Autour d’All We Got Iz Us
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Autour d’All We Got Iz Us

« All We Got Iz Us », deuxième disque d’Onyx qui compte cinq albums à mettre à son actif, fait suite à « Bacdafucup » sorti en 1993. Ce second opus apporte la confirmation d’une impression suggérée par le premier : Onyx est un groupe de déglingués qui en jouent. Un vrai acteur de la relève du hardcore new-yorkais pour la période post Public Enemy.

Malgré leurs bobines grimaçantes et leurs armes à feu en couverture de Bacdafucup, on avait beau faire des efforts, les membres d’Onyx (Big DS, Suavé, Fredro Starr et Sticky Fingaz) ne parvenaient pas à nous impressionner outre mesure. Le montage peu judicieux de la photo du groupe enragé sur fond blanc sortait totalement les rappeurs d’un cadre pouvant a priori justifier leur attitude, remplaçant dans les esprits le naturel par un aspect préfabriqué assez peu crédible. Le Wu-Tang Clan, avec Enter The Wu-Tang : 36 Chambers la même année, ne tombait pas dans ce panneau. Il nous livrait, on s’en souvient tous, une pochette avec au recto une horde (qu’on imagine composée des membres du Clan) de personnages masqués et encapuchonnés dépourvus d’arme et pourtant troublants tandis qu’au verso, fixant le décor, les membres se tenaient dans leur B-boy stance assurée sur un (leur) sol terreux jonché d’ordures avec suspendu au dessus d’eux l’un des fameux ponts de New York. Une constante tout de même, les logos qui fleurissent en coin de jaquettes chez les deux groupes.

Pour l’album qui nous intéresse ici (à savoir All We Got Iz Us) sorti deux ans plus tard, Onyx a par contre abordé son design à la manière du Wu-Tang pour son premier album, avec clichés dans des tons glaciaux du groupe pris en contre-jour hantant quelques immeubles insalubres de projects New Yorkais. Tout ceci ne pourrait être que détails si l’on omettait le fait que la carrière de bien des groupes de rap se joue aussi sur l’image qu’ils véhiculent au public.

All We Got Iz Us débute « sagement » comme une majorité d’albums de rap par une intro intitulée ‘Life Or Death’ et il n’en faut pas plus au groupe pour immédiatement insuffler à leur album un désespoir ra(va)geur qui va se répercuter au fil des morceaux. Pour Onyx il ne s’agit pas ici de choisir entre la vie (Life) et la mort (Death), d’où l’absence de point d’interrogation du titre. Mieux vaut suivre sa voix intérieure qui appelle à la mort, tirer, échapper à cette « vie stupide » que l’on se remémorerait avant que tout soit vraiment fini ; et c’est là que commence l’album, et c’est dire si celui-ci va être sombre et amer. On peut aujourd’hui avec le recul aisément incorporer All We Got Iz Us dans la longue liste des œuvres de rappeurs américains (de Tupac, DMX, les Geto Boys au cynisme fort à propos des Gravediggaz) qui ont reflété un esprit suicidaire de la part de leurs auteurs. Thème récurrent dans la première moitié des années 90, la voix des rappeurs laisse planer un esprit suicidaire au-dessus des grands centres urbains américains. L’intro s’achève donc avec le coup de feu fatal alors que démarre sans temps mort ‘Last Dayz’ (Derniers jours).

« South suicide Queens… » sont les premiers mots proférés : la dépression est définitivement localisée. Mais annoncer quelques phrases plus loin avec une ironie certaine « Get ready for this New World Order, shit is about to change » apporte une dimension temporelle et politique supplémentaire au discours incroyablement pessimiste du groupe, faisant insidieusement tendre l’oreille à l’auditeur dans un champs d’action bien plus vaste que celui du Queens Sud ou même de New York. Cette théorie du complot appelée Nouvel Ordre Mondial qui alarmait tant les rappeurs américains à l’approche du nouveau siècle, bien que comportant son lot d’énormités, est devenue réalité sur le plan économique et des paroles comme celles d’Onyx dans ‘Last Dayz’ témoignent d’une réelle volonté d’alerter la population sur les dérives possibles d’un système national, mondial dirigé par une élite et des corporations. Fredro Starr amorce son couplet par un cynique « I’m America’s nightmare, young black and just don’t give a fuck » et le morceau ne s’arrêtera que quand chacun aura donné une première vision cauchemardesque de sa vie et de son entourage, tandis que revient désespérément en boucle le sample d’une voix féminine aux forts accents de musique soul. Cauchemar américain « à l’envers de l’Histoire » comme nous le verrons un peu plus loin. Les voix déglinguées à l’extrême de Fredro Starr, Sonsee et surtout Stinky Fingaz qui en font des tonnes (souvent proche du grand-guignolesque) prennent alors tout leur sens dans ce dernier grand mauvais trip où tout doit être perçu en surmultiplié. Chaque voix jaillissant comme autant de diables sortant de leurs boîtes. Des paroles comme « Thinking about taking my own life, I might as well ‘cept they might not sell weed in Hell, and thats where I’m going cause the Devil’s inside of me » rappellent cruellement les pulsions suicidaires du king Notorious B.I.G. dans ‘Suicidal Thoughts’ et le refus du mea culpa religieux (« When I die, fuck it I wanna go to Hell cause I’m a piece of shit it ain’t hard to fuckin’ tell« ).

