dollars makers prennent le volant après une soirée mouvementée, avant de se faire immanquablement serrer par des keufs en embuscade dans un buisson. S’ensuivra un cocasse échange verbal à propos de l’Alaska, de vêtements chauds et du meilleur avocat de Brentwood. Tant mieux, parce que quand tes clients s’arrêtent au vert pour démarrer au rouge, il faut être costaud pour convaincre un jury qu’ils n’auraient pas mieux fait de prendre un taxi.

Public Enemy - « Welcome to the Terrordome » (1990)

Morceau revendicatif dans le pur style Public Enemy (comprendre d’une puissance textuelle et musicale brute incomparable), « Welcome to the Terrordome » avait pour but de remettre les pendules à l’heure suite à certaines déclarations peu élégantes de Professor Griff (le « Ministre de l’Information » du groupe, viré à la suite de cet incident avant d’être réintégré plus tard) à l’encontre de la communauté juive. Naturellement, Chuck D réaffirme alors avec véracité l’intégrité et le juste combat de Public Enemy à tous ceux qui en douteraient. Flavor Flav, en hype man de première classe, fout son petit zizou dans la brèche et imite brillamment le Tony paranoïaque de Scarface, pour appuyer son comparse. À ce moment précis, ses aiguilles indiquaient dix heures dix.

Jay-Z - « Can’t Knock the Hustle » (1996)

La rencontre entre Omar et Tony est l’un des moments clés de Scarface, l’instant qui va décider de l’ascension fulgurante d’Al Pacino. Ici, c’est Pain in da Ass, AKA le doubleur officiel de Pacino pour Jay-Z (il récidive sur « Brooklyn’s Finest » avec un extrait de Carlito’s Way) qui se charge de l’imitation. En choisissant de lui faire réciter ce passage (un tantinet modifié pour l’occasion) en ouverture de « Can’t Knock the Hustle », donc de son premier disque, Jigga montre trois choses. Premièrement qu’il a, déjà à ce moment là, peut-être regardé le film plus de fois qu’il n’a vendu d’albums dans sa carrière. Et ça fait beaucoup. Deuxièmement, qu’il avait bien l’intention de faire de Reasonable Doubt la scène pivot du film de sa propre vie, et le premier pas dans la construction de son empire. Troisièmement ? Qu’il savait parfaitement où il allait, lui.

Stomy Bugsy - « Même quand je mens c’est vrai ! » (1996)

On l’a dit, Stomy Bugsy est numéro Un sur Scarface. Son premier album solo, au titre sans équivoque, est un vibrant hommage aux grands classiques de films de gangsters, qui déborde de références en tous genres et d’imitations toutes plus mémorables les unes que les autres. On a choisi celle-ci pour deux raisons. La première : elle consacre brillamment Stomy en Don Juan du ghetto et coureur de jupons invétéré. La seconde : il va bien falloir décider un jour qui de Rohff ou Stomy Bugsy est le meilleur imitateur français de Tony Montana ever. On vous laisse le soin de trancher à l’écoute de cet extrait et de celui qui suit.

Rohff - Interview Buzzdefou (2013)

Quand on parle de rap et de Scarface le film, il y a Rohff et il y a les autres. L’une des ses 94 400 références textuelles, le morceau « La résurrection », sa présence dans le jeu vidéo sorti sur PS2… Le vitriot maîtrise réellement son sujet, et on aurait bien pu choisir n’importe quelle occurrence. Mais il faut avouer que pas grand chose ne fait le poids face à ses imitations de Tony Montana. Et comme il y en a à la pelle, on a simplement choisi de ressortir la dernière en date. Malheureusement, ça se passe lors d’une interview pour Buzzdefou (…bon), durant laquelle Rohff brille de cet accent hispano-mafioso-marlon-brando aiguisé à la tronçonneuse que l’on connaît bien. Non, ce ne sera même pas le point culminant de cet ahurissant monologue de 13 minutes. Et encore là, personne n’était dispo pour un ping-pong. Il n’y a pas à dire, on préfère Rohff quand il parle musique.

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9 commentaires

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  • Karim,

    Tas juste oublié l’un des meilleurs samples et meilleur texte…
    Ne2s ca ira mieux demain
    La prochaine fois demande moi avant de bâcler les choses.?

  • BiTS - Gangster - Magnetic,

    […] • Rap et Hip Hop sous l’emprise de « Scarface », la preuve par l’exe…. […]

  • sangfroid,

    Et comment oublier le titre de carré rouge ! http://www.youtube.com/watch?v=oia-mrZyQZ4

  • Red Drum music,

    Non, non non, nooooon comment vous avez pu zapper le plus gros morceau hommage à Tony M dans le rap français, le gars limite il rappe sur les 3 dernières minutes du morceau.

    Lino FEATURING Tony Montana : http://www.youtube.com/watch?v=fWOlRtKRK6g

    Peace

  • Anonym,

    Vous avez oublié celle de Jay-Z dans le morceau Oh My God sur Kingdom Come, qui en plus d’être une des track les plus impressionante de son oeuvre, possède une bonne référence a Tony Montana …

  • h94,

    et Rick Ross – All I Have In This World

  • beber,

    bon article et My buddy du Gunit?

  • brabra,

    trés bon article cependant je me permet d’apporter quelques précisons concernat la partie sur big pun .
    en effet ce n’est pas le gros christofer qui clame « glamour life like my man tony montana » mais cuban link , qui est cubain comme son blaze l’indique et qui a maintenant la face pleine de scar a la suite d’une embrouille avec fat joe ..d’ailleursi y avait aussi un gars surnomé tony montana dans l’entourage du terror squad ….un chaudard parait il qui a finit assassiné , il y a encore dans le bronx un graff rest in peace qui lui est dedié …voila

  • rob39,

    Dans cet esprit, j’ai fait un petit mix avec pas mal de B.O. samplées, en rap (Magnum, les Simpsons, Hill street Blues, etc), ou reprises en rock, disco, ou funk :

    check it :

    http://www.mixcloud.com/TheRealRob39/groovy-mooviz/

    enjoy.