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Les nuits sauvages du nouvel album de Viktor and the Haters

Viktor a la gueule grande ouverte sur la plupart des photos diffusées de lui ces dernières années. Normal, depuis qu’il a l’âge d’improviser, l’ancien MC de Kalash a toujours eu une grande gueule. Aujourd’hui, elle porte ferme le cuir sur ses épaules. Elle est aussi de plus en plus énervée. Avec le groupe des Haters, elle a choisi une bande-son électro-rap passée aux électrochocs rock pour s’exprimer. Elle tabasse, avec sa tronche qui se gargarise de renifler des culs pour mieux repérer les travers de la société qu’elle va faire valser. Ici, la verve est frénétique, presque inquiétante. Elle a « un iguane dans les tripes » et traîne la tête de Michel Onfray dans des chiottes taguées qui puent le stupre et la came. Colère, saturation et énervement flirtent avec l’hyperactivité punk. Les logorrhées frôlent parfois l’éparpillement, le même que celui croisé dans la sauvagerie des vies nocturnes. Pas étonnant, tant ce ce nouvel album de Viktor incarne ces nuits. Celles qui piquent autant qu’elles enveloppent. Celles qui attirent autant qu’elles font défaillir. Celles qui révèlent autant qu’elle détruisent. Celles qui sont autant faites de chair que d’égarements. Celles où se démolir est une revanche mimétique sur un monde qui s’inflige sa propre ration d’autodestruction quotidienne. Mais si leur facette folle et fauve partage l’absence de scrupules avec le jour, les nuits, elles, ont au moins encore une âme. Souvent noircie, salie, indomptable, mais peu importe, c’est l’âme qui compte. C’est pour ça que Viktor a choisi leur camp. Et si Blackout, son nouveau disque, est important c’est parce que son son défi électro-rock est un bras d’honneur saturé à l’alignement génériques des productions diffusées chaque soir dans les établissements de fête et d’oubli. C’est pour sa conscience de la superficialité et de l’injustice qu’elle que soit l’heure, ses mollards crachés à la gueule de la gentrification, et même pour sa crasse égoïste. Mais c’est surtout pour son absence de complaisance, pour sa capacité à ne pas fermer les yeux sur l’obscène, qu’il soit diurne ou nocturne. Nos confrères de Sourdoreille n’ont-ils pas dit, avec justesse, que désormais le rap de Viktor « sonne comme un reproche » ? Eh bien, c’est salvateur. Car qu’est-ce qu’une marge qui ne gueule pas, si ce n’est une bande d’arrêt d’urgence ? Qu’est-ce qu’une nuit sans une contre-culture faite de grondements, si ce n’est un business ? Voilà pourquoi son rap est un rap de démolisseur d’impostures. Les soirs y sont traînés comme une révélation permanente, encombrante, dérangeante, envahissante, souvent détestable mais qui a ce charme irremplaçable : celui de se sentir vivant. La prise de conscience s’y fait avant de faire un blackout. 31 minutes et dix pistes, voilà tout ce qu’il reste avant de tomber dans les vapes. Et de devoir se lever le lendemain. Pour remettre ça, évidemment.