Chronique

Abd Al Malik
Dante

2008

Difficile aujourd’hui de porter un regard juste et lucide sur Abd Al Malik. L’emballement des machines médiatiques et politiques autour de l’ex-N.A.P. a pris une ampleur irréelle depuis son deuxième album solo : Gibraltar. Lauréat du prix Constantin, fait chevalier des Arts et des lettres, célébré du grand public pour ses postures, ses actions et ses albums, cette accumulation des reconnaissances pourrait faire perdre tout sens de la nuance. Plus d’une année s’est écoulée depuis la sortie de Dante, le troisième album solo d’Abd Al Malik, un disque qui a fait couler encre et pixels à foison.

Entouré d’une sélection archi-pointue de musiciens à la renommée incontestable, Dante est digne d’une superproduction Hollywoodienne. Gérard Jouannest, Alain Goraguer, André et Régis Cecarelli, figures légendaires de la chanson française, sont à l’origine de la composition musicale, au même titre que Bilal, l’éternel compagnon de route d’Abd Al Malik. Juliette Gréco et Wallen en invités, on s’éloigne évidemment des schémas classiques du rap hexagonal. L’ambition non dissimulée étant de transcender les genres pour réaliser un album aux influences multiples. A ce titre là, Dante atteint son objectif, intégrant le rap dans un patchwork éclectique. A vrai dire, il l’intègre tellement bien que le rap en devient mineur ; et tellement en retrait qu’il faut quelques références grossières pour le resituer : « Ce fut moins une mais j’ai pu prendre mon envol, tel Notorious B.I.G mais façon Nougayork » (‘Dante’).

Mais au-delà de ce cadre musical fourni, ambitieux et plus ou moins abouti, Abd Al Malik reste au centre d’un album qui est avant tout le sien. Et Dante pousse encore plus loin la caricature. Posé dans la figure quasi-christique du repenti, Abd Al Malik distribue les leçons d’éducation civique avec un angélisme désarçonnant. Voire complètement débilisant. Premier extrait de l’album, ‘C’est du lourd’, a la candeur d’une campagne de SOS Racisme et le caractère caricatural d’un speech pour lycéen. Il y a probablement beaucoup de sincérité et d’envie de bien faire chez Abd Al Malik. Les causes qu’il entend défendre sont également justes. Mais les ficelles sont tellement grossières et le propos tellement convenu qu’il en perd toute pertinence.

Résumer Dante sous cet angle unique serait néanmoins injuste et réducteur. On y retrouve malgré tout quelques beaux moments de bravoure, à l’image de ‘Césaire (Brazzaville Via Oujda)’ hommage explicite à Aimé Césaire. Une référence bien amenée qui en côtoie beaucoup d’autres, bien moins évidentes. Et si Abd Al Malik empile littéralement les références aux figures intellectuelles et artistiques (Sénèque, Aimé Césaire, Spinoza, Verlaine, Brel), on ne peut s’empêcher de se demander l’intérêt réel de cette démarche. S’agit-il de crédibiliser sa démarche ? D’amener un public de non-initiés à se pencher sur ces grands noms ? Difficile d’apporter une réponse claire à ces questions. Une réalité demeure : on ne devient pas une référence en en citant d’autres.

Au final, Dante inscrit définitivement Abd Al Malik comme LA figure respectable du rap français. Une figure consensuelle et policée tellement bien intégrée qu’elle parait prête à avaler toutes les couleuvres. Jusqu’à en devenir une caricature de l’acceptabilité – comme l’était Sidney Poitier dans Devine qui vient diner ?. Comble ultime du narcissisme maladroit : les applaudissements ponctuant ‘C’est du lourd’ – où quand l’autocélébration surgit, servie sur un plateau.

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