« Dans ‘All We Got Iz Us (Evil Streets)’, l’Enfer est sur terre. »

Dans ‘All We Got Iz Us (Evil Streets)’, l’Enfer est sur terre nous annonce Onyx, Fredro Starr est « né pour être un pécheur dans ces rues mauvaises de New York ». Suit un inventaire violent et détaillé avec un malin plaisir de tout ce qu’on peut compter comme activités criminelles en ce bas monde et Sticky Fingaz de balancer une punchline « Only nigga that can kill me is the nigga in the mirror » évoquant à l’auditeur la célèbre scène du miroir de « Taxi Driver » avec un Robert De Niro au comportement non moins suicidaire dans les rues de la Grosse Pomme. L’instrumental, comme du reste partout ailleurs dans l’album, est plutôt minimaliste et toutefois d’une efficacité redoutable. Celui-ci possède une cadence rapide et lourde alors que reviennent à répétition d’inquiétants grincements.

Au titre suivant, ‘Purse Snatchaz’, la fureur des MC’s au micro est apaisée par le chanteur Greg Valentine qui se livre à un magnifique refrain lancinant et onirique. Horizon barré : « There’s no sunshine in the city, that’s the way it’s going down, people kill and people dyin, every time I turn around » se lamente Valentine sur le beat ralenti, une petite mélodie triste et la bande-son des turpitudes de la ville si fréquemment entendue dans les productions des rappeurs (sirènes de police, explosions de flingues, altercations..). Le texte est construit rigoureusement avec un premier long couplet de Fingaz, succession de rimes en ‘-ers’ tandis qu’au troisième couplet il privilégie la rime en ‘-ion’ et entre les deux Sonsee envoie un couplet en ‘-ing’.Onyx enchaîne avec ‘Shout’, toujours sans que l’auditeur ait le temps de « reprendre son souffle » (et c’est là une des forces majeures de « All We Got Iz Us ») dont le refrain hurlé et demandant le support du public (« Come on and scream (AAH!) And shout (OOH!), just let it all out (YEAH!)« ) propulse illico le morceau au rang de ghetto anthem. Fredro Starr lâche le mot gimmick pour qualifier le style de son crew et nous revient alors à l’esprit ce que laissait transparaître la pochette du premier album dont je parlais précédemment.

Après un interlude (‘I Murder U’) dans lequel une voix (celle de l’intro de l’album !) répète, jappe, à plusieurs reprises « I murder you », arrive ‘Betta Off Dead’ où toute la puissance que les MCs puissent nous offrir est donnée. Ainsi chacun enfonce-t-il le clou dans un esprit résolument live, martelant en écho (ou finissant) les fins de phases du partenaire qui réalise sa prestation au micro. Les paroles sont toujours pleines de bravade et les esprits tournés vers la mort (« suicidal like Nirvana« , « Please somebody kill me before I put two in my own head« ), paraissant annoncer l’acte fatal qui introduit l’album. Toujours peu de choses côté musical si ce n’est un beat qui bastonne et une voix suppliante répétant inlassablement « Oh no, oh no » mais les flows et gimmicks des rappeurs envahissent tout le champs auditif, nous offrant une véritable démonstration de grandiloquence.

‘Live Niguz’, glissé entre ‘Betta Off Dead’ et ‘Punkmotherfukas’, fait figure de titre plus léger. Il aurait même pu prétendre vouloir tourner en club étant donné que les rappeurs calment quelque peu leurs flows et que la production se fait relativement moins obscure et plus entraînante. Mais, Onyx oblige, les flows (en particulier au refrain) sont à ce point exagérément ralentis et articulés qu’ils donnent à l’auditeur la crasse impression de recevoir une bonne grosse gerbe au creux de l’oreille.

