Brodinski, aller simple pour Atlanta
Portrait

Brodinski, aller simple pour Atlanta

Depuis 2009, Louis Brodinski s’impose dans le monde de la musique électronique en sillonnant le globe. Ce gamin de la techno rappelle pourtant son amour du rap américain dans son premier album Brava. Rencontre avec un musicien qui sort des carcans.

À l’autre bout du fil, Louis Rogé semble être dans les vapes. Ou plutôt fatigué. La faute à une énième date en tant que DJ… sur un bateau. « J’étais au Holy Ship la semaine dernière. C’est une croisière techno, aux USA. Pendant trois jours, on mixait non stop, jour et nuit sur un paquebot ». La fête américaine à son paroxysme. « Déjà que j’ai le mal de mer, alors imagine avec le décalage horaire. Ca m’a pas forcément fait du bien. » Pourtant, Louis, que l’on appelle donc Brodinski, a l’habitude. Ce genre de folie fait partie de son quotidien.

L’histoire de Brodinski est inclassable. Originaire de Reims, Louis Rogé débarque à seize ans avec deux CD mixés lors d’une rencontre avec les boss de la salle locale, La Cartonnerie. Le culot paye : alors qu’il est encore au lycée, le Rémois se retrouve à l’affiche d’une des soirées organisées par la salle. La suite de son histoire reste marquée par les succès : ses sorties technos le propulsent d’abord dans la capitale, où il rencontre toute la scène electro de l’époque (Ed Banger Records, Marble) avant de fonder son propre label Bromance Records. Accompagné de Gesaffelstein, Brodinski traverse les clubs du monde entier pour imposer la « french touch 2.0 » dans le monde : la deuxième vague de DJ’s français au succès international. Et qui attire aussi des grands noms du milieu.

Kanye West - « Send It Up »

Difficile pour le jeune gamin rémois qui mixait dans sa SMAC locale d’imaginer qu’il serait dix années plus tard en studio avec Kanye West pour l’aider sur son album Yeezus, ou à échanger des musiques par mail avec Drake. « Les gens en parlent énormément », reconnaît-t-il. « Pour moi, la rencontre avec Kanye était hyper gratifiante. On est restés trois semaines ensemble à Paris avec lui et Gesaffelstein. Il écoutait tous nos conseils, nous laissait complètement faire avec sa musique. Ça nous a appris des choses sur l’ouverture d’esprit. » Le résultat, « Send It Up » un mélange de hip-hop et de techno, rythmé par des sirènes dignes d’une rave des années 90. La première pierre d’un édifice musical que Brodinski a toujours rêvé de bâtir. Lui, l’enfant de l’ère Internet, des remixes technos balancés sur Soundcloud, le DJ taillé pour le succès, souhaitait s’échapper de son image de beau gosse de la nuit, pour s’envoler vers une destination moins clinquante. Les Zones 3 et 6 d’Atlanta.

« Dès le début, j’avais une idée précise de ce que je voulais faire : un album qui mélange la techno et le rap. »

En survolant les comptes Twitter et Instagram de Brodinski, on y aperçoit un vrai mélange d’influences. Des photos de soirée dans les clubs technos des quatre coins du monde, d’autres images captées en studio, et des pochettes de mixtapes de la fine fleur de la scène hip-hop d’Atlanta. Cette passion pour le rap du Sud n’est pas naissante, elle a eu le temps de mûrir. D’abord avec Three Six Mafia à Memphis, ensuite avec sa fascination pour Gucci Mane à Atlanta.  Depuis, Brodinski s’avale autant de rap US qu’il le peut, tout le temps. « Au moment où je te parle, je sais qu’il y a déjà trois ou quatre mixtapes de rappeurs que j’adore qui sont tombées sur des sites spécialisés. Je dois m’écouter ça dans la journée ». Alors, comment faire quand on est DJ techno pour intégrer le rap sudiste dans sa musique ? Mélanger, essayer de réunir les deux genres, et en sortir un disque protéiforme.

