Nekfeu, de l’Eclipse à Bercy
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Nekfeu, de l’Eclipse à Bercy

Salles combles, présence médiatique ininterrompue et une première date dans l’arène de Bercy prévue en 2016 : si Nekfeu est un des plus gros succès rap français de 2015, son ascension reste le fruit de sa constante montée en puissance de ces trois dernières années. Avec ses admirateurs, mais aussi ses détracteurs.

Une simple écoute en aléatoire sur Internet peut parfois faire figure de révélation. Elle est même la preuve d’une évidence : Nekfeu a pris d’assaut l’année 2015. Entre les singles du jeune rappeur parisien, la plateforme de streaming offre pourtant un bond dans le temps. Après avoir écouté « Time Bomb », morceau sorti en 2014, voilà que Spotify enchaîne avec « Dans Ta Réssoi ». Le titre paraît beaucoup moins excitant qu’il ne l’était lors de sa sortie en 2011 : la faute à une progression impressionnante de la part du jeune rappeur.

Retour en 2015. Avril très exactement : après de longs mois de teasing, de posts Facebook annonciateurs, et de mails d’attachés de presse enthousiastes, on reçoit enfin le premier extrait de Feu, premier disque de Ken Samarras de son vrai nom. Chanté ou rappé ? Pop ou Hip-hop ? Les frontières de « Égérie » paraissent troubles. Tout comme ce premier album, objet hybride qui mélange culture rapologique et références ingurgitées avec le temps. De la littérature (Maupassant, Jack London, Kundera), en passant par la pop (le refrain sirupeux de « Reuf » chanté par Ed Sheeran), des bangers à la Drake  (« Martin Eden », introduction nerveuse) ou le nouveau règne du R’n’B, la palette musicale de Nekfeu ressemble bien à son époque. Un décloisonnement total des genres qui affole les compteurs YouTube.

Pourtant, avant de récolter les éloges de la presse et du public, Nekfeu a dû apprendre. Apprendre à s’imposer, à dépasser les modes. On se souvient encore de ce visage poupon en 2011, au moment de l’explosion de son groupe 1995. Encore un peu frais, le jeune Ken commence à faire ses gammes tout en devenant l’élément phare de la bande : originaire du XVème arrondissement, il fait figure de « gendre idéal. » La belle gueule, pleine de charisme, qui attire l’attention. Celui que les filles reluquent sur scène quand le groupe fait la tournée des festivals pour la sortie de son premier album Paris Sud Minute, récompensé d’une Victoire de la Musique. Un visage que le rap français a d’abord du mal à accepter : trop propre sur lui, trop Parisien, trop « cool », Nekfeu récolte les remarques tout au long de son début de carrière. Et va finalement leur donner tort.

Pendant quatre ans, le nom de Nefkeu apparaît sur (au moins) un disque tous les six mois : que ce soit avec 1995, son projet 5 Majeur, ses amis d’enfance du S-Crew ou sa clique parisienne de l’Entourage, le gamin de Paris Sud squatte les bacs du rap français sans interruption. Une boulimie qui va finir par payer : au fur et à mesure des disques, la science du verbe s’infuse dans ses textes. Les assonances et les allitérations deviennent sa marque de fabrique. Son rythme se diversifie.

Avec quatre disques ces trois dernières années, sans compter d’innombrables collaborations, son visage devient familier. Au yeux du public mais aussi du rap français : le succès du premier album du S-Crew a bien contraint ses détracteurs à reconnaître l’influence grandissante du jeune parisien. À la base simple groupe de potes rappeurs, il attire d’abord par la seule présence de Nekfeu. En interview, on le présente comme le membre « moteur » du quatuor. Il répond modestement que ses camarades ont autant (voire plus) de mérite que lui. Les progrès impressionnants que l’on dénote à travers ses couplets sur Seine Zoo alertent pourtant : Nekfeu est en train de franchir un palier.

Ne reste alors qu’une interrogation : à quand un album solo ? Le challenge semblait grand. Nekfeu va le relever : aujourd’hui disque d’or, prêt à affronter les Zeniths et même le POPB l’an prochain, Le Fenek est devenu le chouchou de la presse généraliste. Dans les journaux et sur les plateaux TV lors de la sortie de son disque en juin dernier, il multiplie les citations d’auteurs en interview, s’excuse pour ses déclarations hasardeuses sur Charlie Hebdo, théorise constamment sa musique. Le gendre idéal pointe de nouveau le bout de son nez, le milieu du rap français grince encore des dents.

Soyons honnêtes, on a failli lâcher l’affaire lors de la sortie de Feu tant la place accordée à l’album et à son auteur devenait envahissante. De la Une des Inrockuptibles, en passant par Libération, Le Monde, le plateau du Grand Journal, ou chez Laurent Ruquier, le visage de Nekfeu a bombardé les premiers jours de l’été 2015. Et quand on tente de vous imposer quelque chose, la réaction la plus naturelle reste la fuite. Alors on a laissé passer le disque, un peu avec des oeillères.

Ce n’est que quelques mois plus tard que l’on va vraiment prendre une claque. Et regretter notre saturation des mois précédents. Feu : Réédition est en effet une parfaite piqûre de rappel. La technique au service de la musicalité, le souci de la mélodie, le mélange entre rap pur jus (« Tempête ») et chansons à la croisée des genres (« Nique les Clones Part II ») : la musique, seul et unique gage de qualité, revient enfin au premier plan.

Une deuxième relecture qui s’agrémente d’une poignée de titres eux aussi convaincants. « 7:77am » tout en mélancolie, la douceur avec « Le Bruit De Ma Ville », la rage noire de « Mal Aimé », le retour de 1995 avec « Deux-Trois » et « Pars Avec Moi » : tout ici prouve le nouveau statut du jeune rappeur. La frontière entre technique et intentions disparaît, Nekfeu est maintenant trop à l’aise dans son genre pour les dissocier. Et l’on réalise que, de temps en temps, une réédition d’album peut avoir du sens.

Revient le souvenir de 2011, balancé quelques minutes plus tôt par Spotify à travers le fameux « Dans Ta Réssoi ». L’excitation pour ce titre n’y est plus. Pendant que les algorythmes des playlists en streaming prennent un malin plaisir à récapituler tout ce qui a changé dans la musique de Nekfeu, c’est avec nostalgie qu’apparaît l’enthousiasme qui avait accompagné les premiers titres du Fenek. Pour ne pas dire avec un sentiment d’incompréhension devant le fossé qui sépare désormais le Nekfeu sortant des Rap Contenders et celui qui rappe « être devenu celui qu’il rêvait d’être. » Les temps changent vite parfois.

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2 commentaires

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  • Skyzoo,

    Article super bien écrit, bravo.

    Parcontre juste une précision : Feu est disque de platine depuis un certain temps maintenant avec plus de 150 000 ventes.

  • Wils,

    Bonsoir,
    c’est un article intéressant mais assez court je trouve. Il aurait fallu revenir sur le phénomène Feu, en analysant l’album en lui même (pas la réédition), l’identité du rappeur, surtout pourquoi n’avez vous pas chroniquer Feu au moment de sa sortie? Quels étaient les défauts de cet album (si ils y en avaient) ? Quels changements par rapport à la réédition ? Cela est un peu confus pour moi.

    Cordialement, Wils Lucas.

    Ps : Le site web inscrit est en construction.