Dans la musique, mettre en scène un personnage est parfois une façon d’en dire plus sur soi qu’en étant frontal. Frontal, LK de L’Hôtel Moscou l’avait pourtant été lors de San Francisco, son premier album sorti l’an dernier. Certes, tout n’y était pas absolument véridique, car comme l’expliquait son auteur, une autobiographie, aussi sincère soit-elle, n’est jamais totalement vraie. Mais le disque comportait tout de même une impressionnante part de mise à nu. Son successeur, Xanadu, prend le parti pris inverse. Du moins en apparence. Cette fois, le rappeur exilé à Londres raconte les vicissitudes d’un cadre de la City. Au milieu des grandes tours de verre, dans des architectures prônant la transparence, la tracklist de l’album glisse une nouvelle fois vers un magnifique clair-obscur et présente de nombreuses similitudes avec celle de son prédécesseur. Des premiers titres misanthropes et sans scrupules, brassés dans le pouvoir de l’argent laissent au fur et à mesure place à une chute vertigineuse. Des sons froids et syncopés s’effacent au profit de nappes enlaçantes et rédemptrices. Les flows s’adaptent à chaque interprétation, de l’arrogance de « Power Suit » à l’apaisement de « Ça va mieux. » Une nouvelle fois, LK raconte l’histoire de marionnettes qui se retrouvent obligé à couper les fils qui les relient au théâtre des hommes. Une absolution dépeinte autant au couteau qu’au pinceau et magnifiée par l’excellent « Carravagio. »
Sidekicks
Fini les clips et les ambiances potaches avec lesquels Chill Bump s’était fait connaître il y a déjà sept ans de cela. Non pas que Miscellaneous et Bankal aient perdu le sourire, encore moins une force communicative. Non, c’est juste que le duo tourangeau sort de sa bulle, éclatée lors d’Ego Trip LP, pour regarder un peu plus les choses en face. Alors si « Snip Snip » révélait déjà en 2012 un regard acéré et cynique, les saillies de Miscellaneous prennent de plus en plus des allures d’état des lieux. En anglais toujours et encore une fois avec une parfaite maîtrise technique pendant que Bankal fournit un tapis de boucles toujours aussi minimales que rudement efficaces. Tout cela sans désormais se priver de quelques nappes aériennes et synthétiques et autres clins d’œil au rap contemporain, avec ce parfait équilibre dans le dosage. La preuve avec « Fuckwit », premier extrait de l’album Going Nowhere qui sortira le 6 octobre prochain. Le duo y trace sa feuille de route, toujours avec ce même impératif d’adéquation modèle entre emceeing et beatmaking, et constamment avec ce soucis de s’offrir quelques détours imprévus. Une façon habile de semer par intermittence et avec une somme de petits détails la balise GPS un peu vite collée sur le groupe, sans renier ses influences. Ça s’appelle la culture du mouvement.
« La musique, c’est l’antithèse de la théorie. » Voilà ce que nous disait Némir en interview lors de la sortie de son précédent projet : Ailleurs. Depuis, le Perpignanais était devenu l’une des plus grandes arlésiennes du rap français. Cinq ans de silence, qui restaient tels des points de suspension derrière un EP réussi, alliant chant et rap de haute voltige, mariant la culture bitumeuse chère à l’artiste avec une grande touche de soleil et un bien-être communicatif. Cinq ans de (quasi) mutisme dans une musique telle que le rap, c’est au mieux un énorme luxe, plus généralement une énorme prise de risque. Mais toujours dans nos colonnes, Némir avait également utilisé à de nombreuses reprises des mots touchant plus au moral, à la spontanéité et à l’état d’esprit qu’au pragmatisme et aux stratégies artistiques. Bref, on était loin de la théorie et des grands plans de carrière plus ou moins avoués et si chers au milieu du rap français. C’était frais, mais ça avait aussi un côté angoissant, comme l’expliquait le rappeur lui-même dans un entretien aux Inrocks. Puis exactement 1761 jours après la sortie d’Ailleurs est arrivé « Des heures. » C’était ce 15 septembre et Némir s’y transforme presque en chansonnier (non, ce n’est pas un gros mot), suspendant l’amour à sa voix éraillée. Les grimaces verbales sont devenus des souffles au cœur, dans un joli mélange entre bossa nova et rap. En une chanson, Némir aura remis les attentes sur le calendrier tout en suspendant à nouveau le temps à ses talents d’auteur et d’interprète. Il n’y a plus qu’à écouter « Des heures » en guise de compte à rebours à la sortie de l’album, prévue pour 2018. Une véritable horloge chantante.
À vingt-quatre ans et après plusieurs années de carrière, PLB estimait arriver à la fin d’un cycle. L’artiste a grandi, l’adolescent est devenu adulte, et c’est naturellement qu’il en est venu à réfléchir à la façon de faire évoluer sa musique. Toujours rappeur, celui qui s’est fait un nom aux End of the Weak s’est aussi orienté vers un style plus mélodieux. Ses inspirations sont larges, ses aspirations sont grandes, et ce jeune James Marron regarde loin vers le soleil dans le sympathique morceau « Lumière », son premier. Le titre est d’ailleurs joliment clippé par le rappeur lui-même et par Willy Guittard.
