Rud Lion, la playlist

Quand Big Red arrivait en 1999 avec son premier solo Big Red-emption, il y avait dans les crédits une mention qui allait attiser la curiosité, « Réalisés par RUDLION ». Sept pistes des dix-neuf étaient produites par ce nom mystérieux. Et pas les plus maladroites.

Un son très marqué par un sens du groove, de la mélodie et une influence West Coast présente en filigrane. Des claquements à la DJ Quik et des sirènes étirées sur « Red-Emption », du funk gras et hypnotique sur « Spliff », agressif sur « Respect or Die II » et « Sur la parole », festif sur « Deenastyle ». Puis un sample bossa-nova de Quincy Jones (« Manha de Carnaval ») sur l’hispanisant « El dia de los muertos » et enfin une brise douce-amère usant de xylophone et d’un air suave de flûte sur « Riz-La ». Tout était parfait et le producteur faisait mouche à chaque fois. La curiosité allait être piquée à vif quand, dans une interview réalisée par le magazine Radikal la même année, le lecteur apprenait la mort brutale dudit Rud Lion et que, selon les quelques mots de Big Red sur le sujet (les souvenirs se sont un peu ébréchés avec les années), le lascar avait vécu une vie sulfureuse. Le contenu de cet entretien donnait le sentiment que, tôt ou tard, cela devait arriver. En 2019, vingt années plus tard, le superbe livre Le Rugissant  revenait sur la trajectoire incandescente de Marc Gillas alias Rud Lion. La légende urbaine se dévoilait sous la plume documentée et fine de Raphaël Malkin.

Le parcours artistique du Boucan, surnom donné dans l’ouvrage, est autant fourni qu’impressionnant : il fut clavier de Tonton David le temps de la tournée suivant son premier album Le Blues des Racailles, fondateur du label Ghetto Youth Progresss, chef d’orchestre de la compilation du même nom qui verra les premiers pas d’Expression Direkt, de Big Red ou encore Doudou Masta et qui compte surtout les premiers morceaux de Rud Lion en tant qu’interprète. Il est aussi acteur principal des Sound Systems de Paris, au clavier du succès « Ma petite entreprise » pour Alain Bashung pour lequel il ne sera pas crédité, ou encore défricheur d’un collectif venu de l’axe Orly-Choisy-Vitry (son secteur d’origine) nommé Mafia K’1 Fry.

En fouillant sur le web, ses productions se révèlent à l’image de ce que l’on trouvait sur l’album de Big Red. Le son que l’on pouvait entendre dans cette scène californienne du début des années 1990 se retrouve chez Rud Lion. Ce n’est pas par hasard qu’il aborde un sweater The Chronic ornée d’une feuille de chanvre sur l’une des rares photos d’archive où il figure. Ainsi « Mon Attitude », premier morceau où il apparaît vocalement en compagnie de Doudou Masta et de Black Blada, puise son énergie dans les productions musclées et agressives à mi-chemin entre les sonorités de la fin de NWA et du premier solo de Dr Dre. Il garde un pied dans le reggae avec « Kolbok» dont le propos colle  à la musique des artistes précitées. Ses morceaux pour Expression Direkt tiennent la même trame sur une série sans faute de trois morceaux. Le premier est « Mon esprit par en c… », dont la version originale est produite par Weedy (et visiblement co-produite par Rud Lion ?) et dont les remixes semblent être produits par les deux (les crédits sont un peu obscurs à vrai dire). Le deuxième, « Dealer pour survivre », apparaît dans la compilation inspirée du film La Haine, quand la version OG de « Mon esprit part en c… » apparaît directement dans une scène du film. Le troisième « La Roue tourne » figure sur la compilation L 432. Moins agressif, son morceau pour Melaaz en 1995 « Le seul remède » lorgne un Quik’s groove plus doux, lumineux et mélodieux et utilise le même gimmick sonore que David Blake sur « Dollaz and Sense » sorti la même année.

Rud Lion étalera également son savoir-faire de producteur sur l’intégralité de Le Bout du monde. Le premier album d’Expression Direkt sortira en 1998 mais aurait dû arriver plus tôt, repoussé du fait de l’incarcération de Marc. On y trouvera le plus gros succès d’Express D : le morceau « 78 » en compagnie de Big Red, encore lui, mais aussi « C’est du rekdi » morceau à la production minimaliste où le groupe de Mantes-La-Jolie étale un ego-trip de présentation saillant et nerveux. Doudou Masta bénéficiera également du talent musical de Rud Lion par deux fois sur des productions plus calmes et sereines. La première sur « Trop loin » traitant de l’amour d’une enfant subissant une séparation parentale et la deuxième sur « Même les plus fous » où des accords de cordes font vibrer les sentiments amoureux d’un cœur de pierre. Même si Marc Gillas n’apparaît pas vocalement sur ces derniers titres, les propos semblent habités par son personnage. Comme sur ce « S’l’heure » d’Expression Direkt où c’est encore ce sens de la mélodie sur des nappes de cordes, une voix pitchée, et des percussions rythmées qui renforcera les paroles dures du groupe traitant de la ligne fine entre la vie et la mort. Pour vous familiariser avec le Boucan côté musique, voici donc un florilège de ses productions dans la playlist suivante.