Ce disque, il s’appelle Brava. Et son histoire est longue. Brodinski le reconnaît, « dès le début, j’avais une idée précise de ce que je voulais faire : un album qui mélange le rap et la techno. Mais pour mettre tout ça en place, il me fallait des collaborations. Amener les rappeurs que j’aime vers un son que j’aime. » Au milieu d’une tournée américaine en mai 2014, Louis Brodinski décide de faire un stop de deux jours à Atlanta. Il rentre en contact avec une connaissance, Derek Schklar , producteur discret mais omniprésent sur la scène d’Atlanta. Le contact de Brodinski reste méconnu du grand public : Derek « The Devil » (son nom d’artiste) cultive le mystère à chaque interview. Mais il a aussi un carnet d’adresse extrêmement fourni dans le milieu des rappeurs d’Atlanta. « On s’était juste rencontrés à Miami avant raconte Brodinski. Je suis arrivé à son studio, et je lui ai sorti de ma poche une liste avec 45 noms de rappeurs de la ville écrits dessus. » L’objectif pour Louis : réunir sur son disque des artistes de la scène d’Atlanta. « Derek s’est démené, et les types sont passés au studio sans me connaître. Ils savaient juste qu’on était des français qui avaient bossé avec Kanye, ça nous a bien aidé » dit-il en souriant.

Au fil des allers-retours Paris-Atlanta, la machine Brava se met en marche. Brodinski s’accompagne de deux producteurs, Myd (membre du collectif electro Club Cheval) et Kore (producteur référence dans le milieu rap français) et loue un studio sur place. A chaque session, des nouveaux rappeurs débarquent : « On était à chaque fois avec eux en studio, et je les dirigeais pour qu’ils aillent dans une certaine direction. Je voulais vraiment collaborer avec eux, pas juste signer un chèque et recevoir un couplet par mail » explique-t-il. Le projet prend forme : un mélange de productions électroniques au service de rappeurs respectés. La jeunesse avec MPA Shitro, Bloody Jay, Peewey Longway, les références avec Fabo, Young Scooter ou même Slim Thug pour une parenthèse du côté de Houston.

Quand on interroge Brodinski sur ses motivations, il n’hésite pas une seconde : l’ambition. « J’avais envie de trouver un son, une identité à ma musique, quelque chose de novateur. Plutôt que d’inviter des gros noms, je voulais redistribuer les cartes. » Inviter Kanye West ou Gesaffelstein ? Trop prévisible. « Tout le monde aurait été content. Sauf moi. Là, je me met au service de mecs que j’admire. Et j’espère faire perdurer ça à l’avenir. » Brava est en effet un nouveau départ pour Brodinski. Le moyen d’enfin concilier ses deux passions pour le rap et la techno. La sortie de son disque lui a déjà ouvert des portes aux États Unis. « J’ai maintenant une vraie carte de visite quand je débarque là-bas. Je vais être amené à collaborer plus souvent avec des rappeurs américains dans les prochains mois » rajoute-t-il, sans trop en dire. Dans tous les cas, sa plus grande fierté reste la même : « Avoir trouvé une identité. » Celle d’un jeune musicien de Reims qui finit en studio avec les artistes américains qu’il a découvert sur Internet. On appelle ça le 21ème siècle.

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3 commentaires

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  • Nico,

    Bien vu Dindou, merci !

  • Dindou,

    « Les gens en parle énormément »,
    > ¨petite coquille non?

  • rlf,

    bcp d’attentes pour un amoureux de techno et de rap us comme moi et d’autres.

    Et une deception énorme, on s’ennuit bcp sur cet album qui n’en ai pas un. Ca ne ressemble a rien d’autre mais c’est tout le contraire de Yeezus. Ce dernier etait futuriste, là on rétropédale entre des sudistes qui font le struct minum sur des instrus qu’ils n’ont pas comprises.

    C’est vraiment dommage parce que la prise de risque était belle de la part de Brodinski, lui qui a un talent énorme côté techno et une culture hip hop tout aussi grande.