Suite à « 5 wings & fries », Bigg Meuj continue de mettre en image Gros Gramme 1.2, son dernier projet en date. Et quatre ans après « No regrets » et « Quartier » qui figuraient sur son précédent EP, le Bigg convie à nouveau Joe Lucazz, pour le titre « Salute ». Cette fois, une troisième tête s’ajoute au casting, en la personne d’Eloquence, qui continue de surfer la vague de sa récente renaissance. C’est sur une production de Captain Kadillac que le Gros Gramme et ses invités écrivent leurs salutations, et sans surprise la combinaison fonctionne.

La prochaine soirée « Golden Years » aura lieu le samedi 23 septembre au Flow, dans le 7ème arrondissement de Paris. Comme d’habitude, l’accent sera mis sur les années 1990 et 2000, avec une battle entre classiques rap US et classiques rap français. Après Crazy B lors de la dernière édition, c’est le légendaire Jimmy Jay qui sera cette fois invité aux platines. Si vous souhaitez gagner des places pour cet évènement, rendez-vous sur notre page Facebook.
C’est peut-être le secret le mieux gardé de Paris. Les apparitions du Jeune LC sont aussi savoureuses qu’elles sont rares et précieuses. Annoncé il y a quelques années, son EP produit par Myth Syzer n’a finalement jamais vu le jour, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le rappeur est discret. Surprise, il vient de dévoiler un morceau inédit, « Fin d’été » extrait d’un projet qui arriverait vraisemblablement à nos oreilles le 21 septembre et dont il est l’introduction. Fidèle à son réalité rap, le parisien continue de vivre ses textes sur les Grands Boulevards, dans les fumoirs et au fond de son verre. Billets, bonnes tables, cocaïne, amour, tout est jeune avant l’automne, il faut savourer.
Depuis qu’il est retourné vivre dans sa ville natale de Detroit en 2014, Shigeto ne cesse d’explorer l’héritage musical de la Motor City. Et si le monde de la musique électronique connaissait le jeune musicien pour ses productions soyeuses développées sur plusieurs disques, son penchant hip hop restait jusque là plutôt inconnu. Une erreur réparée avec un disque, A Piece Of The Geto, composé en compagnie du jeune rappeur ZelooperZ et sorti au début du mois d’août sur le label Ghostly International. Véritable ovni assumé, la collaboration entre le producteur du Michigan et le jeune complice de Danny Brown ouvre les portes d’un monde dépouillé, fou, et rustre, dans lequel Shigeto développe de lentes productions synthétiques sur lesquelles ZelooperZ laisse traîner son spleen d’une voix faussement molle. Un son parfaitement résumé par « Unfold », point final (et culminant) du disque, dans lequel le duo déroule six minutes de lamentations sur les femmes, l’argent, la rue, dans une ambiance presque spirituelle (le clip n’a pas été tourné dans une église pour rien) qui se détache clairement du climat rap actuel. Un sommet de bizarrerie qui va bien à ce que sont aujourd’hui devenus Detroit et sa musique : un monde rude et épuré.
C’est son premier morceau diffusé publiquement et c’est une réussite. Avec une balade introspective mêlée d’égotrip, Robin des Blocs écrit les premières lignes de son histoire rap. En douceur dans la forme, visant juste dans le fond, le Cristolien alterne construction et déconstruction. D’un côté, il érige son autoportrait et celui de son entourage. De l’autre, il fend l’extraordinaire en deux, y préférant la normalité, celle qui connaît « les ravages de l’esclavage moderne. » Sur un son doux, doté d’un flow souple et de quelques vibratos dans la voix, en bande comme dans la forêt de Sherwood, tout en aisance même quand il s’agit d’évoquer l’échec, Robin des blocs en fera débloquer plus d’un. En attendant impatiemment la suite.
Il y a des rappeurs qui explorent la nuit comme personne. Des rappeurs dont le chant frôle tellement l’omniscience que leurs pensées rallument les villes et leurs périphéries une fois que le jour a déserté. Hatrize est de ceux-là. Après avoir déjà longuement flirté avec les errances nocturnes et les limites du monde sur Chargé, son EP sorti l’an dernier, le Strasbourgeois a remis cela. D’abord avec « Vers minuit », en chantant ces heures où il n’y a plus que les gyrophares qui viennent t’éclairer. Puis il y a quelques jours, en duo avec celui qui a le feu dans les paumes et qui éclaire, depuis 2004 et l’album Des Lumières sous la pluie, des villes qui ressemblent de plus en plus à Neo Tokyo. Il s’agit évidemment d’Arm et la complémentarité entre les deux MCs est bluffante. Glissant le papier calque de leurs textes sur le calendrier lunaire, transportant la nuit jusqu’à novembre 2049, éclipsant les restes du vieux monde qu’ils ont coincé quelque part sous les pompes, Hatrize et Arm lâchent toutes les amarres et photographient les villes depuis leur rap vaporeux, entre doux autotune, éclairs, lune avec un air de défi et phases cinglantes. Insaisissables mais figeant le moindre détail, voici donc le portrait des derniers empereurs, ceux qui régneront encore sur la nuit un soir de Novembre 2049.