La violence reprend très vite ses droits avec le très court ‘Punkmotherfukas’ (presque un interlude) qui rappellera des choses aux auditeurs qui furent témoins de leurs premiers pas discographiques. Analogie pas seulement en raison du nom bizarroïde du track, collage de plusieurs mots entre eux. En effet la production est réduite à moins que rien comme si, et ils l’avaient largement prouvé dans Bacdafucup, une bonne grosse ligne de basse seule suffisait amplement à ces messieurs pour s’exprimer pleinement au microphone. Dans All We Got Iz Us, Onyx s’applique à conserver dans les instrumentaux le minimalisme auquel il semble tant tenir tout en faisant circuler en continu (comme le courant) une ambiance, une atmosphère qui faisait sûrement faute à la première galette.

A pas de loup avance le titre suivant : ‘Most Def’. Les MCs musellent leurs flows sur une prod. lugubre à souhait, Fredro Starr délivrant un couplet à voix basse, prenant soudainement conscience dans un éclair de lucidité de ce que peuvent comporter d’illégalités certains de ses textes. Sticky Fingaz : « I’m not crazy don`t flatter me« , puis Fredro Starr : « I’m mad as shit » se complaisent c’est sûr dans leurs rôles de frappadingues au bout du rouleau. Puis le « Démon » (toujours incarné par la voix « pousse au suicide » du début d’album) des armes et de la corruption réclame son heure, le moment d’agir mal (‘Act Up’).

Sur ‘Getto Mentalitee’, Onyx invite quelques rappeurs peu connus mais sans doute proches du crew (J Mega, Panama P.I.) et de nouveau Greg Valentine (dans un tout autre registre que sa prestation de ‘Purse Snatchaz’) comme pour apporter la preuve définitive par le biais de multiples témoignages de l’existence de cette notion de « Getto Mentalitee » à laquelle ils font allusion dans le titre du morceau. Mais celui qui surprend le plus ici reste Sticky Fingaz qui délivre un couplet au contenu moins anodin qu’il n’y paraît : « Way back in the days they rapped my grandmother’s brothers, when he was in slave they hurt my grandfather if he misbehaved, but my ancestors was brave, and most of them real, strong-arm blast for the slaves workin in the fields, but a hundred years later, I learned about my roots, and how they traded in there white sheets, or badges and blue suits« . Les paroles de Sticky Fingaz rejoignent ici le discours d’un RZA tentant de justifier par l’Histoire de ses ancêtres la folie (mise en scène) de son personnage devant un tribunal imaginaire dans le titre ‘Diary Of A Madman’ de l’album Six Feet Deep de Gravediggaz. La « solution » ou plutôt la conséquence de la situation réside évidemment pour Fingaz dans le camp de la violence. L’affrontement direct avec les « blancs » et plus généralement avec les gens au pouvoir aujourd’hui comme en atteste la fin de son couplet.

Fredro Starr enfoncera le clou dans ‘2 Wrongs’ : « They said ‘Throw Ya Gunz’ was negative, I say FUCK THEM!, they the ones who put the guns in the ghetto for destruction, this is depression, deception, killin our own complexion, what we need to do, is point the guns, in the right direction, now!« , allant jusqu’à détourner le célèbre « I have a dream » du pacifiste pasteur Luther King en un appel à la révolution dans le sang au couplet suivant : « I have a dream, that I must reveal, so I pinch myself to make sure it’s real, first we gotta destroy and then rebuild, even if it mean that I’ma get myself« . L’attitude suicidaire devenant alors sacrifice politique… (!) Après un dernier interlude nommé ‘Maintain’ qui nous ramène dans l’état d’esprit des premiers mots de l’album bouclant ainsi la boucle, arrive le dernier, l’ultime morceau : ‘Walk In New York’. Aboutissement logique à All We Got Iz Us, ‘Walk In New York’ est un pur moment de hardcore. Un beat massif, un instru tout en ruptures (c’est pour mieux relancer la machine derrière), des MCs qui font rouler, déferler leurs flows de façon impeccable sur cette instru taillée dans le granite. Sombre, ce titre l’est forcément, car Onyx s’attache une fois encore à dépeindre à gros traits le quotidien dans un environnement où, à l’image inconsciemment de la photo de jaquette intérieure, les portes de sortie et escaliers de secours créent le malaise, ressemblant étrangement à des guillotines.

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