Chronique

Nessbeal
Rois sans couronne

Nouvelle Donne - 2008

Dan Ketch est un de ces héros dont raffolent les lecteurs de Marvel. Ou plutôt de ces anti-héros. Personnage phare de la série, Dan Ketch symbolise le mythe du justicier sorti des ténèbres pour mettre de l’ordre sur Terre. Pour résumer, Dan, alors qu’il cherchait à secourir une jeune femme attaquée dans le cimetière de Cypress Hill, aperçut un deux-roues parfaitement neuf qui semblait n’attendre que lui. Amateur de motos, Dan s’en approcha et, au contact de son guidon, acquit les pouvoirs de Ghost Rider, devenant ainsi l’incarnation de l’Esprit de la Vengeance. A partir de ce moment précis, Dan se chargea alors de faire régner la justice, se transformant en Ghost Rider et chevauchant sa moto sitôt que le sang de l’innocent se mit à couler. Rien que ça.

Remplacez la moto par le micro, Cypress Hill par le terrain de jeu du rap français, Dan par Nabil et Ghost Rider donnera, à peu de choses près, Nessbeal. Comme Ghost Rider, on ne saurait dire dans quel camp se situe Nessbeal. Ce qui est sûr, c’est qu’ils partagent le même compagnon, la mort, qui « se cache derrière chaque mot » du MC. Sombre, Nessbeal l’est à souhait et paraît réellement rapper depuis un cimetière, pour reprendre l’expression de Kery James. L’album a un message simple : faire comprendre à l’auditeur que justice doit être faîte. « Leurs albums sont nuls » dit Nessbeal en parlant de la compétition « qui dort aux urgences ». Les mauvais rappeurs lui ont volé son dû, son trône et Nessbeal est venu le reconquérir. « La mélodie des briques » nous donnait déjà la sensation d’avoir affaire à une sorte de créature revenue de l’Au-Delà pour venir terrasser les imposteurs. Le visuel du clip de ‘L’oeil du mensonge’ renforçait ce sentiment. La plume de Nessbeal affectionne d’ailleurs les comparaisons de cet ordre : « Condamné à naître du néant », « lâche des larmes comme l’orage », « j’arrive sur toi comme la foudre ». « Rois sans couronne », à ce titre, est une parfaite suite au premier opus.
A la sortie de « La mélodie des briques », Nessbeal avait dit que si l’album ne rencontrait pas de succès, il arrêterait toute activité rapologique. Plutôt que de se retirer, Nessbeal est venu se venger et, tel un vampire diminué par la lumière, « dédicacer les bains de sang » à l’ombre de son bâtiment.  La finalité étant, évidemment, de « danser un twist sur la tombe du hip hop ».

« Lunatic mon centre de formation, c’est pas James Deano »

Paradoxe : alors que Ne2s multiplie les dédicaces tout au long du disque, rarement un rappeur n’avait semblé aussi seul au microphone. Même entouré de ses proches (‘Dans la jungle’), Nessbeal se démarque immédiatement. La plume pleure tellement et la voix semble si proche de l’asphyxie que chercher à lui associer un rappeur semble relever de la gageure. Nessbeal a beau avoir l’habitude d’être entouré, il est définitivement destiné à officier en solo.
Et lorsqu’il dit avoir « toujours le sourire, ça cache les soucis », on se demande s’il est réellement aussi torturé qu’il le dit au micro ou s’il est, en fait, un formidable interprète. Comme Le Rat Luciano. Sans préjuger de leurs motivations respectives, on a tout de même du mal à croire que ces deux rappeurs puissent envisager de prendre le micro autrement qu’avec sincérité. Quoi qu’il en soit, la connexion Nessbeal/Le Rat sur ‘Les anges aux visages sales’ apparaît comme une évidence. Après tout, « La mélodie des briques » n’était qu’une formule plus poétique et moins abrupte pour dire la même chose que « Mode de vie…béton style ». Ces deux rappeurs ont leur « cité comme pays » et rappent leurs désespoirs depuis la fin des années 90. Quant au Rat Luciano, même si une fois de plus il rappe sourcils froncés, on a toujours le même plaisir à l’écouter.

« Un no man’s land pour royaume »

Le parallèle entre ces deux rappeurs ne s’arrête pas là. Sur la compilation « Rap performance », qui avait pour but de désigner à la suite d’un vote par SMS lequel des rappeurs participants avaient fait le meilleur morceau, Le Rat Luciano avait pris tout le monde à contre-pied non seulement en livrant le meilleur morceau du projet mais également en l’appelant ‘Trop sincère pour être Numéro 1’. La phrase sied à merveille à Nessbeal. A l’instar d’un Sako ou d’un Oxmo, Nessbeal n’est pas le genre de rappeur qui figurera dans les innombrables tops 5 que certains bloggeurs essayent parfois de constituer. En écoutant attentivement son propos, ce serait davantage la reconnaissance que chercherait Nessbeal plutôt que la gloire.  Comme tous ces « balafrés du faciès » pour lesquels Nessbeal rappe, qu’ils ressemblent à Tony Montana ou à Franck Ribéry, ces gens qui ne sont personne mais qui feraient tout pour devenir quelqu’un. « Soit je gagne, soit je perd, je resterai pas au milieu des panthères ».

« Kidnappe Molière dans une cave, fais lui fumer de l’herbe »

« Rois sans couronne » est donc le disque d’un type désespéré qui nous donne, malgré tout, une bonne dose d’espoir concernant l’avenir du rap français. Même sur un ‘Tu sais c’que j’veux dire’ qui peut, à la première écoute, sembler hors de propos, Ne2s est à l’aise. Car dessus, Nessbeal n’essaye pas de faire bouger les gens sur la piste de danse mais les appelle plutôt à la saccager (« c’est la jungle sur la piste ») comme pour extérioriser toute la frustration décrite sur le reste du disque. Il n’y a que le titre et single ‘On aime ça’ qui ne mérite pas sa place. D’ailleurs, on ne peut que regretter cette avalanche de morceaux censés décrire une génération et construits, à quelques détails près, de la même manière (‘Ma France à moi’, ‘A la bien’).
Epaulé par une solide équipe de producteurs, au premier rang desquels figure Skread, véritable architecte sonore de l’album, Nessbeal livre, encore une fois, un disque de qualité qui nécessitera plusieurs écoutes pour bien saisir tout le propos. Au rayon productions, on relèvera particulièrement le remarquable travail de Médeline sur un ‘Ca ira mieux demain’ qui n’aurait pas fait mauvaise figure sur une B.O de Giorgio Moroder.

« Poète analphabète », Nessbeal a cette faculté à créer des phrases aux interprétations multiples avec des mots simples. Des mots simples pour composer une longue oraison funèbre. Parce qu’on sait bien que, comme toujours, justice ne pourra être complètement rendue. On se demande même si Nessbeal est encore des nôtres quand il débite ses vers. Ou s’il aurait appelé son disque « Mémoires d’Outre-Tombe » si Chateaubriand ne l’avait pas devancé il y a plus de 150 ans de cela.

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